Mediator : les dernières révélations du procès

07/12/2019 Par Caroline Coq-Chodorge
Faits divers / Justice

La parole est aux mis en cause ! Les dernières semaines du procès Mediator ont été consacrées aux auditions de l’agence du médicament, et du principal prévenu chez Servier, l’ancien numéro 2 du groupe. Elles ont montré la confusion qui régnait au sein de l’agence, et l’aplomb du laboratoire.     Le procès du Mediator est celui des occasions manquées, celle d’élucider la nature réelle du Mediator ou celle de mesurer la gravité potentielle de ses effets indésirables, cardiaques et pulmonaires. Les très longues heures d’audiences tentent de reconstituer un puzzle éclaté, dont la vision d’ensemble a échappé à tous, jusqu’à la révélation de l'affaire par Irène Frachon. L’objet de ce procès est de déterminer si ces manquements ont été, ou non, délibérés. Pendant deux semaines, ont défilé à la barre du tribunal les deux principaux mis en cause. L’agence du médicament tout d’abord, qui comparait en tant que personne morale pour « homicides et blessures involontaires par négligence ». Les juges d’instruction ont écarté toute responsabilité individuelle, c’est donc à titre de témoins qu’ont défilé ses responsables. Pour le laboratoire Servier, puisque son fondateur est décédé, c’est l’ex numéro 2 du groupe, Jean-Philippe Seta, qui répond individuellement des chefs d’accusation d’"homicides involontaires", "blessures  involontaires" et "tromperie sur les risques inhérents à l'utilisation du Mediator".   "Je pourrais me demander si j’avais ma place à ce niveau de responsabilités, les compétences requises" La dissection par le tribunal du fonctionnement défaillant de l’Agence du médicament est particulièrement cruelle. « Je ne suis ni médecin ni pharmacien. Aurais-je dû refuser le poste en 1993 ? Je ne cesserai de me poser la question » s’est ainsi interrogé Didier Tabuteau, le premier directeur de l’Agence du médicament, entre 1993 et 1997, qui s’est dit « accablé ». « Je pensais avoir dédié ma vie à la santé publique, je sors de cette histoire profondément meurtrie (…). Je pourrais me demander si j’avais ma place à ce niveau de responsabilités, les compétences requises, » a reconnu, vacillante, autant physiquement que moralement, Anne Castot, ancienne chef du service de la gestion des risques et de l'information sur les médicaments, de 1999 à 2004. Moins en difficulté, car il a pris la tête de l’agence du médicament après le scandale du Mediator, en 2001, Dominique Maraninchi a expliqué que le dossier Mediator avait été, pendant des années, ballotté de commissions en commissions au sein de l'Agence : "Cela a profité à la firme. (...) Cela a nuit au fonctionnement de l'Agence. Au bout d'un moment, il fallait prendre une décision." Ce processus de procrastination est décrit ainsi par Anne Castot : « D’un côté, la commission de pharmacovigilance travaillait sur les risques du Mediator, mais de l’autre côté, la commission d’autorisation de mise sur le marché s’intéressait aux données d’efficacité du Mediator dans les indications du diabète. » Et d’un côté comme de l’autre, les conflits d’intérêts n’étaient pas gérés, puisque des experts exerçant également comme consultants pour Servier participaient aux réunions sur le Mediator, plusieurs se trouvant aujourd’hui mis en examen. Pourtant, les autorités françaises disposaient de nombreuses informations. En 1996, paraît l’étude dite IPPHS, sur les risques d’hypertension artérielle pulmonaire associés aux médicaments anorexigènes comprenant de la fenfluramine. Elle est dirigée par l’épidémiologiste Lucien Abenhaïm, qui sera nommé directeur général de la santé en 1999. L’étude implique de nombreux Français, dont le pharmacologue Bernard Bégaud, qui siégeait à la commission de pharmacovigilance de l’agence française. Aux Etats-Unis, cette étude a permis de mesurer les risques de l’Isoméride et du Pondéral, les deux fenfluramines commercialisées par Servier, qui seront retirées du marché en 1997, la France emboitant le pas de la Federal drug agency (FDA). Mais le Mediator, dont la substance active est le benfluorex, échappe à l’alerte. Car la plus grande « confusion » existe autour de la nature de ce médicament, a reconnu Anne Castot. Elle a pourtant découvert, dès 1995, « que l’Organisation mondiale de la santé classe le benfluorex dans la classe des anorexigènes ». Elle savait aussi « qu’une partie du benfluorex était métabolisé en fenfluramine », pourtant associée aux HTAP par l’étude IPPHS. Mais « les mécanismes d’action n’étaient pas clairs », élude-t-elle. Dès mai 1995, le comité technique de pharmacovigilance de l’agence s’est interrogé sur la parenté du Mediator avec l’Isoméride et le Pondéral. « Une enquête officieuse est conduite », a expliqué Anne Castot. Elle conduit à l’interdiction en juin 1996 de tous les anorexigènes, y compris le Mediator, mais seulement dans les préparations magistrales. « Nous voulions éviter les usages détournés. » Au niveau européen, une enquête est également conduite, qui ne permet pas de lever les doutes, ni de les confirmer.

