Médecin généraliste à Aubusson (Creuse), le Dr Jean-Louis Vaurs a été condamné début juillet pour non-assistance à personne en danger suite au décès du petit Gabin, mort de dénutrition en 2013, à l'âge de 22 mois. Le médecin traitant de l'enfant, qui l'avait vu en consultation à sept reprises entre ses six mois et les sept semaines précédant son decès, a écopé de neuf mois de prison avec sursis et 8.000 euros de dommages et intérêts. Il dénonce aujourd'hui un procès à charge et la volonté de faire de lui un exemple parmi les médecins. Il revient sur l’affaire et se confie en exclusivité à Egora. “Je suivais la famille comme médecin traitant depuis quelque temps, puisque j’avais diagnostiqué la maladie de Crohn de la mère. J’ai suivi le père depuis qu’il était avec elle, le frère ainé… Et je n’ai jamais eu de problème. Elle m’a donc amené le dernier de ses fils au bout de ses six mois, puisqu’entre temps, elle était partie consulter sur la capitale creusoise. J’ai toujours vu cet enfant hyper bien tenu. Je l’ai vu à sept reprises depuis ses six mois jusqu’à sept semaines avant son décès, pour des banalités comme des rhinites. Je n’ai jamais soupçonné quoique ce soit. Rien du tout. J’ai appris son décès par la gendarmerie, qui m’a auditionné suite au décès. J’ai ensuite été mis en examen par la juge d’instruction en décembre 2016. Au début, je n’ai pas bien compris, je ne savais pas ce que je venais faire dans l’affaire. Je n’ai jamais vu de signes inquiétants chez ce gamin et donc je ne voyais pas en quoi je pouvais être coupable de quoi que ce soit. Au moment où j’ai été mis en examen, j’ai contacté ma responsabilité civile qui m’a fourni un avocat d’office si j’ose dire, avec lequel je suis allé devant la juge d’instruction. Je pense que c’est à partir de là que ça s’est mal passé… J’ai eu une instruction entièrement à charge, et non à charge et à décharge. Mon avocat n’a rien dit pendant l’audition, je suis tombé sur une personne qui s’est contenté d’être présente et n’a pas ouvert la bouche.
Toutes les questions qui m’ont été posées ne mettaient en avant que mon éventuelle responsabilité dans cette histoire. La juge s’est basée sur les résultats d’une expertise médicale qui m’a assassiné dès le départ. Tout ça, c’était en décembre 2016. J’ai été reconvoqué un an plus tard, avec ce même avocat. Mais, j’ai décidé d’en changer quand j’ai reçu les conclusions de la juge d’instruction qui me convoquait devant la cour d’assises directement parce que les faits de non-assistance à personne en danger étaient connexes avec le crime des parents [condamnés à 17 ans de réclusion criminelle, NDLR]. "Il m'a été reproché de ne pas l'avoir déshabillé... je l'ai fait" Pourtant, je tiens à signaler que je n’ai jamais eu la moindre confrontation avec les autres intervenants de l’affaire, en particulier les parents et les grands-parents. Tout ce que j’ai pu dire à l’audience, ils n’en ont pas tenu compte. Il faut savoir que les grands-parents n’ont pas été inquiétés alors qu’ils avaient vu le gamin une semaine avant le décès. D’après ce que j’ai pu lire dans le dossier d’instruction, il avait perdu 30% de son poids dans les sept dernières semaines. Ils ont dû voir quelque chose… Il m’a été reproché de ne pas l’avoir déshabillé. Je l’ai fait, ça a été reconnu par les parents et ça n’a pas non plus été retenu par la juge. Moi, j’ai été mis en examen parce que j’aurais dû agir beaucoup plus énergiquement quand j’ai vu le gamin, selon son poids. En fait, je ne m’en suis pas aperçu. Quand je voyais cet enfant je me fiait à son aspect extérieur. Et son aspect extérieur était parfait. Il ressemblait à tous les autres, tout à fait propre… Si j’avais pu avoir accès au logement des parents, j’aurais peut-être pu agir différemment. Parce que leur logement, c’était une porcherie d’après les photos que j’ai vu dans le dossier d'instruction. "Quand je prescris quelque chose, je me demande si je n’aurai pas d’emmerdes… " Pendant le procès, j’ai plaidé l’erreur d'appréciation parce que je me suis trompé. J’étais devant un gamin qui avait toutes les apparences d’un gamin normal et qui paraissait très intéressé par ses parents, il se réfugiait dans leurs bras. Il était comme tous les autres gamins que je vois à cet âge-là. Il ne m’a pas paru du tout en danger. Je n’ai rien, mais rien vu venir. C’est donc là où je n’ai pas apprécié l’état de danger. A l’heure actuelle, je m’en veux de ne pas avoir vu son état. Mais, en y réfléchissant, je ne suis pas sûr, que dans les mêmes conditions, je n’aurais pas fait les mêmes erreurs. Parce que cet enfant était vraiment d’un aspect tout à fait “parfait”.
