Condamnations, absentéisme, burn out : les nouveaux critères de classement des hôpitaux

30/03/2017 Par Fanny Napolier

Et si les directeurs d'hôpitaux n'étaient pas uniquement évalués sur leur capacité à équilibrer les finances? Et si des critères humains entraient dans le classement des hôpitaux ? C'est l'idée que porte l'Association Jean-Louis Mégnien, qui lutte contre la maltraitance des professionnels de santé. Le Pr Philippe Halimi, qui préside l'Association, appelle aussi à un rééquilibrage des pouvoirs à l'hôpital.   Egora.fr : Vous souhaitez la création d'une Agence nationale de notation extra-financière des établissements hospitaliers publics. En quoi cela consiste ? Pr Philippe Halimi : Il faut sortir du tout financier à l'hôpital. Actuellement, les directeurs d'hôpitaux ne sont jugés que sur leur capacité à équilibrer les finances de l'hôpital, mais c'est parfois au prix d'une situation déplorable sur le plan des personnels de santé. On voudrait une agence nationale pour juger le fonctionnement d'un hôpital sur un certain nombre de critères qui permettraient d'apprécier le travail du directeur vis-à-vis des problématiques de gouvernance et de relations sociales. L'idée c'est de faire un classement du type Le Point, mais pas vu sous l'angle de la prise en charge des patients mais plutôt sur comment la direction s'est comportée envers ses équipes. Ce serait un changement radical. Il faudrait que cette agence soit totalement indépendante, en particulier des tutelles, pour qu'il n'y ait pas de liens d'intérêts et de relations complaisantes vis-à-vis d'un hôpital ou d'un directeur. On a eu un premier contact avec Nicole Notat, qui est l'ancienne secrétaire de la CFDT et qui dirige une agence de notation sur la responsabilité sociale des entreprises. Beaucoup d'entreprises européennes mais aussi mondiales, du public comme du privé, font appel à son agence pour évaluer leurs pratiques en termes d'environnement, de gouvernance et de social.   Concrètement, comment fonctionnerait cette agence ? Pour l'instant, nous allons former un premier groupe de travail. Nous avons listé un certain nombre d'items : l'absentéisme, qui est un témoignage indirect de la souffrance ; le recours à l'emploi intérimaire, quand il y a un taux de personnel important qui ne veut pas travailler dans tel établissement et les intérimaires ne connaissent pas bien les patients ; la mobilité du personnel, est-ce qu'il reste dans l'établissement ou pas ; le nombre de recours au CHSCT ; les signalements de souffrance ; les burn-out ; des enquêtes pour connaître le degré de satisfaction des employés dans leurs relations avec la direction ; les mouvements de grève ; les procédures judiciaires ; les condamnations… Ces évaluations pourraient figurer sur le site du ministère de la Santé. Cela permettrait de comparer les établissements entre eux et de voir le profil évolutif d'une année sur l'autre pour voir si la notation s'améliore. Ça n'a rien de nouveau. Beaucoup d'entreprises du monde public et privé ont décidé d'entreprendre cette démarche qu'on appelle de responsabilisation sociale. Il me semble difficile que cette démarche soit refusée par le monde politique. On va préparer un projet structuré, qu'on proposerait au futur ministère de la Santé. Il ne faudra pas qu'on nous objecte qu'il n'y a pas d'argent public. L'argent, on le trouve. Quand on voit ces professionnels maltraités depuis des années, qui sont des professionnels de haut vol et qu'on paye à ne rien faire, ça a un coût. Ce sera révélateur de la volonté politique ou non d'avancer sur ce terrain. Le projet de loi de finances pour l'année qui vient devra prévoir la création de cette agence.   Vous faites plusieurs autres propositions concrètes pour rééquilibrer les pouvoirs à l'hôpital, notamment sur des amendements à la loi HPST. Avez-vous été entendus sur ces points par les représentants des candidats que vous avez rencontrés ? Oui. Pour le moment nous n'avons rencontré que les responsables santé de François Fillon et d'Emmanuel Macron. On a reçu un accueil plutôt favorable des responsables santé sur l'amendement de la loi HPST. Ils admettent qu'il y a un déséquilibre et qu'il faudra le rétablir. Il faut demander aux politiques qu'ils se positionnent sur ce qu'il se passe actuellement à l'hôpital public. Il faut sortir de la pure gestion comptable des deniers de l'hôpital et s'occuper du reste. Et ce reste est très important, puisque c'est ce qui est en train d'entraîner une crise au sein de l'hôpital public. On essaye donc de convaincre les politiques et la société civile que ce qui se passe à l'hôpital est un drame humain pour beaucoup de personnels, et générateur de défaillances lors des prises en charge de patients. On voudrait mettre à terre le système hospitalier public, on n'aurait qu'à continuer comme ça.   Vous dénoncez le silence, voire la complicité des institutions comme les ordres départementaux, les ARS, ainsi que les attaques des directeurs d'hôpitaux… Les directeurs d'hôpitaux ont la loi pour eux. Ce ne sont pas ceux qui ont toutes les manettes en main qui vont accepter que l'on remette en cause leur pouvoir exorbitant. On ne s'attendait pas à avoir des appréciations positives de leur part. Et le fait qu'ils nous attaquent tend à prouver qu'on est dans la bonne perception de ce qu'il se passe.   Les propositions que vous faites visent à remettre l'humain au cœur des discussions. Pourquoi est-il si difficile de parler d'humain à l'hôpital ? Tout simplement parce que les gestionnaires ont pris le pouvoir à l'hôpital. Comme ils l'ont fait ailleurs, à l'Education nationale, à la Justice… On sait très bien qu'il y a beaucoup de suicides, de mal-être chez les juges qui n'ont pas les moyens de faire bien leur travail. De temps en temps, il y a une opposition entre notre éthique et les moyens qu'on a pour remplir nos missions. Au point, parfois, d'envisager de se suicider. Ces actions, y compris, celle de notation extra-financière, visent à remettre de la bientraitance et de l'humain dans un hôpital public qui en a bien besoin actuellement.  

Suicide de Jean-Louis Mégnien : "l'enquête se poursuit à faible allure"
15 mois après le suicide du cardiologue, l'association Jean-Louis Mégnien a fait un point sur l'information judiciaire en cours. "L'enquête se poursuit à faible allure, il n'y a toujours pas de mises en examen", déplore l'association. "Le suicide de notre collègue ayant une tournure politique à la mesure de son retentissement médiatique, nous espérons qu'il n'y a pas eu et qu'il n'y aura pas de pressions du parquet sur les deux juges pour classer sans suite l'information judiciaire". Le développement récent le plus important de l'enquête, ajoute l'association, est la conclusion du rapport de l'Inspection du travail. Le document est couvert par le secret de l'instruction, mais en février dernier, le Figaro révélait que le rapport conclut à un "homicide involontaire" et que le Pr Jean-Louis Mégnien a bien été victime de harcèlement moral ayant conduit au suicide. Les inspecteurs mettent directement en cause la directrice de l'hôpital, Anne Costa.

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