Non Monsieur le Professeur, la médecine libérale n'est pas coupable : la réponse de Jérôme Marty à Guy Vallancien

01/04/2019 Par Dr Jérôme Marty
"Mes confrères sont en train de tuer leur métier à vouloir tout garder." C'est peu de dire que les mots du Pr Guy Vallancien, publiés il y a peu sur Egora, ont fait réagir la communauté. En proposant de diminuer d'un quart le nombre de libéraux pour rémunérer des généralistes salariés, sans oublier de créer 30 000 "super IPA" dotés de vraies responsabilités, l'éminent chirurgien a mis un coup de pied dans la fourmilière. Plus encore, peut-être, en prophétisant la mort de la médecine libérale, sous l'assaut conjugué des Gafa et de l'évolution des besoins de santé. Ulcéré par ce discours, le Dr Jérôme Marty, président du syndicat UFML, nous a contactés pour nous faire parvenir un texte de réponse. Le voici.

  "Faut-il répondre au Pr Guy Vallancien ? Je me suis posé la question (quelques secondes) et j'ai appelé la rédaction d'Egora pour leur faire part de ma volonté de faire entendre une autre voix que celle d'un expert auto-proclamé du système qui, par ses propos, a blessé nombres de consœurs et de confrères.

Le Pr Guy Vallancien parle, beaucoup, et au travers de ses mots perce un certain mépris pour les médecins de ville, voués selon lui à disparaitre en nombre sous la poussée de l'intelligence artificielle. C'est ce même mépris qui transparait chaque jour dans la bouche de responsables qui font des médecins de villes les coupables des déserts médicaux pour jeter le voile sur leurs propres responsabilités. Ce même mépris qui nait chaque jour du cynisme de politiques qui transforment les conséquences de leurs actes en causes. C'est ce même mépris que nous avons vu exposé dans un amendement de La France insoumise qui face à la pénurie démographique médicale qualifiait les médecins de villes d'ingrats corporatistes. Il est frappant de voir que ce mépris de dizaines de milliers de professionnels qui ont en conscience fait le choix d'un modèle d'exercice, est systématiquement porté par des personnalités qui ne l'ont jamais pratiqué.

Le Pr Guy Vallancien ne fait pas exception à la règle. La médecine générale, il l'a connue sous forme de quelques remplacements effectués il y a près de... cinquante ans. Fort de cette lointaine expérience, il s'exprime en un « nous » lorsqu'il parle de la médecine de ville qui, pense-t-il, renforce son argumentaire. Peine perdue, celles et ceux qui exercent sur le terrain et tiennent à bout de bras un système sanitaire cabossé par les lois santé successives et les pensées d'experts, le savent : Guy Vallancien n'est pas l'un des leurs. Les raccourcis sont une constante. Chez Guy Vallancien et à force d'en user, il se perd...

Sur le paiement à l'acte, il nous apprend que les médecins sont un des rares métiers du soin à être payé à l'acte. Les infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, podologues, orthophonistes, orthoptistes, diététicien(ne)s... apprécieront d'êtres ainsi oubliés par celui-là même qui se fait le chantre de la délégation de tâche. Le paiement à l'acte assurerait un revenu puisque celui-ci « est remboursé par la sécurité sociale » et que la « consommation est captive ». Ce raisonnement, Guy Vallancien n'est pas le seul à le tenir, il s'échoue pourtant sur le mur des réalités. Le développement des pratiques parallèles et autres patamédecines à 50 euros l'acte montrent que le remboursement n'est en rien un critère de développement d'activité. La hauteur des tarifs conventionnés montre la limite du raisonnement. A 25 euros la consultation, 7 euros une fois les charges et impôts déduits, les médecins n'optent pas pour le paiement à l'acte par facilité ni garantie de revenu. Ils le font parce que le paiement à l'acte garantit d'abord leur indépendance et leur liberté de soigner.

Sous une gouvernance administrative du système sanitaire, le paiement à l'acte est un rempart contre toutes les dérives. Penser que le paiement à l'acte est étroitement lié au système conventionnel est une erreur. Au regard des contraintes, de la fonte des avantages et à la lumière d'une réforme qui étatise le système de retraite des médecins libéraux, la volonté d'exercer sous convention ne sonne plus comme une évidence. N'en déplaise au Pr Vallancien, les médecins ne sont pas des salariés de la sécurité sociale.

