Études, hôpital, médecine de ville : retour sur une année de bouleversements
"On n'a jamais vu autant de dossiers, de chantiers ouverts en même temps", soulignait la semaine dernière Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP). "C'est même ingérable pour les équipes : c'est deux-trois réunions par semaine… sur la MCO, la psy, la HAD, la dialyse, le public, le privé, les transports, etc." Même essoufflement du côté des syndicats de médecins, qui, au premier semestre, ont dû suivre simultanément les travaux parlementaires sur le projet de loi de santé et participer aux négociations conventionnelles sur les assistants médicaux (avenant 7), l'exercice coordonné et les CPTS. Sans oublier la réforme des 1er et 2e cycles des études médicales, encore en cours d'élaboration... C'est dire l'ampleur du chantier ouvert il y a tout juste un an par Emmanuel Macron, lors de son discours fondateur du 18 septembre 2018 sur le plan "Ma Santé 2022". Cinq chantiers prioritaires ont été définis : qualité des soins et pertinence des actes, organisation territoriale, modes de financement, ressources humaines et formation et numérique. Suppression du numerus clausus et la Paces : le système actuel, critiqué pour le "gâchis humain" qu'il engendre, vit ses dernières heures, enterré par la loi de santé. Le futur système doit encore être défini par décrets, mais on en connaît déjà les grandes lignes. À compter de la rentrée 2020, la Paces laissera place au "Portail santé", principale voie d'accès aux études de médecine, où le redoublement ne sera plus permis. Certains étudiants issus de licences avec "mineure" santé pourront accéder directement en 2e ou 3e année de médecine par une voie parallèle, l'objectif étant de diversifier les profils. Le numerus clausus est supprimé, au profit d'un "numerus apertus", laissant (un peu) plus de latitude aux facs de médecine. Le nombre de carabins formés pourrait augmenter de 20 %.
Suppression des ECN et réforme du 2e cycle : devant l'incapacité des acteurs à mener de front deux chantiers de refonte des études de médecine, le Gouvernement a dû décaler d'un an sa réforme du 2e cycle. Visant à mieux prendre en compte le parcours, les compétences et les aspirations des étudiants dans l'attribution des postes d'internat, elle n'entrera en vigueur qu'à la rentrée 2020. Le couperet des ECN tombera donc encore jusqu'en 2022… "Modernisation" du statut de praticien hospitalier : la loi de santé a habilité le Gouvernement à créer par ordonnance un statut unique de PH, en remplacement des statuts temps plein/temps partiel, et à supprimer le concours national. L'objectif est à la fois de faciliter l'entrée dans la carrière, de promouvoir l'exercice mixte et de mieux reconnaître la diversification des missions. Dans le flou, les syndicats redoutent les effets pervers d'une sélection locale et demandent l'ouverture de négociations salariales pour restaurer l'attractivité des carrières hospitalières. Reconnaissance des paramédicaux : il s'agit à la fois de "rémunérer" les nouvelles pratiques avancées infirmières (pathologies chroniques, maladies rénales, oncologie, psychiatrie et bientôt urgences), et d'actualiser les référentiels d'activités et de compétences des aides-soignantes. Si les négociations conventionnelles sur la rémunération des IPA libérales sont en passe d'aboutir, celles des IPA salariées n'ont toujours pas démarré. Quant à la réingénierie de la profession d'aide-soignante, elle est en cours et prévoit de transférer 27 actes infirmiers aux aides-soignantes.
