"L’image qu’on a de l'Académicien est celle d'un vieux monsieur": comment la nouvelle présidente veut "dépoussiérer" l'institution
C’est dans son bureau spacieux, situé rue Bonaparte à Paris, que la Pre Catherine Barthélémy officie désormais. Depuis le 9 janvier dernier, elle est officiellement la première femme présidente de l’institution, après avoir été élue par ses pairs pour un mandat d'un an. Une présidence qualifiée d’"historique" par l’Académie.
Face à son bureau, une grande bibliothèque et à sa gauche, un porte-manteau sur lequel repose sa tenue d’investiture encore sous sa housse, qu’elle s’empresse fièrement de montrer. "Elle a été faite sur mesure, j’ai choisi de porter une jupe", précise-t-elle. Un fait encore inédit en 2024, puisque tous les costumes étaient composés d’un pantalon. Si cela peut être perçu comme un signe de révolution, la porte du bureau de la nouvelle présidente comporte en revanche toujours une plaque avec l’inscription "Président" au masculin.
Egora : Née en 1902, l’Académie nationale de médecine est issue de l’Académie royale de chirurgie, fondée en 1731, et de la Société royale de médecine, fondée en 1778. Depuis toutes ces années, aucune femme n'a été à sa tête. Pourquoi ?
Pre Catherine Barthélémy : C’est une question qu’on se pose souvent. Tout simplement parce que les médecins qui pouvaient accéder à ces fonctions étaient encore, il y a une cinquantaine d'années, essentiellement des hommes.
Quand j’ai été élue professeure dans ma faculté à Tours, en 1992, il y avait 100 hommes et seulement 4 femmes à l’assemblée. Progressivement, les femmes se sont inscrites aux études de médecine. Mais accéder aux fonctions de chef de service, de professeur, dans un hôpital universitaire et mener de front la pratique médicale dans le service public, dans l’enseignement et la recherche, ce n’était pas forcément compatible avec une vie de famille. Il a fallu une évolution dans le statut de la femme dans notre société pour que les choses puissent même s’inverser. Maintenant, dans les premières années de médecine et en particulier dans les années concours, il y a une majorité de femmes. Et comme elles sont dégourdies, intelligentes et travailleuses, souvent, elles réussissent mieux aux concours que les hommes.
Actuellement, quelle est la proportion de femmes à l’Académie nationale de médecine ?
Actuellement, il y a 17 femmes sur 135 membres titulaires et 24 femmes sur 160 membres correspondants. On est passé de 5 à 15% de femmes.
Pensez-vous qu’un jour, elles seront plus nombreuses que les hommes ?
Il est presque prévisible à assez court terme qu’il y ait beaucoup plus de femmes médecins, et qu'à l’Académie comme ailleurs, il y ait de plus en plus de femmes et même plus que d’hommes. Donc normalement oui. On verra, en tout cas c’est possible.
Avez-vous éprouvé des difficultés à accéder à ces postes à responsabilités ?
D’abord, il y a une motivation. J'avais un projet. Je voulais devenir pédiatre pour m’occuper des enfants. Pour cela, il fallait évidemment réussir les concours et être accueillie dans des services où on avait la possibilité d’apprendre la pratique médicale. Pendant mon cursus à Tours, j’ai pu faire très tôt des stages en pédiatrie avec de grands professeurs qui m’ont guidée, car j’étais externe à l’hôpital pédiatrique Gatien de Clocheville. Et il se trouve qu’en pédiatrie, il y avait plus de femmes que dans les autres spécialités.
La deuxième chose, c’est que j’ai eu un patron, le Pr Gilbert Lelord, psychiatre et physiologiste, qui respectait beaucoup les temps de vie privée. C’est lui qui m’a guidée vers la psychiatrie de l’enfant. Ce professeur était très attentif au fait qu’on ait des emplois du temps qui soient compatibles avec notre vie privée mais aussi avec la découverte. Il fallait prendre le temps de voyager, de lire… Et je dois dire qu’il m’a appris à respecter ces temps, ce qui a été très précieux pour ma vie de famille. On n’était pas dans la précipitation. Il y avait un rythme hebdomadaire. Il m’a donné cette espèce d’impulsion ; le lundi, on rencontrait les équipes ; le mardi, c’était l’enseignement clinique ; le mercredi, c’était la consultation parce que les enfants n’allaient pas à l’école…
Je me suis mariée et j’ai aussi fait le choix d’avoir des enfants plus tard, au moment où je serai plus disponible. C’est un choix de vie qui se fait à deux avec mon époux qui est aussi médecin et psychiatre. On s’est organisés de sorte qu’au moment où j’ai eu mes enfants, j’avais un confort non seulement financier mais je n’étais aussi plus dans la hantise des derniers concours.
