"Des médecins se sont intéressés à nous" grâce aux Flying doctors : le combat du maire de Nevers pour la santé de ses habitants
Beaucoup l'ont découvert en janvier 2023, au lancement des "Flying Doctors", ce pont aérien permettant de faire venir des médecins de Dijon pour renforcer l'hôpital de Nevers. Un dispositif qui a suscité un emballement médiatique tant il était inédit et radical. Taxé d'anti-écolo, le maire de Nevers, qui en est à l'initiative, défend aujourd'hui un levier "formidable", qui a permis des installations dans cette commune de la Nièvre "oubliée" de l'Etat. Egora s'est intéressé à cet élu Renaissance qui a fait de la santé de ses concitoyens une "priorité".
"Monsieur Thuriot, grâce aux Flying doctors, ma mère qui habite Cercy-la-Tour a pu bénéficier d'un rendez-vous avec un professeur de Dijon qui a trouvé le problème qu'elle a depuis quatre ans […] Je vous remercie pour ce que vous faites." Ce SMS, reçu quelques heures après notre entretien, le maire de Nevers (Nièvre) est fier de nous le transférer. Un an et demi après avoir mis en place ce fameux pont aérien qui a fait tant parler de lui, l'élu Renaissance de 57 ans se réjouit de l'impact et du rayonnement que cela a eu sur sa ville. "J'ai réussi à améliorer le parcours de soin de beaucoup et j'ai amélioré les recettes de l'hôpital puisqu'on utilise plus de plateaux techniques", soutient Denis Thuriot.
Depuis janvier 2023, "on a eu à peu près 190 médecins" (chirurgiens pédiatriques, pneumologues, urgentistes…), qui ont pris l'un des cinquante vols pour "un coût en 2023 de 192 142 euros". Mais "333 381 euros de recettes ont été générées l'an dernier par l'activité de ces médecins", souligne l'édile. Le dispositif a aussi permis l'implantation d'une antenne SOS Médecins à Nevers, "et donc de désengorger un peu les urgences qui sont en tension comme partout". "Ces médecins ne viennent pas forcément en avion, mais ils ont pris les premiers vols. C'est ça qui a déclenché leur arrivée", se félicite Denis Thuriot. "Aussi, des médecins se sont intéressés à nous du fait de l'emballement médiatique qu'il y a eu. Certains sont venus s'installer à Nevers en se rendant compte qu'il y avait des besoins."
L'idée – jamais vue – de faire venir des médecins dijonnais tous les jeudis (hors vacances scolaires) par avion pour renforcer les équipes du CH de Nevers a pourtant, dès le départ, été taxée d'absurdité politique et écologique. Ce que le maire, qui s'est retrouvé sur le devant de la scène médiatique, a toujours balayé d'un revers de la main. "Je ne suis pas pour l’écologie bloquante", déclarait-il à Egora avant que la première rotation ait lieu, en décembre 2022. Dix-neuf mois plus tard, "ma conscience est très tranquille", confie-t-il. "Le coût écolo, c'était du pipeau dès le début… Et même s'il y avait un coût écologique, c'est la santé des gens qui doit être privilégiée pour moi."
"Avant, j'avais des avions de huit places Pilatus qui consommaient peu. Il fallait 30 SUV qui n'aillent pas à Dijon pour que j'équilibre le coût en CO2. Je vous assure qu'il y a plus de 30 véhicules qui vont à Dijon depuis la Nièvre pour voir des spécialistes chaque semaine", ajoute-t-il, rappelant que "Nevers-Dijon, c'est 3h en voiture si on respecte les limitations". Estimant que "l'avion n'est pas un gros-mot", il assure que l'argument écologique n'est, aujourd'hui, "plus un sujet" : "Ça aurait pu prendre le pas, et ça aurait été stupide." Le dispositif Flying doctors a par ailleurs évolué, avec une nouvelle compagnie aérienne française, Revolution'Air, qui met à disposition deux plus petits avions (de quatre places), moins polluants, indique-t-il.
