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Prévention du VIH : la sexualité, angle mort de la santé ?
Prévention du VIH : la sexualité, angle mort de la santé ?
Depuis juin 2021, la prophylaxie préexposition, traitement préventif du VIH indiqué chez les personnes à risque élevé d’infection, peut être primoprescrite par le médecin généraliste. Malgré les bénéfices déjà observés, le dialogue sur la santé sexuelle demeure difficile.
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Prévention du VIH : la sexualité, angle mort de la santé ?
Depuis l’autorisation en juin 2021 de sa primoprescription en ville, la prophylaxie préexposition (PrEP) connaît un succès croissant. Selon des chiffres d’Epi-Phare* publiés le 29 novembre dernier, le nombre d’utilisateurs a connu une hausse de 12 % entre début 2023 et début 2024 – avec toutefois une baisse inédite du nombre de nouveaux usagers, laissant présager l’amorce d’un plateau. Parmi les prescriptions effectuées au premier semestre 2024, 39 % l’ont été par des médecins généralistes pour l’initiation de traitement, 40 % pour le renouvellement.
Afin d’épauler les généralistes, plusieurs formations ont vu le jour. Parmi elles, FormaPrEP, mise en place par la Société française de lutte contre le sida (SFLS), a été suivie par près de 4 900 d’entre eux, professionnels ou étudiants, depuis sa création en octobre 2020. D’un contenu élargi, une autre formation, dénommée FormaSantéSexuelle, est proposée depuis juin, avec près de 2 500 participants à ce jour.
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Anne-Astrid Brasseur
Non
Combien de jeunes motivés dont le rêve est d’être médecin sont dégagés à la fin de la 1ere année pour quelques centiemes de points... Lire plus
Qui sont les médecins généralistes qui s’investissent dans la PrEP ? De l’avis de plusieurs experts interrogés, il s’agit avant tout de « VIHologues de ville », généralistes déjà impliqués dans le champ du VIH. Selon Paul-Emmanuel Devez, membre du collectif interassociatif TRT-5 CHV**, et écoutant à Sida Info Service et Hépatites Info Service, la part de 39 % de prescriptions par le généraliste (et de 52 % en ville) « est encourageante. Mais je ne suis pas certain que cela concerne l’ensemble de la population des généralistes : de façon homogène sur tout le territoire, des inégalités d’accès à la PrEP persistent. Les médecins qui désirent se former sont des personnes déjà au fait du VIH et de sa prévention ».
L’abord de la santé sexuelle demeure difficile
Si l’extension de la prescription de la PrEP aux généralistes a permis d’accroître la couverture, elle bénéficie surtout, selon Epi-Phare, aux « utilisateurs ayant un profil proche de ceux consultant à l’hôpital ou en centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections à VIH (CeGidd). De nouvelles mesures seraient nécessaires pour permettre la diffusion de la PrEP à toutes les catégories de population qui pourraient en bénéficier ». Au-delà des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) vivant dans les grandes villes, le recours à la PrEP d’autres publics à risque (migrants, femmes, HSH étrangers, travailleurs du sexe, etc.) demeure rare.
Au-delà de la PrEP, c’est la question du rapport des généralistes à la santé sexuelle qui interroge. Selon le Dr Cédric Arvieux, du service des maladies infectieuses du CHU de Rennes, et coordinateur de récentes recommandations HAS sur la PrEP, « certains patients homosexuels nous disent que la question de leur sexualité n’a jamais été abordée lors d’une consultation avec le généraliste. C’est pourtant un élément clé de la stratégie de prévention, car le rythme de dépistage dépend notamment du fait qu’on soit HSH ».
Maître de conférences associé au département de médecine générale de l’université de Bordeaux, et par ailleurs médecin généraliste à Penne d’Agenais (Lot-et-Garonne), le Dr Guillaume Conort juge qu’il « n’est pas forcément nécessaire que tous les généralistes soient prescripteurs de la PrEP. Mais il est crucial qu’ils soient en capacité d’aborder la santé sexuelle avec leurs patients, pour éventuellement les orienter, si besoin, vers des médecins qui prescriront la PrEP ».
Les jeunes médecins, plus au fait de la PrEP
Selon lui, la situation pourrait évoluer avec les nouvelles générations de médecins, « mieux informées de l’existence » de la PrEP, et qui se sentent « investies de missions qui, au-delà du soin, ont plus souvent trait à la prévention, à la qualité de vie globale ». Signe de l’intérêt des jeunes médecins, plusieurs travaux de thèse ont récemment porté sur la prescription de PrEP et l’abord de la santé sexuelle par les généralistes.
De ces travaux, « il ressort que la santé sexuelle demeure considérée avant tout comme un sujet intime », explique Guillaume Conort. « D’un côté, les médecins, par peur de paraître intrusifs, s’attendent à ce que leurs patients abordent le sujet en premier. Mais de l’autre, les patients disent souhaiter que le médecin fasse le premier pas ! Par ailleurs, les généralistes, déjà investis de nombreuses missions, très axés sur le soin, se montrent souvent réticents à s’engager dans la prévention ».
Autre frein, la PrEP, outil de prévention remboursé depuis 2016, demeure parfois perçue par comme « l’autorisation d’un relâchement du préservatif, voire un facteur de contribution à la diffusion des IST », ajoute Guillaume Conort. Outre le fait que la hausse des IST remonte à la fin des années 1990, le suivi de la PrEP prévoit, entre autres mesures, la recherche des IST bactériennes « tous les trois à quatre mois » chez les HSH ayant eu plusieurs partenaires sexuels au cours du trimestre, et au moins un bilan semestriel chez les personnes peu exposées.
* Epi-Phare est un groupement d’intérêt scientifique constitué par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et la Caisse nationale d’assurance maladie.
** Le TRT-5 CHV (Traitement et recherche thérapeutique, Collectif hépatites virales) est un collectif de onze associations rassemblées « autour des enjeux en recherche clinique et avancées thérapeutiques pour la défense des intérêts des personnes concernées ».
Références :
D’après des entretiens avec le Dr Cédric Arvieux (CHU de Rennes), Paul-Emmanuel Devez (TRT-5 CHV, Sida Info Service et Hépatites Info Service) et le Dr Guillaume Conort (Penne d’Agenais, Lot-et-Garonne).
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