En mai 1999, l’agence demande au laboratoire Servier de réaliser une étude de pharmacocinétique, à dose unique, après plusieurs jours de traitement. En juin, Servier fournit une étude qui n’apporte « rien de nouveau, admet Anne Castot. Nous n’avons pas obtenu de Servier les éclaircissements demandés ». Pourtant, aucune suite n’est donnée, le Mediator tombe dans l’oubli jusqu’en 2005.  Il y a eu "un problème de mémoire collective", a reconnu l’ancien directeur de l’agence à l’époque du scandale, Jean Marimbert. « On a perdu la trace des débats qui avaient eu lieu."   Note aux prescripteurs L’ancienne directrice de la pharmacovigilance Anne Castot a également tenté d’expliquer « la difficulté de retirer un produit, la crainte de voir nos décisions cassées en justice », si elles n’étaient pas assez argumentées. De son côté, le laboratoire Servier reste sur sa ligne de défense : le benfluorex n’est pas un anorexigène. C’est ce qu’a répété, avec aplomb, l’ancien numéro 2 de Servier,  Jean-Philippe Seta. « Le benfluorex a une activité anorexigène chez le rat, mais pas chez les hommes, assure-t-il. Dans les études disponibles, la perte de poids n’est pas de plus de 1,6 kg. » En réponse, une avocate des parties civiles a ironisé sur les nombreuses femmes qui se faisaient prescrire du Mediator avant l’été, et se le conseillaient entre elles. L’audition des victimes permettra certainement d’éclaircir ce point. En novembre 1999, le laboratoire Servier a diffusé une note auprès des prescripteurs, signée par Jean-Philippe Seta, qui affirme que le « Mediator se distingue radicalement de la fenfluramine tant en termes de structures chimique et de voies métaboliques que de profil d’efficacité et de tolérance ». Jean-Philippe Seta reconnaît : « L’usage des adverbes était souvent un peu excessif chez Servier. » Difficile en effet d’affirmer que le Mediator se distingue « radicalement » de la fenfluramine, puisque les deux molécules produisent un métabolite commun, la norfenfluramine, retrouvé au même niveau de concentration sanguine. Mais Jean-Philipe Seta défend cependant la finalité de cette note, dont la vocation était d’ « éviter les mésusages », c’est-à-dire le détournement du Mediator comme coupe-faim. Seulement, l’argumentaire de cette note a été reproduit, à l’identique, en 2008, en réponse à un courrier du CHU de Brest, qui s’inquiétait à son tour de la structure chimique du Mediator. Or, en 2008, le mécanisme d’action du benfluorex était mieux connu, et plusieurs cas d’hypertension artérielle pulmonaire associés à la prise de Mediator décrits, en Espagne, à Montpellier ou à Toulouse. Remarquablement préparé, l’ancien numéro 2 de Servier n’a jamais vacillé, au long d’une très longue audition de plus de 10 heures. S’il s’est dit « bouleversé, écrasé par tout ce qui s’est passé », il a affirmé qu’il n’y a « jamais eu de manquements délibérés, de fautes intentionnelles » de sa part ou de celle du laboratoire. « Nous avons découvert en 2009 qu’on était passés, pendant des années, à côté d’un drame sanitaire ». A ce stade du procès, force est de constater que la vie du Mediator a très certainement profité de nombreux dysfonctionnements au sein d’une agence du médicament bénéficiant de conseils venant de consultants dont certains intervenaient aussi pour le compte de Servier…

Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?

François Pl

François Pl

Non

Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus

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