1000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) en 2022 : Emmanuel Macron a fixé un objectif ambitieux de 1000 CPTS créée d'ici 2022. Le cadre de financement a été défini avant l'été dans un accord cadre interprofessionnel : jusqu'à 360 000 euros pourront être octroyés annuellement à une CPTS. Trois missions socles ont été définies : améliorer l'accès aux soins (trouver un médecin traitant aux patients du territoire qui en sont dépourvus, organiser la prise en charge des soins non programmés en journée), organiser les parcours et améliorer la prévention. Le ministère recense d'ores et déjà entre 300 et 400 projets ; le premier conventionnement tripartite avec l'ARS et la CPAM "interviendra mi-septembre avec la CPTS de Vénissieux" (Rhône-Alpes). 2000 structures d'exercice coordonné conventionnées d'ici 5 ans : "L'exercice isolé sera marginal, il sera l'aberration", a déclaré Emmanuel Macron il y a un an, prêt à activer le levier de "l'incitation financière". "Nous avons augmenté, en deux ans, de 37% le nombre de maisons de santé pluriprofessionnelles et de 21% celui des centres de santé", précise la ministre de la Santé dans Le Figaro du 17 septembre. 400 postes de médecins généralistes salariés dans les déserts : censés être dépêchés dès 2019 dans les territoires prioritaires, ces MG à exercice partagé ville-hôpital se font attendre… Une soixantaine de médecins seulement ont été recrutés, dont 13 à l'AP-HP. "Nous allons les chercher un par un, car nous voulons être certains qu'ils restent", justifie Agnès Buzyn, qui escompte de nouvelles embauches avec "la sortie de l'internat en novembre". 4000 assistants médicaux en 2022 : les missions et le financement de ces assistants, à mi-chemin entre l'administratif et le soin, ont été définies par l'avenant 7 à la convention médicale. L'aide à l'embauche (jusqu'à 36 000 euros par an) s'accompagne de contreparties pour les médecins bénéficiaires, notamment sur l'augmentation de la file active, puisque l'objectif est de "libérer du temps médical". "Les premiers recrutements interviendront dès ce mois-ci", promet le ministère. Un optimisme qui n'est guère partagé par les syndicats de médecins libéraux : les CPAM, qui n'ont pas encore rassemblé les données nécessaires, seraient loin d'être prêtes à signer des contrats… Gradation des soins : Emmanuel Macron a souhaité réorganiser la carte hospitalière en "trois niveaux" de soins : soins de proximité, soins de recours, soins de pointe (CHU). La loi de santé crée ainsi les "hôpitaux de proximité". Ces établissements exercent une activité de médecine, offrent des consultations de diverses spécialités, donnent accès à des plateaux techniques d’imagerie et de biologie médicale" mais "n’exercent pas d’activité de chirurgie ni d’obstétrique". En fonction des besoins de la population et "de l'offre de soins", ils peuvent néanmoins être amenés à assurer des urgences, des activités prénatales et postnatales et des SSR, ainsi que des soins palliatifs. "À titre exceptionnel", ils pourront proposer de la chirurgie. Entre 500 et 600 établissements seront "labellisés" au cours du premier semestre. Le régime des autorisations d'activités (urgences, maternités, réanimation, imagerie, chirurgie) doit être revu en parallèle.
Montée en puissance des GHT : la loi de santé dote les groupements hospitaliers de territoire d'une CME, qui sera obligatoire au 1er janvier 2021. Elle leur transfère la gestion des ressources humaines et instaure un droit d'option, pour permettre aux GHT qui le souhaitent d'aller plus loin dans la mutualisation. Qualité, pertinence des soins et réforme du financement : ces "chantiers prioritaires" sont ceux qui avancent le plus lentement. Et pour cause : il s'agit de mettre fin au tout T2A. "Il n'y a pas de bascule brutale, reconnaît Agnès Buzyn dans Le Figaro. On est en train, progressivement, de diversifier le modèle." L'enveloppe consacrée au financement à la qualité des établissements hospitaliers a été portée à 300 millions d'euros en 2019. "Cette année, nous allons mettre en place le financement au forfait pour le diabète à l'hôpital, mais pas en extrahospitalier", poursuiy-elle. La consultation menée par la ministre auprès des lecteurs d'Egora sur les pistes du rapport Aubert a en effet mis en exergue les fortes craintes des médecins vis-à-vis des nouveaux modes de rémunération. Les premières mesures de réforme du financement des urgences et de la psychiatrie sont attendues dans le PLFSS 2020.
Virage numérique : la loi de santé a ouvert la télémédecine – redéfinie comme "télésoin" – aux pharmaciens et aux infirmières. Elle a créé un "espace numérique de santé" (incluant le DMP) pour les patients à compter du 1er janvier 2022 et autorise le Gouvernement à généraliser par ordonnance la prescription électronique des arrêts de travail. Mise à jour des nomenclatures et classification générale des actes : pas de nouvelle de ce vaste chantier, qui doit associer les professionnels de santé, la HAS et les sociétés savantes et qui devait initialement être lancé au second semestre 2019. D'ici 2022, il s'agit de toiletter les nomenclatures, parfois illisibles et obsolètes, et "d'accompagner les mesures de qualité et de pertinence des soins".
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