“Depuis que je suis gamin, c’est dans mon ADN de rendre service.” C’est fort de cette conviction que Guillaume, 34 ans, s’est lancé sur le tard dans les études de médecine. Cet ancien gendarme, qui officiait à la direction générale à Paris, a décidé de plaquer sa carrière trop “bureaucrate” pour enfin avoir le sentiment “d’être utile”.
Pourtant, médecine n’était pas sa vocation première. Après un baccalauréat scientifique, il décide d’étudier le droit. “Je n’étais pas un travailleur acharné, j’avais besoin d’avoir beaucoup d’autres activités pour m’épanouir. Donc rester concentré sur une chaise à réviser, ce n’était pas mon truc”, se souvient-il. Il s’oriente ensuite vers le droit public, “dans tout ce qui est proche de l’intérêt général, de l’État et des collectivités" et s’engage en parallèle dans plusieurs associations dont la Croix-Rouge. Même s’il ne se considère pas comme un “gros bachoteur”, Guillaume valide plusieurs masters différents : un master 1 en droit public des affaires et un master 2 en finances publiques. “J’ai aussi fait un autre master 2 en droit fiscal”, précise-t-il. Il passe finalement le concours des officiers de la gendarmerie nationale, qu’il réussit en 2013.
“J’avais l’idée de faire secouriste en montagne. Le peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) ou le peloton de gendarmerie de montagne (PGM) ont une grosse activité de secourisme”, explique le jeune homme. “Avec mon activité de bénévole à la Croix-Rouge, j’ai passé les mêmes diplômes que ceux des pompiers, notamment pour les premiers secours en équipe.” C’est comme ça qu’il met le premier pied dans l’univers du soin et du secteur sanitaire et social. “Dans le cadre de cet engagement, je couvrais des matchs de foot, des marathons, je faisais des gardes avec les pompiers, des maraudes… Au fond, la Croix-Rouge m’a donné envie d’être médecin”, reconnaît-il en souriant.
“C’est vrai qu’on touchait du doigt la médecine. Je prenais des gardes auprès du Samu : en tant que bénévole Croix-Rouge, on est rattachés aux pompiers de Paris, qui se délestent sur les bénévoles qui peuvent être là le week-end. On prend la régulation des pompiers sur la partie secours aux victimes. J’ai découvert ce rapport au soin via l’association, mais à l’époque, il ne m'était pas du tout venu à l’esprit de faire médecine.”
Un déclic “de manière brutale”
A l’issue de ses deux ans d’école d'officier, Guillaume comprend “qu’il n’aura pas le choix de son affectation”. “Je me suis retrouvé à la direction générale de la gendarmerie à gérer les finances. Un métier très budgétaire en mode ‘Bercy’. Je me suis dit que jamais de la vie je ne pourrais faire ça, je ne trouvais pas beaucoup de sens dans ce que je faisais”, poursuit-il.
Frustré, l’ex-gendarme broie du noir dans son bureau. Jusqu’au déclic. “Il s’est fait de manière brutale”, souffle Guillaume. “J’étais à l’époque... ...officier de gendarmerie et arrive l’attentat de Paris, celui de Charlie Hebdo. Je ne pouvais pas y aller, car j’étais en formation”, se remémore-t-il d’abord. Mais deux jours plus tard, le gendarme est mobilisé via la Croix-Rouge lors de la prise d’otage du magasin Hyper Cacher.
“Ce 9 janvier 2015, je quitte le bureau pour rejoindre ma délégation dans le 94. On était mobilisés en camion à Porte de Vincennes, sans savoir trop ce qu’on allait faire. On était pas mal de secouristes, prêts à n’importe quoi. On a attendu deux bonnes heures que l’assaut soit donné… puis, lors de l’assaut, on a eu pour mission de prendre en charge les ‘impliqués’, c’est-à-dire les otages et leurs familles qui étaient en bonne santé”, raconte-t-il. Dans son camion, il accompagne le père et le frère d'une victime, un jeune adolescent. “On les a escortés jusqu'à l'Hôtel-Dieu où était leur enfant. On ne savait pas s’il était mort ou vivant.”
Pour lui, ce moment a été très fort. “Dans un camion de secourisme comme ça, on est deux à l’avant, un à l’arrière avec les victimes. C’était moi, ce jour-là. Il y avait beaucoup de bouchons et je suis resté 40 minutes avec ce père et ce frère dans un silence assez terrible. Ça contrastait avec le secourisme classique où on a des gestes à faire.”
