Urgences : les réactions sont mitigées, la mobilisation se poursuit

10/09/2019 Par Yvan Pandelé
Système de santé
Le plan de refondation des urgences dévoilé lundi par Agnès Buzyn comprend 12 mesures destinées à réorienter les patients vers la ville, gagner du temps médical aux urgences et fluidifier l'aval, avec 750 millions d'euros sur la table. Du côté des professionnels, les médecins libéraux s'inquiètent de voir le futur service d'accès aux soins capté par l'hôpital, tandis que les paramédicaux et médecins urgentistes en grève dénoncent une absence d'inflexion réelle.

  Le moins qu'on puisse dire est qu'elle était attendue au tournant. Avec la moitié des services en grève depuis plusieurs mois, les annonces d'Agnès Buzyn pour refonder les urgences avaient un petit goût de dernière chance, après que des années de rapports et de recommandations ont échoué à changer la situation sur le terrain. Les 12 mesures présentées adressent l'ensemble du système de santé, avec quelques idées forces : réorienter les patients vers la médecine de ville, renforcer la place des professionnels de santé non médecins, lutter contre l'intérim médical, fluidifier l'aval des urgences… Dévoilé lundi, le plan est issu des travaux de la mission flash menée par le Pr Pierre Carli (patron du Samu de Paris) et le député LREM Thomas Mesnier (lui-même urgentiste), qui doit donner lieu à un rapport final en novembre. En attendant, les réactions s'accumulent. Contrastées. La médecine de ville devant ses responsabilités Bon gré mal gré, les médecins libéraux sont au cœur du sujet : près de la moitié (43 %) des passages aux urgences pourraient relever des soins de ville, et tout le monde s'accorde à penser que les urgences pâtissent d'une médecine de ville débordée et désorganisée. Les CPTS et les assistants médicaux ont vocation à répondre à ce manquement, en permettant aux libéraux de s'organiser à l'échelle de leur territoire et de répondre à la demande de soins non programmés. Outre ces outils, une des mesures phares du plan concerne les libéraux au premier chef : le fameux service d'accès aux soins (SAS), une plateforme chargée de répondre aux demandes de soins de la population "à toute heure et à distance". Au SAS reviendra donc la responsabilité d'informer et surtout orienter les patients, vers un conseil médical, une consultation de ville, des soins non programmés, les urgences ou les services hospitaliers. Et ce, dès l'été prochain… Les syndicats libéraux dans l'expectative Du côté des syndicats de médecins libéraux, on s'interroge sur ce nouveau service et ses contours, pour l'heure extrêmement vagues. Malgré les garanties de la ministre – "le SAS n'est pas l’extension de la régulation hospitalière à la régulation des soins de ville", a-t-elle déclaré lundi au pupitre –, on craint une mainmise de l'hôpital et une mise sous tutelle de la régulation libérale (le 116 117 expérimenté dans plusieurs départements, avec un bilan contrasté). Dans l'ensemble, les syndicats libéraux attendent donc de voir à quelle sauce ils seront mangés… sans oublier de tendre la sébile. À la CSMF, on estime ainsi que les "médecins libéraux restent dans le flou". Le syndicat historique estime que le SAS "ne doit pas être une organisation centrée sur l’hôpital, sous forme d’un numéro unique issu de la régulation hospitalière", et en profite pour demander une revalorisation de la permanence des soins ambulatoires et des soins non programmés. Idem à la SML, où l'on évoque un dispositif "peu lisible" qui "pose de nombreuses interrogations quant à sa mise en œuvre pratique", sans omettre de remarquer que les 750 millions annoncés sont "en grande partie fléchés sur les hôpitaux publics". Quant à Jean-Paul Hamon, de la FMF, il estime que la véritable urgence est la désertification médicale. MG France voit dans le SAS est une bonne idée, afin d'orienter mais aussi éduquer les patients. "Le SAS préfigure ce qu'on pourrait appeler un mode du bon usage du système de santé pour la population", indique son président Jacques Battistoni. Pas question, en revanche, de laisser les hospitaliers avoir la main haute sur le dispositif : le syndicat généraliste entend bien défendre l'indépendance des libéraux et le 116 117. Le financement de la régulation libérale et des effecteurs sera aussi sur la table. Autrement dit, les négociations à venir sur le SAS s'annoncent chaudes. Des urgentistes toujours divisés Si les syndicats libéraux tendent à s'accorder au sujet des urgences, les syndicats d'urgentistes sont quant à eux plus divisés que jamais. Samu-Urgences de France se dit satisfait de la réforme. "Le problème a été pris à bras le corps, de l'amont à l'aval des urgences, et avec sérieux. Avec 750 millions d'euros sur la table, on peut faire beaucoup de choses", se réjouissait mardi le président de SUdF, le Pr François Braun, sur le plateau de France Info. Et pour cause, la ministre de la Santé tend à épouser dès le départ le point de vue du syndicat, selon lequel que les urgences ne souffrent pas d'un manque de moyens mais de la désorganisation du système de soins. Le Pr Pierre Carli, qui dirige la mission de refondation aux côté de Thomas Mesnier, est d'ailleurs vice-président de SUdF. Mais la réforme est loin de recueillir les mêmes suffrages au sein de l'Amuf, l'autre grand syndicat de médecins urgentistes, bien plus contestataire. "Modifier une organisation, si vous le faites dans un contexte de contrainte budgétaire ça ne marche pas", a tranché son porte-parole Christophe Prudhomme hier sur BFM TV, également responsable CGT. Pour les médecins de l'Amuf, le plan de refondation des urgences n'a aucune chance d'aboutir à une réelle transformation tant que le tabou n'est pas levé : allouer davantage de crédits à la santé en relevant l'Ondam. Or, la ministre est restée singulièrement pudique sur l'origine des 750 millions d'euros alloués aux urgences sur trois ans – l'examen du PLFSS 2020, dans les semaines à venir, devrait permettre de lever un coin du voile. Les grévistes poursuivent le mouvement Une chose sûre, la ministre a échoué à convaincre les premiers concernés : les paramédicaux en grève. Lundi soir, le président du collectif Inter-Urgences Hugo Huon n'avait qu'un mot à la bouche : "c'est désespérant". La ministre ne répond à "aucune revendication de la plateforme nationale et du collectif sur la revalorisation", juge le jeune infirmier de Lariboisière, qui reconnaît "des ponts à droite à gauche sur les relations ville-hôpital" mais estime que le plan esquive le cœur du sujet. "Il n’y a pas d’enveloppe supplémentaire mais une redistribution du budget : ça veut dire qu’ils n'ont pas reculé d’un poil de cul à Matignon", analyse-t-il. Autre déception : contrairement à des rumeurs ayant filtré dimanche dans le JDD, la ministre ne s'est en rien engagée à revenir sur les fermetures de lits. "La fermeture de lits n’est pas une conséquence du budget, c’est un mouvement international lié à la diminution des durées moyennes de séjour dans les hôpitaux [et au tournant ambulatoire], s'est-elle défendue lundi devant les journalistes. "Elle ment dès le départ, ce qui pose le décor", réagit Hugo Huon. "Quand [la ministre] dit qu'il n'y a pas de fermetures de lit pour des raison comptables, n’importe quel directeur dirait exactement le contraire." Réuni en assemblée générale mardi à Saint-Denis, le collectif Inter-Urgences a voté la reconduite du mouvement en fin de journée, avec de nouvelles actions prévue le 26 septembre. Avec une nouveauté : les médecins hospitaliers entrent désormais dans la danse.

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