Accès direct aux infirmières : "On a une déontologie, on n’ira pas faire ce qu’on n’est pas capables de faire"
Que ce soit au travers du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 ou de la loi "infirmières" promise par Michel Barnier, l’Ordre infirmier entend bien faire évoluer la profession, en élargissant ses compétences. "Cette évolution est souhaitable pour des raisons de santé publique et budgétaires".
"Nous sommes dans un moment historique pour l’accès aux soins et l’évolution de la profession", a déclaré la présidente de l’Ordre infirmier, Sylvaine Mazière-Tauran, ce jeudi 17 octobre, en conférence de presse. Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre Michel Barnier a en effet promis une loi "infirmières-infirmiers" "qui ira plus loin dans la reconnaissance de leur expertise et de leurs compétences, et leur donnera un rôle élargi dans la prise en charge de patients".
Attendue de longue date par la profession, cette loi, qui a été retardée par la dissolution de l’Assemblée nationale, "apparaît comme une des solutions attendues pour améliorer la prise en charge des Français", a soutenu la présidente de l’Ordre infirmier (ONI). "Nous sommes la profession [de santé] la plus nombreuse, nous sommes environ 650 000 infirmiers en France, et nous sommes les derniers professionnels à aller jusqu’au domicile du patient", a-t-elle justifié.
Cette loi, "qui peut être une étape majeure dans l’évolution de la profession", devra contenir plusieurs "mesures prioritaires", a insisté Sylvaine Mazière-Tauran. Elle doit d’abord "acter des compétences des infirmières. Cela signifie qu’on doit passer d’une logique d’actes prescrits à une logique de missions et d’activités pour les infirmières". Actuellement, le texte qui régit la profession, vieux de 20 ans, "ne reconnaît pas le rôle réel des infirmières auprès des patients", notamment "leur autonomie", "les soins relationnels" qu’elles dispensent, etc.
Il s’agira ainsi "d’octroyer de nouvelles missions aux infirmières", et de "reconnaître des missions qu’elles exercent déjà et [qui sont] insuffisamment reconnues", comme les "actes gratuits" que font les infirmières libérales (IDEL) à domicile : "prendre des rendez-vous pour son patient, téléphoner au pharmacien pour s’assurer que les médicaments vont bien être fournis"…
Concrètement, l’ONI demande la création de "consultations infirmières", "qui doivent permettre un meilleur accompagnement des patients". Par exemple, les infirmières pourraient réaliser "un bilan de perte d’autonomie" chez un patient âgé et "prescrire elles-mêmes des actions de soin, d’accompagnement et de suivi". Cela pourrait s’appliquer à un patient diabétique qu’elles pourraient "accompagner" dans la compréhension de sa maladie, sa nutrition, etc.
L’Ordre veut aussi faire reconnaître dans la loi "la notion de diagnostic infirmier", "utilisée dans le monde entier [et qui] fait l’objet de nomenclatures validées scientifiquement de façon internationale". Ces diagnostics infirmiers "leur permettent d’identifier les problèmes de santé des patients et d’apporter les réponses à ces problèmes par les soins qu’elles sont en capacité d’apporter", a expliqué Sylvaine Mazière-Tauran.
Afin de "fluidifier les parcours de soin", l’ONI plaide également pour un accès direct, sans prescription médicale préalable, notamment pour la prise en charge des plaies : "Dans les territoires où il n’y a pas de médecin généraliste, il faut que les patients puissent avoir un accès au système de soins", a insisté la présidente de l’instance. Et de déplorer : "Il y a actuellement des personnes qui ont des retards de prise en charge parce qu’on attend d’avoir les bonnes prescriptions pour pouvoir lancer les soins que les infirmières sont en capacité de faire." Une "première amorce" avait été faite pour la prise en charge des plaies, mais ne permettait que le renouvellement de pansements. "Les infirmières ne pouvaient pas prendre l’initiative."
"Ce n’est pas une question de concurrence"
Lors d’une conférence de presse également organisée jeudi matin, MG France s’est montré ouvert à un accès direct aux infirmières pour les soins relatifs aux plaies, qui font partie "de leurs compétences". Mais un accès direct plus large n’aiderait "ni à l’économie de soins ni au parcours et à la qualité des soins", a mis en garde sa présidente, la Dre Agnès Giannotti, qui estime qu’il faut surtout "travailler ensemble au suivi à domicile des personnes âgées".
"Les infirmières et infirmiers n’ont jamais pris de risques inconsidérés pour leurs patients", a soutenu Sylvaine Mazière-Tauran, anticipant une levée de boucliers. Que ce soit en ville ou à l’hôpital, "quand on voit qu’il y a un problème, on revient vers le médecin". "Il ne faut pas oublier qu’on a une déontologie, on n’ira pas faire ce qu’on n’est pas en capacité de faire !" Pour la présidente de l’ONI, l’infirmière va être "une facilitatrice" dans "l’entrée dans le parcours de soins". "Ce n’est pas une question de concurrence, a-t-elle ajouté, mais de collaboration." "Je comprends qu’il y ait des craintes et des résistances, mais ce qui nous apporte, notre priorité, c’est l’accès aux soins de nos concitoyens."
L’ONI veut également obtenir de nouvelles compétences en termes de prescription et de prévention, comme des actions de "dépistage". "Actuellement, les infirmières n’ont pas d’autonomie sur le champ du cancer colorectal. D’autres dépistages de cancers pourraient également faire l’objet d’actions de prévention et d’éducation", a expliqué Sylvaine Mazière-Tauran, soulignant que tout cela devait se faire en "coordination" avec les autres professionnels de santé. "Nous portons une démarche collaborative."
Cette évolution de la profession infirmière est "souhaitable", à la fois pour "des raisons de santé publique" mais aussi "pour des raisons budgétaires", a soutenu la présidente de l’ONI. Elle doit aussi toucher l’ensemble des spécialités infirmières, a-t-elle ajouté, citant par exemple les infirmières anesthésistes qui réclament la pratique avancée, les infirmières de bloc opératoire – "pour qu’il y ait plus de professionnelles formées", et les infirmières puéricultrices, "qui attendent la refonte de leur profession depuis plus de 40 ans".
Pour permettre ces évolutions, l’Ordre infirmier plaide pour l’ajout de 400 heures dans le système de formation français, ce qui reviendrait à instaurer une quatrième année. Il sera également indispensable de développer les départements de sciences infirmières dans les universités, "parce que notre autonomie ne peut pas se dédouaner de la nécessité d’évaluer nos pratiques", a indiqué sa présidente.
Si cette loi "infirmières" va être "cruciale", l’Ordre souhaite déjà positionner ses pions dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, qui doit être examiné à partir du 21 octobre en commission. L’instance a déjà contacté des parlementaires pour qu’ils portent ses propositions d’amendement – mais n’a pas encore eu de retour, en premier lieu desquelles l’accès direct aux infirmières, mais aussi l’instauration d’un ratio d’infirmières par patient hospitalisé.
L’instance demande également la mise en place de "vrais outils d’aide à la cotation" pour les infirmières libérales, dont "la nomenclature est complexe", et qui leur vaut chacune année des demandes de récupération d’indus. Elle entend également positionner les infirmières scolaires comme actrices dans le dépistage des problèmes de santé mentale.
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