Ce maire qui interdit de mourir à domicile et veut obliger les médecins à s'installer

26/05/2017 Par Sandy Berrebi-Bonin
Démographie médicale

Coup de projecteur sur la commune de Laigneville. La semaine dernière, Christophe Dietrich, maire de cette petite ville de l'Oise, a publié un arrêté municipal interdisant les décès à domicile. Il revient pour Egora sur cette décision et sur la difficulté à trouver des médecins pour rédiger les certificats de décès.

      Egora : Qu'est-ce qui a motivé la publication de cet arrêté interdisant les décès à domicile dans votre commune ? Christophe Dietrich : Cela fait deux fois en trois semaines que nous sommes confrontés à l'absence totale de médecin pour constater un décès. La première fois, au bout de 5 heures, on a réussi à appeler un médecin parce qu'on avait un numéro privé et qu'il a bien voulu nous dépanner. Mais la semaine dernière, on a eu une découverte de cadavre à 7h du matin. On a d'abord essayé de contacter le Samu, qui nous a dit qu'il ne s'agissait plus d'une urgence. Je le conçois très bien, j'ai été sapeur-pompier pendant 27 ans. On a essayé de joindre les médecins locaux mais ça ne répondait pas, parce que les généralistes de Laigneville ne travaillent pas le mercredi. On sait bien que si les médecins travaillent trop, on leur fait payer des amendes.   C’est-à-dire ? S'ils font trop de prescriptions, ils ont des pénalités. Je pense aussi qu'il y a une question de rythme de travail. Je ne sous-estime pas le travail fait par un médecin. Pour revenir au décès, nous avons aussi essayé d'appeler SOS Médecins, qui n'a jamais répondu. J'ai alors essayé de prendre contact avec l'ARS en passant par le numéro départemental, ça n'a jamais répondu. J'ai réussi, grâce à l'aide d'un autre maire, à avoir un numéro de portable. C'était l'une des responsables de l'offre de soins à l'ARS. Lorsque je l'ai eu au téléphone, sa première question a été de me demander pourquoi je l'appelais sur ce numéro et comment j'étais parvenu à avoir son téléphone portable. Elle m'a expliqué qu'avant de contacter l'ARS, il fallait avoir trois refus de médecin. De mon côté, je ne pouvais obtenir trois refus puisque personne ne répondait. J'ai dû appeler trois médecins de Seine-Saint-Denis pour avoir des refus. Mais entre temps, j'avais recontacté l'ARS. La météo annonçait 30 degrés: avec un cadavre, ça n'était tout simplement pas possible. L'ARS et le Samu se sont renvoyés la balle toute la matinée. Le Samu a reconnu avoir appelé 15 médecins sans avoir de réponse. A midi, la chaleur commençait à monter et moi avec. J'ai demandé que l'on envoie une équipe médicale pour constater le décès, sous peine de porter plainte. Une équipe de Smur de Clermont est donc venue constater le décès. Ça n'était pas leur travail, je le concède complétement. Ce qui m'a alerté c'est que ce qu'il se passe pour les défunts préfigure ce qu'il va se passer pour les vivants dans quelques mois. Plusieurs Laignevillois ont leur médecin traitant à 50 kilomètres, voire à Paris. Avec plusieurs communes, on a eu des projets de maisons médicales qui ont toujours été recalés par l'ARS. L'ARS est le plus gros frein à la sortie des maisons médicales. En plus, au sein de l'ARS, on ne sait pas qui fait quoi et qui dirige quoi, c'est totalement incontrôlable.   Pourquoi l'idée d'un arrêté municipal ? Je suis parti du postulat que nous étions dans un système totalement absurde où tout le monde semblait s'en foutre. La désertification médicale, pour beaucoup, ce ne sont que des mots. J'ai donc décidé moi aussi d'agir de façon absurde en interdisant par arrêté municipal de mourir à domicile. Je me souvenais de situations lorsque j'étais pompier où des personnes avaient dû déplacer le défunt sur la voie publique pour qu'une équipe du Samu puisse intervenir. Je ne veux pas en arriver là.   