Lévothyrox : une étude de bioéquivalence sème le doute

15/09/2017 Par Marielle Ammouche
Médicaments

Dans le contexte actuel de crise due au changement de formulation du Lévothyrox, une étude publiée en mars 2017 apporte un éclairage important. Elle suggère, en effet, des variations de bioéquivalence plus importantes que l’on pouvait imaginer : de plus de 20% chez près d’un tiers des patients.

  Pour rappel, la crise provient d’un changement d’excipients, réalisé dans le but d’améliorer la stabilité de l’hormone thyroïdienne : le lactose a ainsi été remplacé par le mannitol. Cependant un certain nombre de patients ont alerté sur des effets indésirables, apparus suite à cette modification, interpelant sur la réalité de la bioéquivalence entre les deux produits.  

Analyser la bioéquivalence entre la nouvelle et l’ancienne formule

  Une étude, publiée en mars 2017, pourrait permettre de répondre à cette interrogation, car elle a été spécifiquement conçue et réalisée en 2016, pour analyser la bioéquivalence entre la nouvelle et l’ancienne formule. Pour ce faire, les auteurs ont comparé l’absorption des deux produits chez 200 sujets volontaires en bonne santé qui ont reçu, de façon alternative dans le temps, les deux formules. Etaient mesurées l’aire sous la courbe (AUC), ainsi que la concentration maximale (Cmax) de T4 dans le sang.  Les résultats, tels qu’ils sont présentés dans l’abstract, montrent que l’AUC a été calculée à 99,3% (90% confidence interval [CI]: 95,6–103,2) ; ce qui signifie que la différence d’absorption moyenne chez les 200 participants était de 0,7% avec un intervalle de confiance allant de  - 4,4 à + 3,2%. Pour les auteurs, ces chiffres prouvent la bioéquivalence des deux formules, du fait que les résultats sont compris entre -10 et +10% comme cela l’est exigée par les autorités sanitaires, explique le Dr Dominique Dupagne, dans un article sur son site Atoute.org (12 septembre 2017), dans lequel il décortique cette étude.  

Il manque donc cette donnée fondamentale...

  Oui mais voilà, il s’agit d’une différence moyenne de l’absorption calculée sur les 200 patients. Or "lorsque l’on calcule une moyenne, les différences individuelles sont lissées et cette moyenne ne reflète donc pas la diversité des données individuelles, c’est-à-dire leur dispersion autour de la moyenne (en statistique, on parle de variance)" explique le Dr Dupagne. Il manque donc cette donnée fondamentale, "qui donne une idée de la variabilité des réactions individuelles lors du changement de médicament". Dans ce type d’étude elle est exprimée par le coefficient de variation intra-individuelle : "Intra-CV%". Dans l’étude sur le Lévothyrox, sa valeur pour l’absorption est de 23,7%, comme cela est précisé, mais uniquement dans le tableau 2. Cela signifie, par définition que chez 68,2% des patients, la différence d’absorption pour un même sujet entre l’ancien et le nouveau produit est inférieure à 23,7%. Mais cela signifie aussi donc que 31,8% des patients ont une différence d’absorption qui excède 23,7%.  Pour le Dr Dupagne, "le qualificatif de 'bioéquivalence parfaite' martelé par les médecins et les autorités n’est vrai qu’en moyenne et non pour un individu donné". "Je me demande si l’Ansm a vraiment pris en compte cette dimension individuelle, qui indique donc que pour ce médicament "sensible", un tiers des utilisateurs verront l’absorption du nouveau Lévothyrox varier de plus de 20%, ce qui fait tout de même un million d’utilisateurs en France", insiste-t-il.  

Les données de cette étude posent deux problématiques majeures

 

Au-delà de ces résultats stricts, qui montrent que de nombreux patients possèdent une variation d’absorption importante entre la nouvelle et l’ancienne formule de Lévothyrox, les données de cette étude posent deux problématiques majeures. Et tout d’abord celle de la transparence de l’information. En effet, comme le souligne, le Dr Dupagne, ces données ne sont pas immédiatement disponibles sur le site de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm), du laboratoire Merck, et n’ont pas été envoyées aux professionnels de santé au moment de les informer sur le changement de formulation. Ensuite cette étude relance la question de la bioéquivalence des génériques dans leur ensemble, à leur médicament princeps. En effet les données de bioéquivalence sont basées sur des études de ce type. Et l’on peut imaginer que de telles variations d’absorption chez un individu peuvent s’avérer porteuses d’effets secondaires, en particulier pour des produits sensibles, comme les hormones, les anti-épileptiques…   Sources : Atoute.org (Dr Dominique Dupagne, 12 septembre 2017). Current Medical Research and Opinion, 27 mars 2017  

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