En partenariat avec Retronews.fr, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France. "Aujourd'hui nous sommes en guerre et nous avons besoin de tout le monde." Convoqués le 5 janvier 1955 par le préfet et le directeur départemental de la santé, le Dr Guy Grosse, les 54 médecins du canton de Vannes apprennent avec stupeur que la variole vient de faire son grand retour en Bretagne. Alors qu'aucun cas n'avait été recensé dans la région depuis près d'un siècle*, les autorités sanitaires en dénombrent déjà 13. Les cas se sont déclarés fin décembre au service pédiatrie de l'hôpital Chubert, à Vannes. Le 1er janvier, le Dr Grosse est appelé au chevet de ces jeunes malades, tous atteints de la même "affection à forme éruptive", le corps couvert de "plaies rouges et brulantes". C'est un médecin colonial à la retraite qui le met sur la voie : la variole. Le diagnostic est confirmé par le Pr Bernard Le Bourdellès, dépêché par le ministère depuis le Val-de-Grâce, et par les résultats des prélèvements envoyés à l'Institut Pasteur.
Les médecins mènent l'enquête et identifient le patient zéro : atteint par ce que l'on pense alors être une méchante varicelle, le petit Daniel Debuigny, un an, a été hospitalisé le 9 décembre. Présentant une forte fièvre et des "boules purulentes" (un "pemphigus staphiloccocique" est évoqué), il a été traité par antibiotiques. Le bébé est rentré chez lui, guéri, le 28 décembre… non sans avoir contaminé les enfants et soignants du service pédiatrie. Des pyjamas de soie brodés de dragons Reste à savoir comment l'enfant a été atteint. Les soupçons se portent sur les pyjamas de...
soie ramenés par son père d'Indochine. Hospitalisé au Val-de-Grâce quelques jours après son évacuation, le sergent parachutiste René Debuigny obtient une permission pour aller voir sa femme et ses trois enfants à Vannes, rapportant dans ses valises "la maladie des chiffonniers", raconte la presse. "Il paraît que c'est moi qui ai apporté la variole en Bretagne!" s'étonne le militaire, interviewé depuis son lit d'hôpital par un journaliste de Paris-Presse L'Intransigeant (futur France soir). De retour de Vannes, le soldat a en effet été victime d'une "attaque de paralysie". Un syndrome de Guillain-Barré? Pour les historiens de la médecine, l'hypothèse des pyjamas décorés de dragons ne tient pas. Le sergent "avait probablement été contaminé lors d'une hospitalisation dans un hôpital de Saïgon et avait fait une forme fruste de variole, classique chez les sujets vaccinés", analyse le Dr Bertrand Mafart dans un article de la revue Médecine et histoire.
Mais en dehors des armées, la vaccination contre la variole (pourtant obligatoire jusqu'en 1979) est "peu populaire en France", relève ce dernier. "La rareté des cas, le risque d'encéphalopathie post-vaccinale, de vaccine généralisée et les cicatrices cutanées disgracieuses" ont favorisé "un relâchement de la discipline vaccinale", y compris chez les soignants. Un millier de personnes confinées à l'hôpital Le risque d'une propagation de l'épidémie est par conséquent "grave à l'extrême", s'affole la presse. "Depuis l'hospitalisation du petit Daniel, des dizaines de malades -peut-être contaminés- étaient en effet sortis. Des centaines de parents et d'amis leur avaient rendu visite, surtout lors des fêtes de Noël et du Jour de l'an. On risquait au bout des douze ou dix-huit jours d'incubation d'avoir...
des milliers de cas", s'alarme Paris-Presse, qui a consacré une série de reportages à l'épidémie bretonne. Et ce malgré la mesure de confinement prise par le Dr Grosse : dès le 2 janvier, l'hôpital Chubert est bouclé. Personne n'entre, ni ne sort, à l'exception des médecins. "682 malades, 230 employés, 29 religieuses, 50 élèves infirmières et trois internes, soit près de mille personne au total" sont enfermées dans la "forteresse Chubert". "Leur nourriture vient de l'extérieur, mais rien ne sort sauf le courrier, préalablement désinfecté au formol et au rayon ultra-violet", raconte Paris-Presse. Les "varioleux" sont isolés dans trois pavillons : un pour les malades (leurs mains liées pour les empêcher de se gratter), un pour les convalescents et un pour les cas suspects, qui font parfois l'objet d'"arrestation préventive". Les cas contacts sont recherchés et systématiquement (re)vaccinés.