Passé ce jour, Guillaume pense à la médecine. “J’avais des réticences quant à la responsabilité du médecin que je m’imaginais”, explique-t-il toutefois. “Passer du secourisme où on emballe le patient, on s’assure qu'il ne se dégrade pas et où on l’emmène aux urgences… à la responsabilité du médecin, c’était quelque chose. Ce qui était certain à ce moment, c’est que j'appréciais particulièrement la relation avec le patient en ce qu’elle est : très vraie, tous les masques tombent.”
Une passerelle pour médecine
En fouillant sur Internet, il découvre la possibilité de faire une passerelle, pour intégrer directement les études de médecine, sans réaliser de Pass ou de LAS. “J’ai été pris !” Il devient donc étudiant en deuxième année, sans pour autant démissionner de la gendarmerie.
Mais une fois devenu carabin, c’est la désillusion. “La P2 et la P3 ont été très dures pour moi, on a eu que quelques pauvres journées de stages, on ne servait à rien. Je ne trouvais pas le sens que j’étais venu chercher.” Il se décide alors à passer le concours de professeur des écoles, qu’il obtient, “au cas où”. Mais finalement, tout s'arrange au début de l’externat. "Ça allait mieux, on avait plus de stages et moins de QCM débiles”, plaisante-t-il. Avec du recul, il se rend compte que le premier cycle est un “passage obligé”. “Mais personnellement, je l’ai fait en dilettante avec ma vie décalée.”
Ce qui le convainc de poursuivre la médecine et de quitter définitivement son métier de gendarme, ce sont les patients. “Tout change, quand ... ...on découvre la relation médecin-patient”, se réjouit-il. “Quel que soit le patient, quoi qu’il ait fait, qu’il soit un repris de justice ou un grand patron, il y a une sorte de vérité qui sort de ces moments-là", estime Guillaume.
Pour tenir financièrement pour sa famille, il a décidé de souscrire à un contrat d'engagement de service public (CESP). Ainsi, en échange de 1 200 euros par mois, il s’est engagé à s’installer dans une zone sous-dotée pendant autant d’années qu’il aura touché la subvention. C’est donc naturellement qu’il s’est orienté vers la médecine générale au moment des ECN. “Je savais que je voulais faire cette spé depuis le début. Déjà, l’internat est plus court et le CESP permet d’avoir des places à part au moment du concours. C’était plus adapté à ma vie familiale et mes enfants”, explique-t-il. Ce qu’il ignorait à l’époque, c’est qu’il vouerait une véritable passion à la médecine générale. “La liberté de la médecine générale est très puissante”, se réjouit cet adepte de transversalité, qui aime “faire de tout”.
Vocation généraliste
Avoir repris les études de médecine tardivement, avec une idée précise de son projet professionnel, a été un atout selon Guillaume. “Toutes mes études, je les ai orientées vers le métier de MG. Pour vous donner un exemple, à chacun de mes stages, je demandais aux autres médecins spécialistes ce qu’ils attendaient d’un généraliste. Même au moment de l’apprentissage, je pensais à ma pratique future. Je voulais les stages les plus généralistes possibles, dans tous les domaines, c’est là où je me suis éclaté.”
Pour lui, “sa famille”, et le temps qu’il “doit accorder à ses enfants, sont [ses] seules limites”. “Si je n’avais pas ma famille, je serais du style à bosser 7 jours sur 7”, reconnaît-il. Car fidèle à son image, Guillaume, actuellement au milieu de son internat, est ultra engagé auprès de ses patients, comme des autres carabins.
Depuis son admission en P2, il aide les autres “passerelliens” à se reconvertir. “Je suis 3 à 5 par an pour les aider à monter leur dossier. Pour l’oral, je sais ce qu’il faut dire, comment tourner ses expériences, l’art de convaincre. On faisait même des oraux blancs avant le Covid !”. C’est donc tout naturellement qu’il pense à devenir maître de stage universitaire ou à faire un clinicat, une fois thésé.
Exercice mixte
S’il lui reste encore un an et demi d’internat, il réfléchit déjà à son projet d’installation. Il hésite entre deux options possibles : un désert médical de la région Île-de-France, pour rester proche de son lieu d’habitation actuel ; ou exercer en banlieue. “J’aimerais m’installer dans ce que certains appellent une ‘cité’. J’aime beaucoup travailler au contact de populations défavorisées, j’y retrouve une certaine sincérité, franchise. J’ai bossé aux urgences de Bondy et j’ai adoré cette expérience. Je n’ai jamais eu de problèmes”, explique-t-il, considérant que les agressions sont souvent à cause de “problèmes de communication”.
A ce stade, il n’a pas encore fait ce choix. Mais il pense qu’un exercice mixte en libéral, avec une journée aux urgences par semaine, pourrait lui convenir.
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