"Quand on est interne, craquer c'est mal vu"

13/03/2017 Par Aveline Marques

Le 15 février 2016, un interne de Marseille se donnait la mort en se jetant d'une falaise. Un électrochoc pour l'Internat des hôpitaux de Nice (IHN), qui a mis sur pied un dispositif de soutien psychologique pour les futurs médecins. Chargée de mission de la cellule SOS IHN, Laura Brocart, interne en psychiatrie de 25 ans, veut faire passer un message: non, on ne doit pas forcément en baver pour y arriver.

  Egora.fr: Suivant l'exemple de Paris, Marseille, Grenoble, Saint-Etienne ou encore Montpellier*, vous avez lancé en janvier dernier la cellule SOS IHN. Quel était le constat initial ? Laura Brocart: Comme partout, les internes sont en difficulté par rapport aux conditions de stage, à des volumes horaires très importants, à un niveau de responsabilités élevé -alors qu'en première année, ils viennent de commencer. Ils sont parfois autonomes, peu encadrés et ça peut engendrer un niveau de stress très important. Le suicide d'un interne à Marseille, il y a un an, nous a énormément alarmés. A partir de là, on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose, mettre en place une aide, une écoute. A Nice, SOS ne s'adresse pas qu'aux internes, mais à tous les étudiants en médecine. Les externes, via les stages, sont aussi confrontés à cette réalité professionnelle, à ses difficultés, même si ce ne sont pas les mêmes.   Comment fonctionne le dispositif ? On s'est fondés sur le dispositif parisien, créé en février 2015. Les étudiants nous contactent par mail, en laissant leurs coordonnés. Un interne bénévole rappelle l'étudiant ou l'interne en difficulté et l'oriente systématiquement vers un psychiatre. Les internes qui s'occupent de la ligne téléphonique ont une attitude d'écoute, de bienveillance, mais n'ont pas la responsabilité d'établir un diagnostic ou de déterminer s'il y a une nécessité de prise en charge. C'est le psychiatre qui décide des suites à donner. Ça peut être un simple appel qui permet à l'étudiant ou interne de vider son sac, mais aussi une prise en charge psychiatrique régulière pour les plus fragiles. On a décidé de fonctionner avec des professionnels hors CHU. Même si les chefs nous soutiennent, on voulait préserver l'anonymat pour que les internes ne soient pas réticents à exposer leurs difficultés.   Pourquoi est-ce important de respecter l'anonymat ? Quand on est interne, on peut vouloir un poste au CHU. Et craquer, c'est mal vu. Le burn-out, la dépression ne sont pas encore acceptées.   Quel bilan après plusieurs semaines de fonctionnement ? Une dizaine d'internes nous ont sollicités depuis janvier. Ce qui ressort surtout, ce sont les difficultés par rapport aux horaires de stage, notamment en chirurgie. Dans toutes les spécialités, il y a un esprit de compétition, mais c'est en chirurgie qu'il est le plus fort. Il y a une nécessité de réussite. Les internes sont épuisés parce qu'ils ne peuvent pas prendre leur repos de sécurité et sont contraints de retourner travailler après leur garde pour faire la visite. Parce qu'il n'y a personne pour les remplacer ou tout simplement parce qu'ils subissent la pression des chefs ou des internes plus âgés. On leur dit: "Ton repos de sécurité tu l'auras pas, parce nous on n'y a pas eu droit." Il faut casser ce schéma. Dans certains stages, il y a aussi un manque de reconnaissance de la part de la hiérarchie. Mais on ne veut pas rejeter la faute sur les chefs. Ce qu'on veut, c'est sensibiliser tout le monde : on fait un travail colossal, dans des conditions difficiles ; on a besoin d'être entendus et soutenus. Il faut que tout le monde puisse repérer un interne en difficulté. Un interne épuisé psychiquement et physiquement ne peut pas donner autant qu'un interne bien dans sa peau. Et quand on fait autant d'études, qu'on se donne autant pour l'autre, qu'on affronte la mort et la maladie, on a besoin de se sentir bien.   Pourquoi passer par un tiers ? Les internes ne se soutiennent-ils pas entre eux ? Entre internes d'une même spécialité, on partage les mêmes problèmes, on en discute entre nous bien sûr. Mais c'est insuffisant. Parler à quelqu'un qui est autant en difficulté que soi, ça n'est pas la solution! Il y a la nécessité de se faire accompagner par un tiers. Ne serait-ce que pour rappeler qu'il y a une loi depuis 2002 qui instaure des repos de sécurité et que c'est aberrant qu'elle ne soit pas appliquée. De même que la loi sur le temps de travail… Parfois les vieux internes, qui ont donné beaucoup d'eux-mêmes, en viennent à oublier l'existence de ces lois.   Dans quelle mesure les externes et internes ont-ils été marqués par l'attentat de Nice, en juillet dernier ? Certains internes sont encore en difficulté par rapport à ça, parce qu'ils ont été confrontés à l'horreur, à une situation pour laquelle ils n'avaient pas du tout été formés. Ça a été aussi un élément déclencheur pour que SOS se mette en place à Nice et pour qu'on étende le dispositif aux externes -contrairement à d'autres villes. Les externes ont été envoyés faire les autopsies des corps retrouvés sur la Promenade des Anglais et il y en a beaucoup qui nous contactés à ce sujet.   *Les cellules SOS sont coordonnées par les syndicaux locaux des internes.

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