Séquestré par un patient, ce médecin installe une caméra dans son cabinet : "On a monté les gens contre nous"

16/02/2022 Par Louise Claereboudt
Témoignage
Installé depuis sept ans en tant qu’allergologue à Chartres, le Dr Julien Cottet a pris la décision d’installer une caméra de surveillance dans sa salle d’attente après avoir été séquestré dans son cabinet par un patient mécontent, en décembre dernier. Le praticien, également président du Conseil de l’Ordre d’Eure-et-Loir, dénonce, sur Egora, l’agressivité montante des Français, qui considèrent leur médecin comme un simple "produit de consommation". La faute, selon lui, aux politiques publiques qui n’ont fait que déconsidérer la profession depuis plusieurs décennies.
 

C’est une décision qu’il avait toujours refusé de prendre : installer une caméra de surveillance dans son cabinet. Pour le Dr Julien Cottet, allergologue installé à Chartres depuis sept ans, le cabinet devait rester un "lieu de bien-être, pour que ses patients – surtout des enfants et des jeunes adultes – ne soient pas anxieux lorsqu’ils arrivent". Le sien est installé dans un appartement décoré, avec plusieurs salles accueillantes. Une pièce est dédiée aux enfants : on y trouve une décoration Star Wars, des jouets, des figurines. "Je ne voulais pas que mon cabinet soit un centre de rétention, ce n’était pas ma vision de la médecine", confie-t-il à Egora. Mais en décembre dernier, une agression a fait changer d’avis le praticien de 37 ans, également président du Conseil départemental de l’Ordre d’Eure-et-Loir. Un homme s’est introduit dans son cabinet, "pas content". "Il voulait que je vois ses deux enfants. Il avait triché sur Doctolib, n’avait pas de courrier de médecin, pas de carnet de santé, pas de rendez-vous pour les deux. Il a fermé la porte de mon bureau, m’a gardé enfermé à l’intérieur, et m’a tordu le bras", raconte le Dr Cottet. S’il a aussitôt fait une déclaration à l’Ordre, ce dernier n’a pas porté plainte : "Je n’ai pas que ça à faire, je vois 40 patients dans la journée, plus le reste de mes activités, je ne peux pas me permettre d’aller à la gendarmerie." Une chose est sûre : l’agresseur ne remettra pas les pieds dans son cabinet, assure-t-il. Le Dr Julien Cottet a également transmis son nom à son unique consœur allergologue en Eure-et-Loir. "Il est grillé dans le département. C’est comme cela qu’on fait. On est que deux, donc on s’entraide, on s’échange les noms. Quand un patient est un peu agressif ou ne vient pas à un rendez-vous, on les blackliste. Ils n’ont qu’à aller voir ailleurs !", nous explique-t-il.

