Face au manque de généralistes, la Cnam envisage de déclarer des spécialistes en tant que médecins traitants
En réponse à une promesse d'Emmanuel Macron, la Cnam s'est donnée pour mission de trouver un médecin traitant à chaque patient en ALD. Alors que le nombre de généralistes ne cesse de diminuer, les caisses se tournent désormais vers d'autres spécialités, comme les gériatres, les endocrinologues ou encore les cardiologues. Au sein des représentants de la profession, la démarche ne fait pas l'unanimité.
Un spécialiste peut-il devenir le médecin traitant (MT) de certains de ses patients chroniques ? C'est la question que pose l'Assurance maladie aux représentants des médecins, alors que le nombre de patients en ALD augmente inexorablement et que le nombre de généralistes libéraux, lui, se réduit un peu plus chaque année. Grâce au plan d'action mis en œuvre par la Cnam au printemps 2023 en réponse à une promesse d'Emmanuel Macron, la tendance s'est inversée en 2023 : le nombre de patients en ALD sans médecin traitant, qui s'établissait à 615 000 en février dans le régime général, est tombé à 472 000 à la fin de l'année. La Cnam a dans un premier temps sollicité les généralistes qui avaient vu au moins trois fois dans l'année un patient en ALD sans médecin traitant, afin qu'ils acceptent de se déclarer comme tel. Jouant l'entremetteuse, la Caisse s'est appuyée sur les CPTS pour recenser les généralistes qui accepteraient de suivre de nouveaux patients en ALD tout en allant vers les patients "non consommants" afin qu'ils déclarent un médecin traitant. Elle se tourne désormais vers les spécialistes.
Des patients vus au moins deux fois dans l'année
D'après la FMF, le sujet figurait au menu des premières réunions des commissions paritaires locales (CPL) organisées dans les départements des Yvelines et de la Manche. "Les directeurs des CPAM ont proposé de contacter les médecins spécialistes qui ont vu à au moins deux reprises dans l'année des patients en ALD sans MT pour leur proposer d'être leur MT, explique à Egora le Dr Frédéric Villeneuve, président de la FMF-Gé. De nombreuses spécialités sont concernées : cardiologie, endocrinologie, médecine interne, gériatrie, néphrologie, pneumologie, rhumatologie et psychiatrie. Dans les Yvelines, ça représente 286 médecins et 691 patients", précise le syndicaliste.
Sollicitée par Egora, la Cnam confirme que cette "nouvelle démarche" visant "à contacter les spécialistes qui reçoivent régulièrement le même patient sans être identifié comme médecin traitant" pour envisager qu'ils le deviennent "au vu du suivi qu’ils exercent sur le parcours global de ce patient" sera bien proposée en CPL, dans le cadre du plan d'accompagnement des patients en ALD. Rien n'est arrêté : "l’objectif" est que les représentants locaux de la profession échangent sur cette "opportunité", et "le cas échéant sur les spécialités concernées et les modalités de mise en œuvre", insiste la Cnam.
182 000 patients ont déjà un spécialiste pour médecin traitant
La convention médicale prévoit déjà cette possibilité : "Le médecin traitant choisi peut être un médecin généraliste ou un autre spécialiste quelle que soit sa spécialité". D'après les chiffres fournis par la Cnam, 27 869 médecins spécialistes (hors MG) conventionnés avaient au moins un patient MT adulte déclaré au 31 décembre 2023, et 182 272 patients de plus de 16 ans avaient pour MT un spécialiste. Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes : "un grand nombre" des spécialistes concernés n'a "qu'un ou deux patients MT". "Seules quelques spécialités cliniques, spécialisées dans la prise en charge de certaines pathologies, sont choisies par leurs patients pour être leur médecin traitant", pointe la Cnam. "Cela peut être le cas pour une personne souffrant d’un diabète de type 1 qui consulte son endocrinologue pour le suivi de son traitement, et pour sa prise en charge globale au regard des facteurs de risque cardiovasculaire ou du dépistage et de la prise en charge des complications du diabète."
Un patient dialysé qui se retrouverait sans médecin traitant pourrait-il, de la même façon, opter pour son néphrologue ? Pour Frédéric Villeneuve, la réponse est non. Dans un communiqué du 18 juillet, la FMF-Gé fustige une "initiative purement administrative", qui montre "une méconnaissance flagrante du rôle et des compétences du MT". "Dans les missions du MT [voir encadré], il y a assurer l'orientation du patient dans le parcours de soins coordonné, rédiger le protocole de soins, accompagner le patient dans sa réinsertion professionnelle… Est-ce qu'un néphrologue va accompagner son patient dialysé dans sa problématique de réinsertion professionnelle ? Je ne suis pas sûr qu'il ait le temps ou les compétences pour ça."
Le délai d'accès aux spécialistes rend d'ailleurs la mesure difficile à mettre en œuvre, pointe le généraliste. "J'exerce en Ile-de-France, en ZIP ; quand j'ai besoin d'un avis cardio ou d'un avis néphro, c'est plusieurs mois d'attente. Comment va faire un néphrologue MT pour donner un avis de premier recours, faire les arrêts de travail, prendre en charge les pathologies et comorbidités des patients, notamment relevant de la santé mentale ?" Car un patient, martèle Frédéric Villeneuve, ne "peut pas se réduire à un organe". Parmi les plus de 13 millions de patients en ALD en France, 23% ont au moins deux pathologies, signale-t-il. Quant aux patients dialysés, "24% ont une obésité, 25% un cancer (actif ou surveillé), 10% une maladie neurologique associée, 17% une maladie respiratoire chronique associée, 34% sont sous psychotropes…", pointe-t-il. Ces patients polypathologiques "ont besoin d'un MT qui va coordonner les soins, éviter la iatrogénie et prioriser certaines prises en charge", insiste Frédéric Villeneuve.