Votre arrêté municipal a été très médiatisé. Quels ont été les retours ? Il y a ceux qui l'ont pris au premier degré, heureusement ça n'est pas la majorité. La grande majorité a compris le second degré. Du côté des médecins, certains m'ont appelé pour me dire qu'ils partageaient mon point de vue mais qu'ils n'avaient pas le droit de le dire. Les médecins forment un milieu très corporatiste. Et en revanche, j'ai eu une grosse majorité de médecins qui ont crié au scandale. Le président de l'Union française pour une médecine libre (UFML), le Dr Jérôme Marty, m'a proposé que l'on se rencontre pour mettre en place des réponses concrètes à proposer au gouvernement. Nous allons nous rencontrer dans le courant du mois de juin. Il y a aussi un phénomène qui m'a mis très en colère. Cela fait des mois que je cherche des médecins. J'en ai rencontré plusieurs, mais pas un seul ne m'a parlé des habitants de Laigneville. Tous ne m'ont parlé que d'avantages en nature ou d'avantages financiers. Cela m'a profondément choqué. C'est tout de même étonnant que des gens qui se disent libéraux ne soient pas dérangés pour autant d'avoir de l'argent public. A partir du moment où on est libéral et que l'on demande de l'argent public pour s'installer, il doit forcément y avoir une contrepartie. Moi je suis prêt à prendre à mon compte un cabinet pour deux ou trois médecins, à mettre en place un secrétariat administratif pour soulager les médecins. J'estime que ce n'est déjà pas mal. J'ai rencontré des médecins qui voulaient, en plus, la maison et qu'on embauche leur femme. Et pourquoi pas nourrir leur chien ! C'est du grand n'importe quoi. Il y a 15 jours, j'ai fait visiter un appartement neuf T3 à un médecin vivant seul. Il ne l'a pas pris parce qu'il n'y avait pas de jardin. C'était un appartement social.   Combien de généralistes exercent à Laigneville ? Il y a un couple de deux généralistes pour 5 000 habitants. Sur la communauté de communes, il y avait 14 généralistes il y a quelques années. Il n'y en a plus que 7 aujourd'hui et dans deux ans, il n'y en aura plus qu'un.   Comment ont réagi les deux médecins de Laigneville après votre arrêté ? Ils ont m'ont envoyé un message ! Ils ont été un peu perturbés et estiment que ça n'était pas la bonne méthode. Mais ils ne vivent pas ce que je vis au quotidien. Le problème des médecins, c'est qu'ils arrivent avec leurs réponses toutes faites et ensuite c'est à nous de nous démerder. A chaque fois que j'ai présenté un médecin au généraliste local, ça n'était jamais assez bien. Pour eux, les solutions que je propose ne sont pas les bonnes solutions, il faut inciter les jeunes à s'installer… Toujours le même discours.   Quelles sont vos solutions ? Je propose que l'on fasse une régionalisation partielle des diplômes avec la mise en place de numerus clausus locaux. Si un médecin passe son diplôme en Picardie, en contrepartie il devra s'engager à rester 5 ou 10 ans dans la région.   Vous proposez donc la contrainte à l'installation… Oui et non. Mes parents habitent dans le Var. Chez eux, ils sont 3 500 habitants pour six médecins. Les médecins se plaignent de ne pas avoir assez de travail ! Je suis rentrée dans la police. On m'a dit qu'on allait me former pendant un an et que je leur devrais 10 ans.   Vous parlez donc bien de contrainte à l'installation… Oui je veux bien l'assumer. L'incitation ne marche plus. Il va falloir penser à mettre une contrainte. Alors autant que les médecins soient partie prenante sur le sujet. Il faut la mise en place de quotas d'installation de médecins par rapport au nombre d'habitants. Je sais que ça n'est pas politiquement correct, mais on va vers une crise sanitaire sans précédent.  En tant que maire, nous avons une pression de la population qui est folle. On nous demande de faire des choses qui ne sont pas de notre ressort. Il faut que chacun prenne ses responsabilités.

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