"Contraint et forcé", le médecin a donc installé une caméra. Malgré les vols successifs qu’il a subis –de papier toilette, tableaux et autres objets déco – il ne voulait pas en mettre parce qu’il avait "confiance en [ses] patients". Aujourd’hui, il se dit déçu et assure comprendre les médecins qui partent avant l’âge de la retraite ou se détourne du libéral. Dans sa salle d’attente, désormais, une affiche prévient les patients : "souriez, vous êtes filmé", suivi de : "S’il vous plaît, respectez ce lieu, le médecin et son assistante qui font de leur mieux pour vous." Les premiers retours sont plutôt positifs, note-t-il. "Les patients comprennent, se disent outrés, ne se rendaient pas compte de ce que l’on vit." "Mes confrères m’ont dit que je n’avais qu’à les écouter", explique le praticien. Nombre de médecins euréliens ont en effet déjà opté pour cette "solution" pour se protéger des agressions et des vols. Pour les mêmes raisons, toutes les pharmacies d’Eure-et-Loir ont, elles aussi, des caméras : "Avec les queues interminables pour les tests, il y a eu des bagarres entre patients. Les policiers sont intervenus trois fois en une semaine dans une ville près de Chartres. C’est n’importe quoi. Les gens font la queue, s’énervent, ne peuvent pas remettre leurs enfants à l’école."   "Qu’ils aillent hurler sur le médecin qui se dore la pilule à Marseille" Du haut de ses 37 ans, l’allergologue déplore un climat de tension qui s’intensifie de jour en jour, rendant l’exercice de la médecine plus compliqué encore. "Quand j’étais interne et que je remplaçais dans les années 2013-2014, je voyais déjà les secrétaires et les assistantes se faire enguirlander à longueur de journée. Quand j’ai commencé mon activité, elles étaient tous les jours agressées verbalement au téléphone, se souvient le praticien. Et puis cette agressivité s’est petit à petit transposée des secrétaires et assistantes aux médecins." Le plus jeune président d’un CDOM, élu en janvier 2021, identifie deux raisons à cette montée fulgurante de la violence. D’abord, la démographie médicale : "Pourquoi vous ne me recevez pas, Docteur ?" "Pourquoi vous ne prenez pas de nouveaux patients ?" Cette agressivité "vient de l’incompréhension", analyse le Dr Cottet. "Les patients ne comprennent pas que le médecin n’y est pour rien dans le fait que le Gouvernement n’a rien fait depuis trente ans. Et que ce n’est pas sur les médecins qui travaillent dans un désert qu’il faut crier. Qu’ils aillent hurler sur le médecin qui se dore la pilule à Marseille ou à Aix-en-Provence, où ils sont trop nombreux, je veux bien. Mais sur les jeunes qui ont fait le choix d’être dans des déserts…" Et puis il y a toutes les autres agressions...

Celles que subissent de nombreux médecins et professionnels de santé, où qu’ils soient – désert ou oasis. Celles commises par "des patients qui veulent quelque chose à tout prix du médecin, mais que ce dernier ne fait pas parce que l’exercice de la médecine est indépendant, garantit par le code de déontologie". "On fait ce qu’on veut, même quand on est salariés. On exerce la médecine indépendamment des pressions, dont celles des patients. Ce n’est pas parce qu’un patient soutient qu’il a besoin d’un arrêt de travail de 15 jours ou de tel traitement que le médecin doit le faire", tient-il à rappeler, excédé par les comportements inappropriés. Fin janvier, un généraliste de Créteil en a fait les frais. Parce qu’il refusait d’étendre l’arrêt de travail d’un patient, estimant que cela n’était justifié sur le plan médical, le praticien s’est littéralement fait tabasser en pleine consultation. "Nous nous sommes retrouvés dans le couloir en confrontation nez à nez. Il s'est mis à hurler. Je ne suis pas du genre à me laisser impressionner donc j'ai haussé le ton pour lui expliquer qu'il fallait se calmer. Cela ne lui a tellement pas plu qu'il s'est mis, sans crier gare, à me taper dessus, à me prendre pour un punching-ball", racontait à France 3 le généraliste, qui s’en est sorti avec une fracture du nez et à 12 jours d’ITT. Si les agressions subies par les médecins n’atteignent pas systématiquement le même niveau de violence, elles sont tout autant inquiétantes par leur récurrence. "Je reçois tout le temps des témoignages de confrères qui me disent : ‘Le patient m’a agressé parce que je ne lui ai pas fait ceci ou cela’", rapporte le Dr Cottet, qui constate une certaine forme de "résignation" chez certains.