L’Académie nationale de médecine a décrit votre mandat comme une "présidence historique" du fait d’avoir une première femme à sa tête. Cela va-t-il changer quelque chose concrètement ?
Forcément ! Le fait qu’il y ait de plus en plus de femmes apporte une vision plus féminine de l’écosystème de la maladie, de l’accompagnement de la personne qui est en situation d’affaiblissement, du quotidien de cette personne, de la vie à la maison avec la maladie, du handicap et puis des deux extrêmes de la vie, c’est-à-dire l’enfance et le grand âge. Souvent, on voit la médecine à l’hôpital, mais la maladie, elle est au quotidien. Je pense que la vision des femmes est très complémentaire de celle des hommes. On fait le même métier mais on n’a pas forcément la même représentation de la maladie ni la même manière de résoudre les problèmes liés à la maladie.
On a un référentiel de description des maladies qui a été fait comme si les femmes n’existaient pas, sauf pour les maladies des femmes. Mais tout ce qui est de la description des maladies, c’est toujours un homme de 40 ans qui pèse 70-75 kilos… C’est curieux. Maintenant on est là. Grâce à cette contribution à une meilleure connaissance de la maladie et de la thérapeutique, on s’intéresse à des chapitres de la médecine chez la femme, par exemple la cardiopathie, les troubles neurologiques, les troubles métaboliques…
L’institution a longtemps été critiquée pour son manque de femmes au sein de son conseil d’administration. Est-ce quelque chose sur lequel vous allez essayer d’agir ?
Oui bien sûr, mais les instances de gouvernance sont l’émanation de l’assemblée. Pour qu’il y ait une candidate femme, il faudrait qu’il y ait une femme qui ait déjà fait la preuve de son engagement, de sa...
capacité à être disponible et à représenter l’Académie dans les instances politiques, scientifiques, les académies de sciences, de médecine, de chirurgie… Il n’y a pas de miracle. Pour moi, c’était possible. Je pense que les Académiciens m’ont identifiée. Ce n’est pas moi qui ai surgi de nulle part, ça faisait partie de ma déclaration d’intention de dire que je me mettais à la disposition de chacun.
Vous avez actuellement 77 ans, quel est l’âge moyen des Académiciens ?
Je ne connais pas l’âge exact, mais il est assez élevé. C’est normal puisque pour être Académicien, c’est important d'avoir une reconnaissance auprès de sa communauté. C’est souvent lorsque la carrière est bien avancée, que la personne est visible au niveau national et international. Cela ne veut pas dire que ça n’existe pas plus jeune mais dans notre spécialité, dans nos missions qui sont la pratique clinique, l’enseignement, la recherche et la communication du savoir vers la société, il faut "avoir de la bouteille".
Notre compagnie mène aussi des travaux, des commissions, des comités permanents, des groupes de travail, qui ont pour mission de rédiger et mettre à jour des avis qui sont communiqués vers notre Gouvernement pour le conseiller et lui faire apparaître ce qui va être nécessaire pour notre pays, pour améliorer l’art de guérir. Il faut avoir du temps pour venir travailler à l’Académie et lorsqu’on est hospitalo-universitaire en activité et qu’on a 40-50 ans, ce n’est pas possible, surtout que les Académiciens viennent de la France entière. Certains passent une demi-journée dans le train pour venir jusqu’à nous. En plus, les séances de travail sont très soutenues, parfois deux journées voire deux journées et demie. Cela a un peu changé à partir du moment où nous avons eu des moyens audiovisuels et notamment la période Covid qui nous a permis de faciliter l’accès à certains qui n’avaient plus besoin de se rendre sur place, en particulier ceux qui venaient de très loin. Mais il faut tout de même être disponible.