Je plains les jeunes, je plains ceux qui vont exercer la médecine dans les années futures. Jusqu’à présent, le médecin avait une obligation de moyens, mais n’avait pas d’obligation de résultats. Or là, il semblerait qu’on arrive à une obligation de résultats. Donc, je les plains. Il y a un déficit de médecine en France, une crise des vocations devrais-je dire, mais elle ne va pas s’arranger. Là, moi, actuellement, je vois les résultats de ce procès et j’hésite grandement à faire médecin. D’ailleurs, dans mon cas personnel, j’ai décidé d’arrêter de travailler. J’en ai discuté avec mon associé, bien sûr, je ne vais pas arrêter immédiatement pour ne pas le pénaliser. Je vais arrêter dans un délai de neuf mois à un an. Maintenant, quand j’exerce, je suis un peu plus inquiet. J’en arrive à moins voir l’intérêt du patient et encore plus mon intérêt personnel. Je caricature, mais quand je prescris quelque chose, je me demande si je n’aurai pas d’emmerdes. Je n’ai pas été suspendu par l’Ordre et je ne sais pas ce qu’il va advenir. Au vu du jugement, le président du conseil de l’Ordre va décider s’il transmet cette affaire à la chambre disciplinaire, ou pas. Je n’ai pas encore de nouvelles. Mon agenda en revanche est toujours plein. Aucun de mes patients ne m’a vilipendé. Un ou deux sont partis, mais cinq ou six sont arrivés. Quelques-uns m’ont proposé de faire une pétition, mais à quoi bon ? Je ne vois pas l’intérêt. "Il fallait un exemple" Je n’ai toujours pas digéré cette condamnation. Je la subis, parce qu’elle est souveraine, mais sans l’accepter. J’ai toutefois décidé de ne pas faire appel et ceci pour deux raisons. J’ai d’abord pris contact avec ma famille, mes amis proches qui sont médecins et qui m’ont dit d’arrêter là. Et deuxièmement, vu les attendus du jugement qui m’ont interloqué et sidéré, je ne suis pas certain qu’un appel aboutisse à quelque chose de plus. Sachez qu’il n’a pas été retenu d’erreur de diagnostic pour deux raisons la première, c’est que j’avais reconnu tardivement lors de la dernière audition par le juge que j’avais fait une erreur de diagnostic. J’ai été trop tardif… Si l’un des lecteurs d’Egora est poursuivi pour non-assistance pour personne en danger, il faut qu’il rentre dans le cabinet du juge en disant “j’ai fait une erreur médicale”. Deuxièmement, je n’ai pas suivi de formation médicale continue en pédiatrie parce qu’il n’y en a pas au programme dans ma région. Pourtant je me forme énormément, je suis même en avance. Mais comme je n’en ai pas fait en pédiatrie, je n’ai donc pas l’attitude, c’est ce qu’ils ont dit, d’une personne qui a fait une “erreur de diagnostic”.
La traduction, c’est que je n’ai donc pas fait d’erreur et laissé sciemment cet enfant mourir. C’est tout à fait contraire à ce qui m’anime en tant que médecin. Je suis en colère, très en colère. C’est irréel. J’ai consacré plus de 45 ans de ma vie au service des autres, à assister les autres. Et là, on m’accuse sciemment de ne pas avoir porté d’assistance à un gamin. Il fallait un exemple, je fus et je suis cet exemple. C’est mon sentiment.”
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