  "Le médecin n’a plus la place qu’il avait avant" Pour l’allergologue, si la violence s’accentue, c’est parce que le médecin n’est plus respecté. "Il y a une déconsidération complète de la profession. Le médecin n’a plus la place qu’il avait avant, clairement, il faut le dire. Il faut mettre les deux pieds dedans. Il n’y a pas un syndicat qui est capable de le dire, ni même le Cnom [Conseil national de l'Ordre des médecins, NDLR], mais c’est une vérité : nous ne sommes plus des notables. Avant, la population nous respectait. Je ne parle pas de prendre pour véritable tout ce que le médecin dit. Je ne protège pas les confrères qui parlent mal à leurs patients ou expliquent mal les traitements et maladies. Mais, dans la position sociale, on avait un certain respect, comme pour le maire, l’instituteur, le notaire, les notables des villes. Maintenant, c’est fini. Nous sommes des personnes parmi tant d’autres." Pour le jeune praticien, qui dit ne pas avoir connu cette époque, d’autres professions sont, elles aussi, touchées par cette perte de respect, les professeurs par exemple. La faute, estime-t-il, aux politiques qui ont déconsidéré la profession ces dernières décennies. "Je ne suis pas généraliste, mais je les défends : quand vous avez une consultation qui est à 25 euros, c’est valorisant ? C’est valorisant d’avoir une consultation qui coûte le prix de deux paquets de cigarettes ? C’est ça la médecine en France ? Le reste de l’Europe est à 50 euros et vous allez chez le médecin, vous ne dépensez rien ? Comment vous voulez avoir du respect pour quelqu’un à qui vous donnez un billet de 20 balles et que vous êtes remboursé en 48 heures ? C’est de la déconsidération totale." "Les médecins sont devenus un produit de consommation", conclut-il, amèrement. "Et la médecine, un droit. Il n’y a aucun devoir en France. Les Français estiment qu’ils cotisent donc ils y ont le droit." Pour les vols, c’est la même logique, soutient le Dr Julien Cottet : "Beaucoup de patients croient qu’on appartient à l’Etat, que le matériel n’est pas à nous, mais que c’est la Sécurité sociale, derrière, qui rémunère. Ils ont l’impression que ce sont leurs cotisations qui paient, c’est pour cela qu’ils se servent." A quelques mois de l’élection présidentielle, le praticien engagé veut faire bouger les choses. Dans un manifeste qu’il a rédigé pour les candidats, il demande que les médecins libéraux soient traités de la même façon que les hospitaliers, notamment en ce qui concerne la sévérité des sanctions envers le ou les agresseur(s). "Si un médecin hospitalier se fait agresser, le patient qui l’a agressé a fait un acte avec circonstance aggravante car il s’agit d’un fonctionnaire en exercice de ses fonctions. Le médecin libéral qui se fait agresser, c’est comme si vous agressiez n’importe qui dans la rue. Quand on agresse un médecin, quel qu’il soit, ça doit être une circonstance aggravante."   "On a monté les gens contre nous" Dans ce même manifeste, qu’il a rédigé en son nom après s’être concerté avec les syndicats de pharmaciens et la médecine du travail et avoir sondé 110 généralistes et une trentaine de spécialistes de son département, il suggère également des actions immédiates pour répondre aux demandes de soins de la population française. "Il faut deux ans pour former une infirmière en pratique avancée, c’est trop long." Alors que 7 départs de généralistes ont été annoncés pour 2022 rien qu’à Chartres, le Dr Cottet ne se voit pas rester les bras croisés. "Ça va être une catastrophe sanitaire : que vont faire tous les petits vieux qui ont des traitements chroniques ? Il y a une urgence". Il propose notamment d’accélérer les transferts de compétences, et "massivement". Il juge, en effet, "hallucinant que l’on continue à mettre la pression sur le médecin, et de tout centraliser sur le médecin". "Ça veut dire que tout papier doit être fait par le généraliste, mais c’est la profession la plus déficitaire qu’il existe… Vous voyez l’énormité dans laquelle on vit ? Ça me rend fou." "Quand vous avez 22,4% de patients notre département [l’Eure-et-Loir] qui n’a pas de médecin traitant, les patients deviennent forcément agressifs, martèle l’allergologue. Comment voulez-vous qu’ils ne le soient pas ? Imaginez, si votre enfant est malade, que vous dites à votre employeur que vous prenez deux jours de congés enfant malade et qu’il vous demande un certificat, vous le faites où ce certificat ? Ils font comment ? Ce sont des actes de la vie quotidienne. C’est du concret. Pour l’élection, il va falloir que l’on se demande ce que l’on fait pour ces gens-là." Dénonçant le fait que "tous les Gouvernements successifs [aient] petit à petit rejeté la faute sur les médecins", les rendant responsables des problèmes d’accès aux soins, le Dr Cottet appelle aujourd’hui à une prise de conscience. "Il va falloir que les médecins soient écoutés. Sinon, on dévissera tous les plaques, car les agressions, l’agressivité, l’incompréhension vont en grandissant."  

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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