Convaincu par son dispositif, le maire de Nevers a pour ambition de l'étendre. "Je voudrais augmenter les vols. Les internes me disent aussi : 'Si vous nous prenez le lundi et nous ramenez le vendredi, on viendrait davantage'. Ça peut correspondre à des besoins", indique-t-il. Si, pour l'heure, ce pont aérien ne bénéficie qu'à l'hôpital, l'élu veut aussi en faire profiter la ville. "Aujourd'hui, je ne peux pas mettre un kiné, un médecin libéral à bord car c'est l'hôpital qui paie. Demain, c'est l'aéroport qui va prendre en charge avec cette compagnie" et "l'ARS pourra aider à financer les vols, je l'espère". Il entend également les ouvrir à des particuliers et au monde de l'entreprise pour des "trajets optimisés".
Pour Denis Thuriot, il y a en effet urgence à accélérer. En ville, "on est sur une déperdition annoncée d'ici 2-3 ans d'une bonne partie de médecins qui vont partir en retraite sans remplaçants, donc c'est une vraie inquiétude", alerte-t-il. "Les médecins me disent : 'Je veux bien aider Nevers, mais moi je veux être chez moi le soir'. En avion, les médecins, 40 minutes après ils sont à Dijon et 5 minutes après chez eux", loue l'élu.
"J'ai mouillé le maillot"
Natif de Nevers, Denis Thuriot y est revenu après avoir fait ses études de droit à Grenoble et Dijon. Un choix guidé par son amour pour sa ville, dont il a été guide lorsqu'il avait 18 ans. Il s'y installe comme avocat – une profession qu'il exerce toujours en plus de sa fonction de maire. Intéressé par la politique, Denis Thuriot s'engage au sein du Parti socialiste, sans prendre de responsabilités. Mais au fil des ans, il s'éloigne du parti. "Ça m'a agacé de voir ma ville dépérir. Quelque part, j'avais fait confiance en y revenant et je trouvais qu'économiquement, on ne la développait pas." Lorsque son fils, qui passe le baccalauréat, lui confie que ses amis soutiennent le Front national, l'avocat décide de leur "proposer une alternative", en "combattant l'extrême-droite".
Novice, il se lance alors dans la course aux municipales fin 2013. Très vite, au fil de ses rencontres, les problématiques de santé s'imposent à lui. "Venant un peu de nulle part, j'ai mouillé le maillot, je suis allé voir les internes à l'époque en discothèque – je me suis investi ! (rires) Ils m'ont dit : 'Nous on aime bien Nevers, mais il nous faudrait un nouvel internat et des moyens de locomotion plus faciles pour venir'. J'ai été attentif aux arguments qu'on m'opposait par rapport à la difficulté qu'on avait de faire venir des soignants", se targue l'édile. Il répondra en partie à leur demande avec l'ouverture d'un nouvel internat en 2022.
Denis Thuriot est élu maire le 5 avril 2014, mettant fin à plus de 40 ans de domination socialiste dans la capitale de la Nièvre. Sa première mesure en faveur de la santé est de nommer un adjoint dédié à ce sujet : "Il n'y en avait plus depuis très longtemps à la ville de Nevers." Un ophtalmologiste retraité occupe ce poste. "Il venait du privé mais continue d'intervenir à l'hôpital." Il intègre également au conseil municipal une infirmière libérale. Plus récemment, le chef du pôle orthopédique de l'hôpital de Nevers a complété l'équipe. "Je sentais déjà à l'époque que la santé était un sujet majeur pour les habitants. Aujourd'hui, la santé, je la déporte plus à l'agglomération qui a plus de moyens et a pris une partie de la compétence", ajoute celui qui en est également président.
Le maire pousse ensuite pour la création d'une maison des spécialistes, qui a ouvert en 2017 et "dont la ville est maintenant propriétaire". Celle-ci pourrait encore se développer grâce au pont aérien. "Notre maison des spécialistes a un centre de ressources qui était destiné à accueillir des médecins qui viendraient ponctuellement, une journée par-ci par-là par exemple. D'après les retours que j'ai, ça n'a pas formidablement marché. Ça pourrait être le cas si on fait venir des libéraux" par avion, ambitionne Denis Thuriot. Un centre de santé mutualiste avec la Mutualité française bourguignonne sort aussi de terre en 2018. "J'ai aussi installé un dialogue entre le public et le privé. Chacun travaillait de son côté", liste Denis Thuriot.