Guy Vallancien présente le salariat comme une solution aux déserts, faisant fi des 30 % de postes de praticiens hospitaliers vacants à l'hôpital public, de l'espérance de vie professionnelle d'une infirmière à l'hôpital public qui ne cesse de diminuer pour atteindre 8 ans aujourd'hui, du déficit chronique des centres de santé qui ne doivent leur existence qu'à la perception de subventions de différents conseils et institutions, dont l'Assurance maladie. Vient le serpent de mer : le paiement à l'acte serait inflationniste. Pour renforcer cette affirmation, le soudain expert de la rémunération des médecins dégaine un rapport de l'OCDE qui indiquerait que 25 à 30 % « des actes seraient inutiles » oubliant de préciser que ce rapport parle non pas d'actes inutiles, mais de dépense de santé inutiles et inclut en son sein les dépenses administratives et autres corruptions, omettant également de signaler que ce rapport fait référence au pourcentage de dépenses de santé inutiles tous systèmes de santé européens confondus, et par le fait ne peut être utilisé pour prouver quelques dérives que ce soit s'agissant du paiement à l'acte.   Le paiement à l'acte n'a rien d'inflationniste, ce sont les réformes sanitaires successives et leur lot de déplaquages, d'arrêts d'activité et de départs en retraite non remplacés, qui ont entrainé une augmentation d'activité pour nombre de médecins, seul moyen de faire face à une demande en soin toujours plus importante.

Il faut avoir un certain culot pour désigner comme coupable le seul système qui permet de tamponner encore les erreurs successives des experts du système sanitaire. Mais clairement Guy Vallancien ose tout.

Le paiement à l'acte doit au contraire être développé, et pour cela, ses tarifs doivent être revus, très largement, à la hausse pour atteindre la moyenne tarifaire européenne à 50 euros. Cet investissement est la garantie d'une richesse pour la nation en termes d'installations, de maintien et de développement populationnel, d'ouverture de classe, de développement de commerce et d'artisanat, d'aménagement du territoire. Pour cela il est nécessaire de bousculer les dogmes et notamment de revoir, sacrilège suprême, le sacro-saint Ondam, en le vidant de l'enveloppe tarifaire des professionnels de santé.

Non content de supprimer le paiement à l'acte, notre expert multicarte nous annonce la disparition de la liberté de prescription : il lie pour cela l'arrivée des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) et l'entrée des assureurs qui « via ces technologies » vérifieront les ordonnances... C'est précisément parce que la dérive constante de notre système sanitaire est de toujours plus encadrer l'activité sous le seul prisme économique que face à l'exploitation des possibilités numériques, seule l'instauration d'une vraie démocratie sanitaire peut empêcher les dérives. En d'autres termes : Seule une gouvernance véritablement partagée à chaque niveau organisationnel du soin, et au sein de chaque secteur, exercée à parité décisionnelle entre les représentants de l'administration relais de l'état, des soignants élus des professions et des associations de patients libérés de la tutelle de l'État pourra empêcher la dérive d'un soin dirigé par le seul critère économique et garantir le maintien de l'individualisation du soin. Notre expert médical s'attaque aussi à la répartition des médecins sur le territoire. « On ne peut plus supporter qu'il y ait autant de médecins près de l'eau et du soleil. » L'utilisation de cet argument suffirait à disqualifier définitivement son auteur, à moins que celui-ci ne s'exprime coincé dans une bulle d'espace-temps en pattes d'éléphants, les Bee Gees en fond sonore... Laissons-le parler et écoutons-le : « il faut réduire d'un quart le nombre de médecins en dix ans ». Gilles Johanet*, sors de ce corps ! La raison de cette baisse drastique : l'intelligence artificielle qui va se développer et rendre nombres d'actes médicaux transposables en délégations de tâches ou en automatisation...

Il est bon à cet instant d'écouter Éric Sadin, philosophe spécialisé dans le domaine de l'intelligence artificielle, rappeler combien le terme « intelligence artificielle » n'est qu'un abus de langage. Il faut faire preuve d'humilité face à une réalité dont aucun chercheur n'est capable d'expliquer le fonctionnement. Cette humilité est absente du raisonnement de Guy Vallancien, qui une fois de plus n'a pour seule validation de son expertise que son ton affirmatif.