Une mesure "purement administrative"?
Le président de la FMF-G rappelle en outre que le médecin traitant a un rôle de prévention qui doit l'amener à promouvoir la vaccination, les dépistages ou encore aborder le sujet des IST. "On fait croire qu'on va améliorer l'accès aux soins en disant 'votre néphrologue va devenir votre MT', mais je ne suis pas sûr que ce soit une réalité."
Présidente de MG France, la Dre Agnès Giannotti se montre plus mesurée. "Si c'est une mesure purement administrative pour que les patients ne se retrouvent pas le bec dans l'eau, en attendant qu'ils aient un vrai médecin traitant, pourquoi pas, ça s'étudie, réagit-elle. Mais je ne vois pas les médecins spécialistes faire le boulot du médecin traitant, ils n'ont ni la compétence, ni le savoir-faire ni le temps - comme nous de faire tout ce qu'ils font. A chacun son boulot. Il ne faut pas qu'il y ait une remise en cause du rôle de MT.
"Un patient qui suit un traitement et n'a pas de médecin traitant, on l'envoie chez le boucher?"
"Les spécialistes n'auraient pas la connaissance de ce qu'est le médecin traitant, de ce qu'il fait… ? Attendez, il y a un socle en France, qui est de la médecine générale, rétorque le Dr Patrick Gasser, président d'AvenirSpé. Il y a des choses qu'on peut très bien gérer. Dans ce cas-là, on va dire au généraliste vous n'êtes pas assez spécialisé pour prendre en charge un patient cardio ou avec de l'hypertension ?" Dénonçant une position "corporatiste" de la FMF, le représentant des spécialistes se veut "pragmatique". "Lorsqu'on a un patient qui n'a pas de médecin traitant et suit un traitement, on l'envoie chez qui ? Le boucher ? Le boulanger ? Le pharmacien peut renouveler une fois ou deux… mais après ?" Si les médecins spécialistes n'ont pas "vocation" à endosser le rôle de médecin traitant sur le long terme, reconnaît-il, des praticiens "volontaires" pourraient tout à fait être amenés à assurer la prise en charge des patients en ALD, "pendant un temps", "dans des situations démographiques ou médicales particulières", soutient le syndicaliste. Dans le cadre d'une consultation avancée en zone sous-dense, par exemple.
"Certaines spécialités comme la gériatrie et la médecine interne s’intéressent à l’état de santé global des patients, au même titre que la médecine générale", plaide de son côté la Cnam.
Alors que le nombre de spécialistes a augmenté de 1.4% entre 2017 et 2022, la médecine générale, elle, a perdu près de 5% de ses forces vives. Dans ce contexte de crise démographique, comment assurer la prise en charge des patients en ALD ? "La solution, c'est de rendre le métier de généraliste attractif. On en revient toujours à la même chose… Mais les moyens ne sont pas mis", déplore Frédéric Villeneuve. Entre les jeunes diplômés qui n'exercent pas et les praticiens expérimentés qui se reconvertissent, "il y a une réserve de plusieurs milliers de généralistes qui s'installeraient si les conditions étaient attractives", soutient-il.
Pour Patrick Gasser, en revanche, il faut remettre à plat l'organisation du système de santé. "Il y a une question de fond : quel est le rôle du MT de demain ? Mais aussi des spécialistes et des paramédicaux. Qui fait quoi ? Il n'y a pas eu de réflexion", regrette-t-il. "Pour moi le MT, demain, ce sera le coach. Ce ne sera pas forcément lui qui posera le diagnostic. Le patient, comme les sportifs, sera pris en charge par une équipe, avec un coach", développe-t-il. "A AvenirSpé, on porte l'évolution des métiers, insiste-t-il. C'est délétère de dire que 'les autres ne savent pas faire'. Il y a des spécificités, chez nous, qu'on n'arrive pas à accepter, moyennant quoi on n'arrive pas à construire."
Les missions du médecin traitant inscrites dans la convention
- contribuer à l'offre de soins ambulatoire ;
- assurer dans le cadre du parcours de soins coordonné l’orientation du patient notamment auprès des médecins correspondants et informer ces médecins des délais souhaitables de prise en charge compatibles avec l’état de santé du patient ;
- rédiger le protocole de soins en tenant compte des propositions du ou des médecins correspondants participant à la prise en charge du malade, de veiller à son suivi, de se prononcer sur son renouvellement et sur un éventuel suivi post-ALD ;
- accompagner le patient, le cas échéant, dans sa réinsertion professionnelle, en lien avec la médecine du travail et avec l’appui de l’Assurance maladie ; -
- contribuer à la participation de ses patients aux actions de prévention (vaccination, prévention des pratiques addictives, de l’obésité, notamment chez les enfants…), de dépistage (cancer colorectal, cancer du sein, cancer du col de l’utérus,…) et de promotion de la santé (habitudes alimentaires, arrêt du tabac et de l’alcool, conduites à risques,…) ;
- informer le patient qui ne s’est pas opposé à la création de Mon espace santé du versement dans son dossier médical partagé et de l’envoi via sa messagerie de santé des documents et informations mentionnés par l’arrêté du 26 avril 2022 fixant la liste des documents soumis à l'obligation prévue à l'article L. 1111-15 du code de la santé publique modifié ainsi que ceux que le médecin juge pertinents. Il l’invite à s’y reporter grâce à l’activation de son profil ;
- apporter au patient toutes les informations permettant d'avoir accès à une permanence d’offre de soins aux heures de fermeture du cabinet ;
- anticiper sa cessation d’activité et contribuer à assurer la continuité des soins de ses patients en particulier ceux atteint d’affection de longue durée.
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