Ostéoporose : la faillite de la prise en charge

20/10/2017 Par Dr Philippe Massol
Rhumatologie

Alors que la prise en charge de l’ostéoporose avait beaucoup progressé grâce à l’arrivée de nouveaux médicaments à visée anti-ostéoporotique au cours des années 1990 et 2000, elle s’est dégradée à partir du milieu des années 2000, avec actuellement moins de 15% des patients français ayant eu une fracture de fragilité (et donc tout particulièrement à risque de nouvelle fracture) recevant un traitement à visée ostéoporotique.

La prise en charge de l’ostéoporose aujourd’hui en France est catastrophique. Comme l’a souligné le Dr Laurent Grange, médecin rhumatologue au CHU de Grenoble Alpes et Président de l’Aflar (Association française de lutte anti-rhumatismale), lors d’une conférence de presse le 17 octobre au Sénat, le nombre de patients traités est passé, entre 2010 et 2014, de 1 100 000 à 800 000 en 4 ans; soit une diminution de 380 000 patients traités (données Gers CM12). L’ostéoporose est une maladie sous-diagnostiquée et sous-traitée : les patients la considèrent comme une conséquence naturelle du vieillissement et sa prise en charge par les médecins ne cesse de baisser depuis 10 ans. Si ce déficit perdure, on devra affronter dans les années à venir un "tsunami" de fractures, essentiellement du col du fémur et vertébrales. Ce constat est d’autant plus inquiétant que même après une 1ère fracture, les malades ne sont pas assez suivis: 51% des patients ne revoient aucun médecin dans le mois qui suit leur hospitalisation et seuls 15% des patients font l’objet d’un traitement. Par conséquent, 29% sont réhospitalisés pour rechute. Et en cas de deuxième rechute, ce sont 20% des patients qui en meurent. C’est pour faire face à ce déni général de la réalité de la maladie que l’Aflar et l’Alliance nationale contre l’ostéoporose ont organisé les Etats généraux contre l’ostéoporose avec dix journées d’échanges et de débats regroupant patients et professionnels de santé dans dix villes en France. Les propositions recueillies lors des 10 tables rondes ont été compilées et validées lors d’une réunion du comité de pilotage des Etats généraux, qui s’est tenue à Paris le 6 juillet 2017.   La 1ère phase de ces Etats généraux a été d’identifier par une vaste enquête les attentes et les besoins des patients et des médecins généralistes sur la prise en charge de l’ostéoporose. D’octobre 2016 à juin 2017, 417 patients directement concernés par l’ostéoporose (94% de femmes, 6% d’hommes) ont répondu aux questions qui leur étaient posées sur le site de l’Aflar. Parmi ces répondantes, 70% étaient âgées de 50 à 69 ans au moment de l’enquête, 20% avaient moins de 50 ans et 1/3 exerçaient encore une activité professionnelle. "Preuve, s’il en fallait, que l’ostéoporose n’est pas la maladie de vieux que l’on se plait parfois à imaginer pour ne pas s’en soucier", commente Françoise Alliot-Launois, responsable du Pôle Ile-de-France et vice-présidente de l’Aflar. Selon elle, ce qui frappe de prime abord à la lecture des résultats, c’est le nombre inquiétant d’approximations, d’idées fausses, voire de croyances, que l’on retrouve exprimées par des personnes qui sont pourtant directement concernées par l’ostéoporose : "Dès la première approche de la maladie, le malentendu est profond : si 56% des répondants associent l’ostéoporose à une maladie  grave, 27% estiment que ce n’est pas le cas, quand seuls 17% la reconnaissent pour une maladie qui peut être très grave". Des chiffres qui doivent d’autant plus interpeler que ces mêmes répondants déclarent à 50% être concernés personnellement par une perte de taille excédant 3 cm. Ce paradoxe en dit long : "La maladie est complètement banalisée, explique Françoise Alliot-Launois. Trois centimètres perdu c’est tout sauf anodin, mais dans l’esprit des patients, cela n’est pas associé à un problème sérieux. Or quand on sait - et il est à noter que 70% des répondants ont indiqué le savoir - que ces centimètres perdus sont le fait de fractures vertébrales silencieuses, on