Durant ces mois de délibéré, les juges vont "devoir mettre de côté l'émotion très forte" ressentie dans cette affaire, a déclaré la présidente du tribunal Sylvie Daunis, après avoir officiellement clos le procès-fleuve du Mediator hier. "Car cette émotion ne doit pas être le guide de notre décision. Seul le respect du droit et de la procédure peut être le fil conducteur de notre réflexion, même si cela peut être difficile à entendre pour les victimes."
Ouverte le 23 septembre, l'audience a duré 517 heures "et quelques minutes". Quelques 6.500 personnes se sont portées civiles, dont les caisses d'Assurance maladie, qui réclament plus de 450 millions d'euros de dommages et intérêts suite au remboursement de ce traitement adjuvant du diabète, largement détourné comme coupe-faim. Pendant 33 ans, 145 millions de boîtes ont été vendues, 5 millions de personnes en ont consommé. Entre 500 et 2.000 personnes -selon les expertises- sont décédées, la plupart victimes d’une hypertension artérielle pulmonaire.
Au total, 10,228 millions d'euros d'amende ont été requis à l'encontre des six sociétés de Servier pour "tromperie aggravée", "escroquerie" et "homicides et blessures involontaires". Contre Jean-Philippe Seta, l'ancien bras droit de Jacques Servier, décédé en 2014, l'accusation a réclamé cinq ans d'emprisonnement, dont deux ans assortis de sursis et 200.000 euros d'amende
Le groupe pharmaceutique est accusé d'avoir dissimulé la nature anorexigène du Mediator dès sa mise sur le marché en 1976. La défense du groupe pharmaceutique a une ultime fois, lundi, rejeté toute faute pénale dans l'affaire, soutenant qu'il n'y avait pas eu de "signal de risque identifié avant 2009" et que le benfluorex n'a pas d'activité anorexigène chez l'homme. L'accusation, au contraire, a pointé les premières alertes sur la toxicité du Mediator dès 1995.
Les laboratoires Servier "ne pensent pas être irréprochables dans cette affaire", a assuré François de Castro, l'un des avocats de la firme. "Le premier reproche qu'ils se font, c'est d'avoir été attentistes. Ils sont conscients qu'ils ont été mauvais sur l'appréciation du risque, en se reposant sur l'autorité sanitaire."
Me de Castro considère que l'Agence du médicament avait "les données essentielles en mains, au plus tard en 1999". Dès 1995, elle avait placé sous enquête de pharmacovigilance le Mediator, du fait de sa parenté chimique avec l'Isoméride et le Ponderal, retirés du marché en raison de leurs graves effets indésirables. Jamais un médicament n'a été retiré du marché pour son appartenance "à une même famille chimique", a relevé François de Castro. De même, l'appréciation du risque par l'Agence du médicament ne souffre "d'aucun atypisme": d'autres médicaments avec des signaux de risque "bien plus alarmistes" ont été suspendus encore plus tardivement. Mais pour le défenseur des laboratoires, cette enquête, puis celle lancée au niveau européen à la fin des années 1990, devaient "contribuer à l'émergence d'un signal de risque" ; elles ont finalement "rassuré tous les acteurs" sur le Mediator.
L'ANSM, également sur le banc des accusés, a quant à elle reconnu une "part de responsabilité" pour avoir tardé à retirer le médicament du marché, en novembre 2009, après l'alerte médiatique d'Irène Frachon. Dans le volet "conflits d'intérêts" du procès, 200.000 euros ont été requis contre l'ANSM. Des amendes et des peines de prison avec sursis ont par ailleurs été demandées contre d'anciens cadres et experts des autorités de santé dont Jean-Michel Alexandre, ancien grand ponte de la pharmacologie et haut cadre de l'Agence du médicament, devenu "conseiller personnel" de Servier juste après son départ.
Le jugement sera rendu le 29 mars 2021.
[avec AFP]
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