54 médecins en première ligne Les 54 médecins de Vannes se voient chacun attribuer un secteur : dès le 6 janvier, 280 000 habitants du canton de Vannes, d'Auray, de Locminé, de Saint-Jean-Brevelay et de Quiberon doivent être vaccinés d'urgence. "A Vannes, dès 10 heures du matin, on faisait queue à la porte des six centres et en trois jours sur les 28000 habitants de la ville, 25 000 tendaient leur bras à la scarification. Les 3000 autres avaient été vaccinés par leur médecin traitant ou pouvaient présenter un certificat datant de moins de 3 ans", relate Paris-Presse. Hier comme aujourd'hui, la vaccination obligatoire ne fait pas que des heureux : "Je sais que la vaccination peut être dangereuse. Il y a eu des cas d'encéphalites et des gosses en sont morts", s'insurge une mère de famille, qui a refusé le vaccin pour ses filles, même après avoir été convoquée par le directeur de l'école. La famille Gachet, membre des Disciples du Christ de Montfavet, fera l'objet de poursuites. Ils seront défendus par la Ligue nationale contre la vaccination, qui fait à l'époque campagne dans la presse pour alerter sur la nocivité du vaccin. A des centaines de kilomètres de là, le signalement d'un cas suspect en Seine-et-Oise incite néanmoins les Parisiens à suivre le conseil de la préfecture et à se faire vacciner en masse. En l'espace d'une semaine, des centaines de milliers d'habitants de la capitale se pressent dans...
les dispensaires et autres établissements publics proposant le vaccin, tandis que 1500 médecins libéraux donnent l'exemple en se faisant revacciner. "On parle de fermer le département" Mais malgré ces mesures de prophylaxie, la variole, diagnostiquée avec retard, s'étend en Bretagne. La vie locale est "suspendue au communiqué publié par la préfecture", relate l'envoyé spécial de Paris-Presse : "deux fois par jour, une feuille stéréotypée distribuée aux journaux locaux indiquait les noms des malades, ceux des morts, des convalescents et des guéris". De fausses nouvelles se propagent : Paris Match évoque début février "l'épouvante devant les cercueils arrivant en gare (…) d'une ville assiégée de nouvelles circulant à la vitesse des feux de brousse". "On parle de fermer le département ; personne ne pourra plus y pénétrer ni en sortir", s'alarme-t-on. "Il en a été question", confirme le journaliste de Paris-Presse : "Mais une telle mesure serait de nos jours pratiquement impossible à faire respecter ; un cordon sanitaire ne peut à la rigueur avoir une certaine efficacité qu'aux frontières nationales", juge ce dernier. "Pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas fermer les églises, les marchés publiques, les grands magasins, les bureaux de Poste. Bref, condamner Vannes à une vie moribonde!", se serait indigné le préfet devant les journalistes. Seuls les congrès et rencontres sportives sont interdits. La peur d'être contaminé effraie le chaland : "les commerçants ont vu leur chiffre d'affaires dégringoler vertigineusement. Ils ont même demandé au percepteur de leur accorder un délai pour le règlement de leur tiers provisionnel", rapporte Paris-Presse.
Un médecin "mort victime de son devoir" Le 22 janvier, on croit l'épidémie jugulée : 66 cas ont été recensés, dont un à Rennes, deux à Brest et un à Saint-Dié dans les Vosges. Quatorze décès sont déplorés, parmi lesquels de jeunes enfants, des personnes âgées… et un médecin, le Dr Guy Grosse en personne. Dix autres médecins bretons ont été contaminés, mais tous ont fait des formes frustes. Le Dr Grosse, âgé de 44 ans, a développé une variole hémorragique. Alité depuis le 10 janvier, il avait été transféré au pavillon des contagieux une semaine plus tard. "Le 24, à 10 heures du soir, un cercueil de plomb -celui des grands contagieux- quittait l'hôpital. Le Dr Guy Grosse, 14e et dernière victime de l'épidémie, s'en allait le jour de la victoire", raconte Paris-Presse le 9 février. "Médecin d'une qualité et d'un dévouement exceptionnels", le Dr Grosse, "mort victime de son devoir", est cité à l'Ordre de la nation par Pierre Mendès-France. Il reçoit à titre posthume la Légion d'honneur et la médaille d'or des épidémies. Mais la presse a crié à la victoire trop vite : le 17 février, un nouveau cas est signalé à l'hôpital Chubert. L'épidémie ne s'éteint à Vannes qu'en mars : l'hôpital se déconfine lentement, les patients n'étant autorisés à sortir que 21 jours après leur guérison. Mais en avril, une seconde vague frappe Brest, par le biais d'un patient qui avait été hospitalisé à Vannes… Vingt-et-un nouveau cas sont recensés. Au total, la dernière épidémie de variole en France a fait 20 victimes parmi les 98 personnes infectées. *Plusieurs résurgences épidémiques de variole sont survenues les années précédentes, notamment à Paris en 1942 (60 cas) et à Marseille en 1952 (30 cas). L'épidémie bretonne est de loin la plus meurtrière.
-B.Mafart, J.L. Le Camus, F. Mirouze, Th. Matton, Les Dernières épidémies de variole en France, Semaine des Hôpitaux de Paris, 1999, 33-34, 1265-1268.
-Pr Patrick Zylberman (EHESP, Rennes, USPC), La dernière épidémie de variole (en France) : Vannes, 1955 - Attitudes des pouvoirs publics, des soignants et de la population lors d’une campagne de vaccination de masse
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