Intelligence artificielle en cardiologie : "Un accès à l’expertise pour tous"

28/08/2023 Par Marie Ruelleux-Dagorne
Cardio-vasculaire HTA E-santé
Imagerie cardiaque, ECG, prédiction de maladie, scores, … de nombreux domaines en cardiologie pourrait être bouleversés par l’IA, dont on attend de grandes performances. Entretien avec le Dr Théo Pezel, cardiologue à l’Hôpital Lariboisière (Paris). 

    Egora : L’IA en cardiologie : de quoi parle-t-on finalement et quelle est sa place dans votre quotidien ? Dr Théo Pezel : Le principe est relativement simple, l’IA s’entend comme l’auto-apprentissage de la machine en vue de développer des algorithmes de diagnostic ou de prédiction du risque à partir d’un set de données importantes. L’imagerie cardiaque (scanner, IRM, échographie, ECG et holter) est un des secteurs dans lequel l’IA est très présente aujourd’hui. On fournit à un logiciel informatique des milliers de données étiquetées - c’est à dire une donnée d’imagerie pour laquelle un médecin expert a posé un diagnostic ou une mesure précise - pour qu’il apprenne à diagnostiquer à l’identique. Ces outils représentent un gain de temps considérable pour le praticien. A titre d’exemple, sur une interprétation d’IRM cardiaque qui pouvait prendre 30 minutes il y a 15 ans, aujourd’hui ce temps est réduit à 8 minutes environ. Par ailleurs, depuis quelques années, plusieurs publications montrent que du fait de ses progrès, l’IA serait parfois plus fiable que l’expert lui-même. Finalement, l’analyse manuelle des images obtenues reste à la fois chronophage et sujette aux erreurs, notamment de possibles erreurs d’inattention liées souvent à la fatigue engendrée par un flux quotidien de patients parfois très important.   Quels en sont les principaux avantages dans votre pratique ? Au-delà du gain de temps évident que l’IA représente, une notion majeure qui mérite d’être mise en avant selon moi est celle de la démocratisation de l’accès à l’expertise. La France compte finalement assez peu d’experts de renom en imagerie cardiaque et ce constat fait malheureusement défaut aux plus petits Centres qui n’en sont pas dotés. Dès lors que des outils d’IA seront capables de nous donner des mesures extrêmement fiables de diagnostic et de détection de pathologies cardiaques, on peut imaginer que l’ensemble des CH ou Centres pourront en bénéficier. Un accès à l’expertise pour tous qui offrirait enfin une égalité de performance de la médecine à tous les patients. J’aime en effet à rappeler que la première personne qui bénéficie des avancées de l’IA reste le patient ! Aujourd’hui, même si on utilise quotidiennement des outils d’IA, elle ne conclut pas encore seule aux résultats.   De récents travaux publiés dans la revue Hypertension Research (1) ont montrés que l’IA serait capable de prédire la probabilité de survenue de l’HTA chez la femme enceinte au cours du premier trimestre. Plus globalement, l’IA a-t-elle révolutionné la prise en charge des patients hypertendus comme on le prédisait il y a encore quelques années ? Non malheureusement il n’existe aucune application concrète pour le moment. Il y a des signaux intéressants comme l’étude que vous évoquez ou encore une récente étude américaine  sur l’application de l’IA à l’ECG pour détecter la présence d’hypertension artérielle pulmonaire. Mais pour que ces outils parviennent jusqu’à nous, il faudrait démontrer une robustesse et des validations externes qui soient importantes. Nous avons encore des années devant nous avant de pouvoir les utiliser concrètement.   Et demain ?  Mon équipe de Lariboisière travaille sur un sujet qui va changer les choses ! Depuis environ 8 ans, nous reprenons les grandes cohortes qui ont été utilisées pour modéliser les scores de prédiction (comme le chads vasc par exemple) qui sont au cœur de la pratique des généralistes et des cardiologues, en ayant recours à des algorithmes de machine learning.  Il faut bien comprendre que tous ces scores sont dérivés de méthodes statistiques traditionnelles qui obéissent à des règles mathématiques strictes et rigides qui se heurtent souvent à la complexité de la médecine qui comporte des variables liées les unes aux autres, plurifactorielles etc. Finalement, ces méthodes traditionnelles ne sont pas toujours totalement justes. En revanche, le machine learning accepte de façon intrinsèque qu’il n’arrivera jamais à mesurer de façon précise l’association de variables à la survenue d’un événement, mais seulement à l‘approximer. Et finalement, en s’amendant du côté mathématique, l’IA transcende toutes les difficultés des modèles complexes et offre ainsi des résultats beaucoup plus précis. Dans près d’un cas sur 10, le score de machine learning est très largement au-dessus du score traditionnel. En s’affranchissant des règles mathématiques lourdes et complexes, ces modèles sont plus précis et plus affinés par rapport au profil du patient. De façon très concrète, d’ici 5 ans, tous les scores qu’on connaît aujourd’hui dans notre pratique quotidienne vont être balayés et reconstruits de toute part par des scores plus performants, et ce, parfois même en utilisant les mêmes variables. En pratique, les papiers sont en cours de rédaction pour montrer que dans chaque cohorte en question, on a un nouveau score qui est plus performant. Il va falloir ensuite que les nouvelles études randomisées thérapeutiques réutilisent ces scores pour les évaluer. Étant moi-même au cœur du réacteur, je peux vous assurer que les résultats obtenus sur des grandes cohortes sont absolument saisissants !  On passe d’une performance de 75% aujourd’hui à 85%, ce qui est plus que significatif à l’échelle d’une population.  

  1. Chen, Y., Huang, X., Wu, S. et al. Machine-learning predictive model of pregnancy-induced hypertension in the first trimester. Hypertens Res (2023). https://doi.org/10.1038/s41440-023-01298-8

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