Afin de favoriser l'accès aux soins et de mettre fin à l'iniquité de traitement, il obtient également, "avec l'appui du Président de la République lui-même", un hélicoptère sanitaire en 2020. "Nevers est la ville la plus éloignée du CHU de Dijon. Les gens mourraient parce qu'il n'y avait pas d'hélicoptère", lance Denis Thuriot. Le maire reconnait toutefois avoir commis une erreur, à peu près à la même période, en "laissant partir le centre 15 à Dijon".
"Je me suis battu pour des formations en santé"
Très vite après avoir pris ses fonctions, Denis Thuriot dépense aussi beaucoup d'énergie à développer des offres de formation sur sa commune. L'un de ses chevaux de bataille. "Il n'y avait pas assez d'enseignement supérieur ou de formation, y compris en santé. Je me suis battu sur ce sujet", explique le maire qui note un essor de "1 000 étudiants en cinq ans". A la rentrée 2020, une première année d'études de santé (Pass) a ouvert. "Là aussi grâce au soutien du Président de la République", ajoute-t-il, en rappelant que c'est sur ses terres qu'Emmanuel Macron a promis "l'ouverture" du numerus clausus lors qu'il était candidat à la présidentielle, en 2017. "Cela faisait 30 ans que la ville essayait d'avoir une 1ère année."
Le Pass "a de très bons résultats proportionnellement au nombre d'élèves qu'on a. Je crois qu'on est 7e au classement national", avance Denis Thuriot. Les élèves suivent en petits groupes les cours à distance, dispensés par les enseignants de l’UFR Sciences de Santé de Dijon, et retransmis en direct. "On me disait qu'on ne me l'accorderait pas parce que les élèves ne seraient pas dans les mêmes conditions d'amphithéâtre que les autres", se souvient le maire, l'esprit revanchard. "Aujourd'hui, grâce au Pass, par le biais du campus connecté qu'on a à côté, les élèves sont tutorés, accompagnés et ont des résultats très bons."
Après la première année, les étudiants sont toutefois encore contraints de partir à Dijon, "sauf ceux qui peuvent être pris en kiné ou en école d'infirmière". Mais peut-être plus pour très longtemps…. "On m'a contacté pour installer le 2e cycle de médecine à Nevers, c'est-à-dire les 4e, 5e et 6e année de médecine, annonce Denis Thuriot. "Je vais tout faire pour l'avoir", promet le maire. En 2017, ce dernier a aussi signé un partenariat avec l'hôpital vietnamien de Uong Bi : "Ils nous envoient des internes pour parfaire leur parcours et finir d'apprendre le Français et, en contrepartie, des médecins nivernais vont un peu faire ce que les médecins de Dijon avec nous, c’est-à-dire faire de la consultation avancée, parfois des interventions chirurgicales là-bas."
Parce que l'élu juge "important de raisonner sur toute une filière médicale avec tous les métiers qui peuvent en être attendu", il milite actuellement pour une formation d'infirmière de bloc opération (Ibode), "que la Région [lui] refuse", selon ses dires. "J'ai des infirmières qui quittent l'hôpital parce qu'elles veulent devenir Ibode, mais entre-temps elles ont fondé une famille et ne veulent pas se coltiner 24 mois, si ce n'est plus, de régime étudiant à prendre le train qui est très long jusqu'à Dijon ou Besançon pour se former… Donc non seulement je n'arrive pas à avoir d'Ibode, mais je perds des infirmières, ça n'a pas de sens !"
