Remplacement des internes : pourquoi l'Isni déclare la guerre à l'Ordre
Les internes remplacent-ils trop tôt dans leur cursus ? C'est la question qu'Egora vous posait en juillet 2019, alors que le débat agitait la profession. La réforme du 3e cycle, mise en œuvre en 2017, a en effet débouché sur l'allongement de l'internat de plusieurs spécialités et sur leur découpage en trois phases (socle/approfondissement/consolidation), entrainant une réévaluation des critères d'obtention des licences de remplacement. A l'heure actuelle, elles sont fixées par décret, spécialité par spécialité : pour les DES en cinq ans, six semestres validés sont nécessaires ; pour les DES en quatre ans, cinq semestres sont requis. Pour le DES de médecine générale, qui ne dure que 3 ans et compte deux phases seulement (socle et approfondissement), trois semestres, dont un stage de niveau 1 au cabinet, sont demandés. Insuffisant pour le Collège national des généralistes enseignants (CNGE), qui milite pour que la licence ne soit octroyée qu'après la réalisation du stage ambulatoire en "autonomie supervisée" (Saspas), effectué en troisième année d'internat. "Quand on estime que deux stages ambulatoires sont nécessaires pour avoir la compétence pour exercer, on ne peut pas dire qu'un seul suffit pour remplacer", résumait le Pr Vincent Renard, président du CNGE. Pour trancher, le ministère avait chargé l'Ordre des médecins de mener une concertation.
Le sujet était alors tombé aux oubliettes… jusqu'à ce que l'Intersyndicale nationale des internes (Isni) déterre la hache de guerre, le week-end dernier. Le syndicat a lancé une pétition demandant le maintien des conditions actuelles de remplacement, que l'Ordre appellerait à durcir dans son rapport. Un rapport dont l'Isni a pu obtenir copie et qu'Egora a pu consulter, près d'un an après sa remise au ministère. Adopté en session du 11, 12 et 13 décembre, le document aurait en effet été "perdu" avenue de Ségur, entre deux changements d'équipes. "Il a été retrouvé il y a deux semaines", nous indique Gaetan Casanova, président de l'Isni. Que dit ce rapport ? Que pour la médecine générale, les enseignants, les doyens, mais aussi l'Isnar-IMG et Reagjir souhaitent que l'octroi de la licence de remplacement soit conditionné à la validation du Saspas. A l'inverse, l'Isni et les syndicats de médecins libéraux plaident pour le statut quo. "Une étude réalisée par le Conseil national de l’Ordre des médecins indique que si les internes sont susceptibles de demander une licence de remplacement dès le 3ème semestre, dans leur très grande majorité, les internes en médecine générale ne réalisent des remplacements qu’après le cinquième semestre", souligne le rapport. Sur les 16 069 licences octroyées à des internes de MG entre 2010 et 2018, 2900 seulement l'ont été dès le 3e semestre validé, 4452 à l'issue du 4e semestre, 4351 après le 5e et 4366 à la fin de l'internat. Pas de risque de "tensions" sur l'offre de soins en cas de durcissement des conditions de formation, donc. "Au-delà de cette étude, la qualité des soins dus aux patients en tous points du territoire, la sécurisation de l’exercice et la logique de faire un stage en autonomie supervisée avant un exercice en responsabilité plaident pour la validation du stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (« Saspas ») comme prérequis du remplacement." C'est donc ce que recommande l'Ordre dans son rapport. Pour les autres spécialités, la grande majorité des CNP consultés par l'Ordre (22 sur 24) sur le sujet "souhaitent la validation de la phase d'approfondissement". Mais "constatant des désaccords et compte tenu des risques de fragilisation de l’offre de soins disponible dans certaines spécialités", l'Ordre "recommande une phase transitoire suffisamment longue (3 ans) pour toutes les spécialités où cette mesure conduit à retarder le début du remplacement". A terme, souligne l'Ordre, "une évolution de la maquette de formation en médecine générale est nécessaire" afin qu'elle intègre également une phase de consolidation, "au besoin en ajoutant une 4ème année au DES de médecine générale".
Au lieu de mépriser les internes, ne faut-il pas avant tout balayer devant sa porte @ordre_medecins?@Courdescomptes proposait en 2019 de réformer le CNOM : gestion obscure des cotisations des médecins, parité non respectée et impartialité douteuse.. https://t.co/FvEnMG06Cm
— ISNI - InterSyndicale Nationale des Internes (@ISNItwit) December 14, 2020
Suite à ce rapport, le ministère rédige un projet de décret, listant pour chaque spécialité, les "conditions de niveau d'études" requises pour la licence de remplacement. "Il y avait quelques ajustements à faire, mais dans l'ensemble il était pas mal", commente Gaetan Casanova. Pour la médecine générale, la règle des 3 semestres validés restait de mise, a pu constater Egora. Mais l'Ordre aurait jugé le texte "inacceptable". "C'est ce que m'a rapporté le conseiller formation d'Olivier Véran, Philippe Morlat", précise le président de l'Isni. Pour le syndicat d'internes, l'Ordre a "dépassé les bornes" en prenant position au-delà de sa mission de concertation.Et ce au détriment des jeunes médecins, qui comptent sur les remplacements pour mettre du beurre dans les épinards. "On commence à remplacer quand on a des enfants, qu'on achète un bien immobilier, qu'on veut financer un DU. Ce n'est pas avec notre salaire d'interne qu'on a qu'on peut le faire", lance Gaëtan Casanova. Si on travaille 70 heures par semaine, ce n'est pas pour l'amour inconditionnel de la médecine." Le président de l'Isni souligne enfin que le remplacement par les internes ne génère pas de risque particulier, ce que le rapport de l'Ordre reconnaît. Enfin durant la première vague de Covid, rappelle Gaëtan Casanova, "des lignes de garde entières ont tourné avec les internes remplaçants". Sollicité par Egora, le Cnom n'a pas souhaité faire de commentaire, "ni sur le rapport ni sur la démarche de l'Isni".
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