Ce que nous savons c'est que la population va vieillir : en 2010, les seniors européens étaient près de 120 millions. En 2035, ils devraient être 150 millions, du fait de l'augmentation de l'espérance de vie et de l'arrivée dans l'âge senior de plus en plus de baby-boomers, et cela sans compter les progrès de la génomique, des NBIC, de la médecine algorithmique, qui pourraient augmenter encore l’espérance de vie de façon substantielle, ni sur l'éventualité de nouvelles pathologies prenant le pas sur les disparitions d'autres. Ce que nous savons c'est que nous ne savons rien, hormis le fait que le savoir médical et son expression humaine seront plus importants demain qu'aujourd'hui. Les outils changeront, l'homme restera parce qu'il est un rempart face aux risque d'un fascisme numérique dont nous percevons les prémices au travers des délires transhumanistes qui se rient de l'éthique et trouvent l'écoute de dirigeants, attirés comme autant de coléoptères par une lumière aussi vive qu'aveuglante.

Guy Vallancien prône la délégation de tâche rendue demain possible par l'IA, et d'ailleurs il la met en pratique dans son service. Nous voilà donc rassurés par cet argument irréfutable : Guy Vallancien est le médecin random, il étalonne la pratique médicale... Nous ne ferons pas de mauvais esprit en rappelant que celui-ci exerce – exerçait ? avec notre expert on ne sait plus – au sein de l'Institut mutualiste Montsouris, ce qui est aussi proche de l'exercice de ville qu'une brosse d'un hérisson...

A la délégation de tâche, nous préférons le terme d'exercice pluriprofessionnel. Pratiqué sur tout le territoire, cet exercice doit être favorisé, non par l'entrée imposée dans des communautés professionnelles de territoire mais par le désenclavement numérique, le développement de l'attractivité de nos professions, et la construction d'un choc de simplification qui recentre l'exercice sur le soin.

Rappelons-le : dans la réalité, le médecin isolé est aussi fréquent que la cystite psychogène chère à notre expert mutualiste. Développer l'exercice professionnel c'est d'abord permettre les installations, et ramener de la vie soignante dans les territoires. Pour cela il faut, non pas, comme le voudrait notre expert en mode de rémunération, des salaires de 100 000 euros de fait toujours au plus bas de la moyenne européenne, mais beaucoup plus. Nous ne poserons pas ici, la question du salaire de notre généraliste imaginaire, pas plus que de ses gains cumulés sur un an à la fin de sa carrière, cela reviendrait à demander justification de cet écart entre « son expertise » et le généraliste de base, moment peut-être gênant... Nous nous contenterons de rappeler que la France traite mal ses professionnels du soin quels qu'ils soient, de l'aide-soignante hospitalière au médecin de ville, et que rien n'est réellement fait pour protéger les acteurs de ces professions.

La France possède pourtant une double richesse : un secteur hospitalier public et privé fort, une médecine de ville développée. Les deux secteurs sont complémentaires et largement interfacés, source de choix et de liberté pour chaque Français.

Ce système construit sur l'expertise et les qualités scientifiques et humaines de ses acteurs doit perdurer. Construire un système toujours plus administré et étatisé, réforme après réforme, rogner chaque jour sur les responsabilités des soignants dans l'organisation et les orientations du système sont des erreurs profondes qui tissent une toile d'échec dont nul ne peut sortir vainqueur.

Les communautés professionnelles de territoires soumises aux bon vouloir des ARS, les professionnels du soin assujettis aux groupement hospitaliers de territoire au-travers notamment du paiement au parcours ou à l'épisode des soins, les assistants subventionnés en échange d'une augmentation de l'exercice ou de la file active, ne sont que la poursuite du paternalisme d'État et de l'étatisation du système.

Parce que la France a toujours été aux avant-postes en matière sanitaire et sociale, elle doit oser inventer un nouveau système de soin. Un système construit avec ses acteurs, cogéré par les patients, les soignants et l'administration. Le système s'effondre du poids de sa défiance, l'urgence est à la confiance, la confiance est à la reconnaissance du rôle et de la responsabilité de chacun. La santé ne peut plus, ne doit plus être dirigée par les seules considérations économiques, le monde qui s'annonce ne doit pas faire oublier les bases même de notre système solidaire et le rôle indispensable de ses acteurs."   Dr Jérôme Marty Président de l'Union française pour une médecine libre (UFML)   *Gilles Johanet avait porté la diminution du nombre de médecins en exercice par le mécanisme de mise en retraite anticipée lorsqu'il était directeur de l'assurance maladie.

 
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