"Pour 5 personnes formées, ce serait 88 000 euros la première année, 7 000 euros la deuxième, pour la Région. Avec 2 milliards de budget, c'est un scandale !", fulmine-t-il. Et pour cause, faute d'Ibode, seuls "4 plateaux techniques sur 9 fonctionnent" à l'hôpital. Ce dernier a été placé sous administration provisoire en octobre dernier pour une période de six mois. "Ça a permis de remettre les choses au clair", juge Denis Thuriot. "Mon analyse rejoint le rapport de l'administration provisoire, qui a permis d'ores et déjà de fixer des grandes lignes à travailler avec le nouveau directeur", ajoute-t-il. "D'abord, on n'est pas pire que les autres. Je voudrais qu'on sorte de ce ciblage purement Nevers…"
"Une partie des difficultés propres à l'hôpital de Nevers est liée à la mésentente des médecins, regrette par ailleurs le maire de la ville d'environ 35 000 habitants. J'ai beaucoup de respect pour cette profession, mais vous avez des médecins qui ne comptent pas leurs heures, qui viennent en dehors de leurs heures de garde, et d'autres qui sont comptables, ne veulent pas faire d'effort pour faire fonctionner cet hôpital. Par exemple aux urgences, quand quelque chose va de travers, tous les médecins se mettent en arrêt maladie. Je dénonce ces arrêts de complaisance et ces comportements qui sont la traduction d'une absence de conscience professionnelle, je le dis clairement."
"Donner la place qu'ils méritent aux territoires"
Denis Thuriot le dit, et l'assume, il "ne pratique pas la langue de bois". Lors de l'épidémie de Covid, le maire – alors apparenté LREM – n'a pas hésité à montrer son désaccord au Gouvernement à propos de la campagne de vaccination. "Le système va dans le mur, il y a beaucoup trop de lenteurs administratives, déplorait-il dans Le Journal du dimanche en janvier 2021. Il faut davantage territorialiser, donner plus de vaccins aux départements qui sont prêts, composés de personnes à risques, et sortir de cette logique purement comptable et uniforme." Il maintient, trois ans après, sa position : "Je suis aussi un homme libre, évidemment que je dis ce que je pense."
Le maire a ainsi proposé à la conseillère santé d'Emmanuel Macron de supprimer les ARS. "Quand le Covid nous est tombé dessus, j'ai pratiquement vécu avec la préfète. On s'est débrouillés comme on a pu, on a trouvé des solutions sans savoir où on allait, et ça marchait très bien. Du jour où l'ARS s'est manifestée, ça a été une usine à gaz, avec une méconnaissance absolue des problématiques très pointues d'un territoire oublié pendant longtemps. C'est pour ça que je me bats ici dans cette ville", explique l'élu, qui milite pour donner la compétence santé aux préfets.
Denis Thuriot appelle à "donner la place qu'ils méritent aux territoires". "On est assez grand pour se débrouiller dans certains domaines, on est souvent obligés de suppléer l'Etat, ce n'est sûrement pas à lui de nous dicter ce qu'il faut, alors qu'il est à 300 kilomètres et qu'il ne connait pas le territoire." Pour lui, "s'il y a mécontentement des Français aujourd'hui, c'est aussi par la problématique santé où ils ne peuvent plus trouver un médecin." Or, "c'est le rôle d'un maire et d'un préfet de protéger la population." Lui, soutient avoir mis les moyens pendant la crise sanitaire. "J'ai fait un centre de vaccination in fine qui était l'équivalent de celui de Nice."
Pour Denis Thuriot, "il faut renverser la table, remettre les choses à plat, les fonctionnements en question". "Il y a une sorte de fuite en avant qui fait qu'on n'arrive pas à trouver des solutions efficaces pour que tout le monde soit soigné correctement", déplore le maire, pour qui "on a mis des pansements sur des pansements". Il suggère, pour répondre à la pénurie médicale, de "faciliter la conversion des diplômes de certains médecins étrangers ou des Français qui vont se former dans certains pays comme le Portugal ou la Roumanie et qui sont embêtés pour revenir". Car il en a conscience, le pont aérien "ne peut pas être le seul levier".
Investi dans la campagne législative pour soutenir son parti, Denis Thuriot n'a pas souhaité se présenter. "J'ai préféré pour l'instant rester encore sur mon projet local et retenter une dernière fois les municipales", confie-t-il. Pourrait-il un jour prendre une fonction parlementaire ? "Je ne cache pas qu'en tant que juriste ça pourrait m'intéresser un jour, mais le moment sera venu peut-être."
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