Problématique omniprésente dans leurs cabinets, les médecins généralistes sont actuellement débordés par la demande de certificats médicaux incessante, liés ou non au Covid-19. Généraliste à La Chapelle d’Armentière près de Lille, le Dr Barbara Trailin témoigne de son quotidien ultra-chargée en ce début d’année scolaire et de son sentiment d’être “juge” face aux patients. Elle appelle le ministère à prendre des positions claires pour les soutenir. Après des mois de cabinets vides et délaissés, la rentrée est difficile pour les médecins généralistes. Submergés par les habituelles consultations de début d’année, demandes de certificats médicaux en tout genre et par les patients qui reviennent consulter après confinement et vacances d’été, ils doivent également gérer la course aux certificats “Covid”. “Non contagion”, “non contre-indication” à l’école, au travail, “contre-indication” au port du masque, soustraction à l’obligation vaccinale… Les demandes sont nombreuses, et la gestion de la campagne de dépistage par le Gouvernement n’arrange rien. Olivier Véran reconnaissant lui-même “des embouteillages” dans la course aux tests, écoles et entreprises exigent de la part des praticiens des attestations prouvant qu’enfants et adultes sont autorisés à retourner étudier ou travailler. Malgré quelques rappels de l’Ordre des médecins, les généralistes sont laissés seuls et relativement démunis face à cette situation. La plupart sont donc “débordés”, comme en témoigne le Dr Barbara Trailin, médecin généraliste à la Chapelle-d’Armentières, dans la métropole lilloise. Dans la longue liste des certificats exigés en cette rentrée, il y a d’abord ceux liés au Covid, qui, en plus de créer des files d’attente devant les centres de dépistage, en créent également dans les cabinets en ville. Les crèches, écoles, collèges et lycées rendent la tâche particulièrement difficile aux médecins. “Pour les crèches, ca a été extrêmement compliqué, une vraie source de conflit. En août, alors que les enfants ne s’étaient même pas encore côtoyés, on nous demandait des certificats de non-contagion pour remettre les enfants dans les établissements. Mais heureusement, les directives ont changé. A la fin du mois, une nouvelle directive a été publiée. A partir de là, une attestation des parents disant qu’ils avaient consulté un médecin et que le test PCR n’était pas utile était suffisante”, se rappelle le Dr Trailin.
La médecin est même allée jusqu’à contacter directement une directrice de crèche. “Elle m’a répondu que ce n’était pas elle, mais les médecins de PMI qui édictent les règles. Il fallait qu’elle se protège vis-à-vis des parents. Maintenant que les directives ont changé, j’imprime le papier de l’Ordre au lieu de faire un certificat”, explique-t-elle. Du côté de l’école élémentaire, au moindre nez qui coule, toux, ou maux de tête, les certificats de non contre-indication au retour à l’école ont été demandés en masse par les parents début septembre. A tel point que l’Ordre a dû publier une mise en point rappelant que la demande des établissements ne reposait sur aucune obligation légale. De quoi soulager - un peu - les généralistes. “Il est très difficile de dire non aux patients” Si la situation semble avoir été prise en main pour les enfants, celle des adultes en revanche pose encore beaucoup de problèmes… “L’Ordre a publié un communiqué en disant qu’il n’est pas admissible non plus de faire des certificats de non-contagion ou de certificat prouvant le fait que l’employé peut retourner au travail”, rappelle la praticienne. “Mais, il est très difficile de dire non aux patients et les laisser se débrouiller. S’il ne se présente pas à son travail, il risque de ne pas être payé, d’avoir des problèmes avec son employeur et toutes ces problématiques-là, on y fait aussi face. Le patient peut revenir en consultation parce que cela ne se passe pas bien, qu’il y a un conflit dans l’entreprise. Et nous, on n'a pas envie d'embêter les gens”, regrette-t-elle. Alors, lorsque les patients viennent la consulter pour un certificat Covid, elle leur imprime également les documents de l’Ordre. “Attention, certaines consultations sont justifiées dans ce cadre : les arrêts de travail, les accidents de travail, qui nécessitent une absence, nuance-t-elle toutefois. Mais les certificats pour ‘on doit faire ci ou ça’, ‘je suis apte ou pas apte’, ce n’est plus d’ordre médical. ll faut leur expliquer qu’un patron n’a pas à leur demander cela. Dans ce cadre-là, ce n’est pas évident d’agir le plus raisonnablement et le plus justement possible”. Même si la praticienne constate que le message “commence à passer”, elle affirme voir encore “beaucoup de patients” pour ce motif. Et même de devoir faire face à des situations compliquées. “Par exemple, j’ai une patiente dont le fils a des symptômes et doit se faire tester. Mais quid d’elle-même, qui n’est pas cas contact à proprement parler ? On demande au jeune homme de rester chez lui mais la maman est embêtée, son employeur ne veut pas, mais elle doit le garder. Elle risque d’avoir des symptômes”, raconte le Dr Trailin. “On ne peut pas le justifier en arrêt maladie, à la rigueur en congé enfant malade. Mais du coup, cela ne se justifie pas pour les deux parents. Et dans le contexte actuel, on ne peut pas se permettre d’arrêter tout le monde. D’autant que si l’enfant doit être hospitalisé par exemple à la fin de l’année, il ne restera plus rien du congé enfant malade.”