Les gens ont une représentation poussiéreuse de l’Académie. Quand on dit "Académicien", l’image qu’on a, c’est celle d'un vieux monsieur.
Comment allez-vous essayer de "dépoussiérer" cette image ?
Il faut faire connaître et rajeunir les publics. On va créer des collèges de jeunes Académiciens. Ceux qui ne peuvent pas encore être correspondants parce qu’ils ont trop de travail, on va les faire venir.
Il y a aussi toute une politique d’ouverture vers la jeunesse, dans les collèges, dans les lycées… Il y a deux types de manifestations, la première c’est l’Académie des lycéens. C’est-à-dire que depuis trois ans, une fois par an, on organise une séance mais au lieu d’installer les Académiciens au pupitre on installe les lycéens, qui ont préparé des thématiques et qui vont se prêter à l’exercice de présentation, de discussion et de rédaction des recommandations, comme les Académiciens chaque mardi. Cela se fait en partenariat avec le rectorat de Paris. C’est très intéressant parce qu’on voit des jeunes qui sont dans la salle et qui se prêtent au jeu. Ça a pris de l’ampleur.
De mon côté, à l’occasion de la semaine du cerveau, on organise une manifestation avec une exposition, une visite de la bibliothèque et des exposés faits par les Académiciens sur des problèmes de santé qui intéressent les jeunes : sommeil, drogue, schizophrénie, maladie mentale, fonctionnement du cerveau… Il y a aussi toute la sensibilisation à la recherche médicale. Je suis, du fait de ma spécialité, beaucoup en lien avec les associations de malades et donc ce côté transfert de connaissances vers la société est aussi un de mes objectifs.
Quelles sont les grandes causes que vous allez défendre lors de votre mandat ?
Une année c’est court, donc par définition, cela s’inscrit dans la continuité de ce qui a déjà été engagé. Les deux grandes causes sont la vaccination et le développement de l’enfant.
La période Covid a éclairé la population du monde entier sur le fait qu’il faut pouvoir se protéger contre les maladies et c’est sûr que dans notre pays on a une histoire avec le vaccin. Nous sommes le pays de Pasteur. Cette cause est d’autant plus importante à mettre en œuvre, car il y a une certaine défiance contre les vaccins, comme s’ils ne nous protégeaient pas suffisamment ou étaient nocifs. Nous allons mettre en place des séances sur ce sujet, des journées dédiées, des articles, un ouvrage, des publications dans la presse. Cela correspond à ce que fait l’Académie habituellement mais avec une ampleur maximale.
La deuxième cause est plus liée à moi et au groupe avec lequel je travaille, qui a été codirigé par le Pr Paul Vert, pédiatre et néonatologiste et par moi-même, concernant les écarts au développement très précoce et à l'identification d’un trouble, en sachant que j’ai appris à connaître les troubles du neurodéveloppement à travers l’autisme. Cette grande cause est très intéressante, car elle est aussi liée au fait que dans notre pays il y avait une sorte de malentendu. On pensait que l'autisme était lié au fait que la mère ne s’occupait pas ou n’aimait pas suffisamment son enfant. La mère était coupable. Alors qu’en fait, il s’agit d’un trouble du neurodéveloppement, des réseaux cérébraux. Ça a depuis très bien été montré.
L’Académie a déjà eu un rôle majeur dans ces deux domaines. Mais c’est le moment d'exposer ces deux sujets au grand public, pour qu’enfin on en finisse avec les conceptions détournées de l’explication des maladies ou du rôle des vaccins. Il y a des points communs entre ces deux causes.
La grande cause de 2024 reste la vaccination. Mais j’espère qu’en 2025 ou 2026, la grande cause sera le développement de l’enfant. L’idéal serait en 2025. Je vais m’efforcer de commencer au moins. C’est un chantier mais il est déjà bien engagé.Mon patron m’avait dit : "Catherine, quand vous serez un peu plus libre, allez à l’Académie, parce que l’Académie, c’est une tribune. Vous pourrez continuer à faire connaître ces troubles du petit enfant qui, s’ils sont diagnostiqués tôt, vont pouvoir faire l’objet de soins spécifiques qui sont très importants pour prévenir le handicap". Donc m’y voilà !
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