peut prendre la mesure du problème". Selon les médecins interrogés, 53,7% des patients manquent de motivation pour prendre leur traitement. Au coeur de cette difficulté à traiter, le rapport complexe que les patients, mal informés, entretiennent avec la tolérance des anti-ostéoporotiques. "Si l’on ajoute à cela des recommandations complexes et une réglementation relative au remboursement de l’examen de la densité minérale osseuse qui l’est tout autant, on comprend pourquoi l’on constate chaque année une baisse de 6% de cet examen pourtant capital pour une bonne prise en charge, souligne le Dr Laurent Grange, médecin rhumatologue au CHU de Grenoble Alpes et Président de l’Aflar. Aujourd’hui, 85% des patients ne sont pas pris en charge après une fracture, un chiffre qui révèle un profond dysfonctionnement de la chaine de soins qu’il nous faut donc repenser." Le travail réalisé dans le cadre des Etats généraux de l’ostéoporose a permis de dégager des axes et modalités d’action prioritaires : "Il nous faut favoriser le dépistage pour enrayer la baisse de prise en charge constatée ces dernières années Il est aussi nécessaire de mobiliser, d’alerter, en lançant un plan national de lutte contre la fracture de l’ostéoporose afin de faire prendre conscience de sa gravité, estime le Dr Grange. Nous devons stimuler tous les acteurs de la prise en charge autour de recommandations clarifiées et par-dessus tout, il est impératif d’amplifier et sanctuariser les filières de soins." L’Aflar fait donc 7 propositions pour un plan national contre l’ostéoporose : 1. De l’ostéoporose à la fracture : Changer de paradigme – Campagnes de sensibilisation 2. Développer les stratégies de prévention primaire des fractures de fragilité 3. Développer les stratégies de prévention secondaire des fractures de fragilité "pour que la 1ère fracture soit la dernière !" 4. Promouvoir des mesures incitatives pour les médecins généralistes dans la prise en charge de l’ostéoporose 5. Promouvoir et soutenir un plan de recherche public-privé médico-économiques face aux enjeux du coût de la "cascade fracturaire" et de l’expérimentation de filières de soins pluridisciplinaires innovantes 6. Promouvoir la prévention des chutes et le maintien à domicile des personnes à risque de fracture ostéoporotiques. 7. Créer un registre national des fractures de l’ostéoporose (débuter par une expérimentation sur une ou 2 régions). Pour que le travail réalisé et que les priorités mises au jour pour améliorer sa prise en charge en France ne demeurent pas lettres mortes, un livre blanc a été rédigé qui se trouvera bientôt sur le bureau de chaque parlementaire et sénateur, comme l’explique le Dr Laurent Grange : "Ce travail de synthèse est un outil pratique qui doit nous servir de base de travail avec les autorités de santé, la Cnam, les assureurs et les décideurs politiques. Il permet de saisir rapidement les enjeux de la prise en charge de l’ostéoporose dans notre pays et de prendre connaissance des moyens pratiques de l’améliorer."    

Un coût de 4,8 milliards d’euros
Selon l’étude de la Cnamts "Charges et Produits de 2016" qui s’en tient aux dépenses reconnues et remboursées par l’assurance maladie, le coût de la prise en charge de l’ostéoporose s’élevait en France en 2013 à 1,1 milliard d’euros, dont 770 millions étaient dues à des hospitalisations dans des services de médecine chirurgie obstétrique et 340 millions suite à l’accueil dans des soins de suite et de réadaptation. Lorsque le périmètre des postes budgétaires à prendre en compte est élargi pour intégrer les placements en Ehpad et la valorisation monétaire des pertes de qualité de vie qui sont associées aux fractures, le coût de l’ostéoporose en France s’élève alors selon à 4,8 milliards d’euros*.
* Svedbom A et al. Osteoporosis in the European Union: a compendium of country-specific reports. Arch Osteoporos 2013 ; 8 : 137 (p. 67/218).
 

 Disponible sur le site de l’Aflar : www.aflar.org/lesfractures-Osteoporotiques

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