Comment décider de l’âge auquel l’enfant peut se garder seul à la maison, malade ? Qui arrêter ? Telle ou telle personne est-elle apte ? La médecin regrette d’être placée dans le rôle d’une “juge”. “Je n’ai pas à juger, en tout cas je ne me permets pas de juger de ce qu’il se passe à la maison. J’estime que c'est la responsabilité de chacun”, affirme-t-elle. Perte de temps médical Loin de cacher son ras-le-bol, le Dr Trailin rappelle que cette multitude de consultations entraîne une perte de temps médical. “C’est scandaleux. On essaie de lutter contre ce phénomène en faisant remonter nos inquiétudes au CDOM. Mais pour l’instant, ce qui remonte, c’est juste ‘on en a marre de faire des certifs’”, estime la médecin. A tout cela s’ajoutent également les demandes de certificats de contre-indication au port du masque. “Je n’en ai pas vraiment eu, mais quand c’est suggéré, cela vient de la part de patients qui sont les plus à risque”, poursuit la praticienne, qui explique faire de la pédagogie dans ces cas-là. Idem pour les certificats de soustraction à l’obligation vaccinale, même s’il est hors de question, à ses yeux, de fournir un tel document.
Et puis… qui dit rentrée, dit nécessairement ré-inscriptions aux activités péri-scolaires. Une charge de travail qui s’ajoute aux certificats Covid. “On se demande l’intérêt de certains”, ne cache pas le Dr Trailin. “Les échecs par exemple, pour ne pas les citer”. Même réflexion pour les certificats de la Fédération française de Football, qui fournissent un papier avec l'en-tête pour réaliser la certification. Document régulièrement oublié par les parents et qui doivent donc repasser chercher le certificat avec le bon bandeau suite à leur consultation. Sans compter le fait que beaucoup de familles ignorent qu’un certificat pour une licence est valable pour trois ans, et qu’il n’y a pas forcément besoin de repasser par le cabinet à chaque rentrée. Enfin, la médecin pousse aussi un coup de gueule contre les assurances. “Avec le déconfinement, il y a eu pas mal de logements achetés. On nous demande de remplir des certificats d’assurance, ou de les remplir pour des gens qui ont été en arrêt. Comme à chaque fois, j’imprime le document de l’Ordre. Mais par exemple, ça n’a pas été suffisant pour une de mes patientes. Du coup, j’ai refait un message pour leur expliquer qu’ils ont des médecins qu’ils paient cher, pour s’en occuper. Pendant ce temps, on perd le nôtre”, juge-t-elle.
Appel au ministère La généraliste attend donc du ministère une “prise de position” claire pour soulager les médecins généralistes, sur lesquels tout repose. D’autant que dans quelques semaines va débuter la période de la grippe et de la gastro. “J'espère vraiment qu’il y aura plus de communication par les organismes officiels, toutes les institutions dont on peut dépendre. Là, en attendant, je répète tout à chaque fois, à tous mes patients, depuis un mois”, confie-t-elle, agacée.
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