
"Il y a une vraie fatwa anti-médecine esthétique en France" : sanctionné, ce généraliste se défend
Syndicaliste et conseiller ordinal, le Dr Jean Tafazzoli, qui possède une activité "secondaire" de médecine esthétique dans l'ouest lyonnais, vient d'être interdit d'exercer pour une durée de deux mois par la chambre disciplinaire de première instance. Il lui est reproché d'avoir fait un usage "abusif" du terme de "médecine esthétique" ou encore d'avoir "démarché" des esthéticiennes pour qu'elles lui adressent leurs clientes en échange d'une rémunération. Contacté par Egora, le généraliste annonce faire appel, et dénonce une "action politique" à son encontre.

Quatre mois d'interdiction d'exercer, dont deux assortis du sursis. C'est la sanction qui a été infligée par la chambre disciplinaire de première instance (CDPI) de l'Ordre des médecins de Auvergne Rhône-Alpes au Dr Jean Tafazzoli. Ce généraliste de l'ouest lyonnais possède également une activité "périphérique", "secondaire" de médecine esthétique. Fin octobre 2022, le conseil départemental de l'Ordre (CDOM) du Rhône avait déposé plainte contre le praticien, par ailleurs membre actif de l'UFML, constatant que ce dernier continuait de communiquer sur son site internet professionnel, sur sa page Doctolib ou sur ses réseaux sociaux, des "éléments contraires aux dispositions du code de déontologie médicale", et ce malgré la demande de modification et de clarification exprimée par l'instance quelques mois plus tôt dans un courrier.
Dans sa plainte, le CDOM soutient que le Dr Tafazzoli "se prévaut, à tort, en revendiquant, sans en justifier en totalité, des diplômes et l’appartenance à des sociétés savantes, d’une spécialisation et compétence en 'médecine esthétique', appellation sans fondement légal ou réglementaire". Ainsi, l'emploi, sur son site internet professionnel, du terme de "médecin esthétique diplômé et aguerri", est, pour la chambre disciplinaire de première instance, "susceptible de tromper le public sur la nature et la valeur de cette qualification", écrit-elle dans sa décision rendue publique le 3 février dernier, et qu'Egora a pu consulter. "Ce même site mentionne une activité en 'médecine esthétique et anti-âge', formulation tout autant critiquable", a-t-elle jugé.
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Le CDOM du Rhône, à l'origine de la plainte, reprochait également au généraliste de "faire usage de termes laudatifs pour vanter ses résultats", notamment par le biais de photos "avant-après" postées sur son site et réseaux sociaux, "sans respecter ni l’obligation de se limiter à des publications loyales et scientifiques, ni le secret professionnel". Une communication "de nature publicitaire" pour "susciter l’intérêt des lecteurs et les convaincre de faire appel à ses 'services'", a également estimé la chambre disciplinaire de première instance, pour qui ces illustrations "avant-après" sont "constitutives d'une promesse de résultat".
"De même, la mention de ce que le praticien peut pratiquer des injections 'd’analogues du botox' pour contourner l’interdiction de l'usage effectif de la toxine botulique par le médecin généraliste, peut être aussi assimilée à une communication de nature publicitaire, destinée à attirer des utilisateurs potentiels de procédés correctifs à visée esthétique eu égard à la connotation et à l’attractivité de l’appellation commerciale qu’il cite et qui est la plus répandue de la toxine botulique", ajoute la CDPI, qui a entendu le Dr Tafazzoli en décembre dernier.
Dans sa décision, la chambre disciplinaire a, en outre, estimé que le Dr Jean Tafazzoli avait "gravement manqué à ses obligations générales, notamment celle de moralité et de probité", en invitant, sur un compte Instagram "destiné à la promotion de son activité de 'médecine esthétique'", des esthéticiennes à lui "envoyer [leurs] clientes pour botox, acide hyaluronique, peeling" avec "la promesse d’une rémunération de 60 euros par 'cliente adressée'". Une démarche de nature commerciale qui est "de nature à déconsidérer" la profession de médecin, selon la CDPI. Celle-ci lui reproche également d'avoir utilisé son activité médicale pour "favoriser" son activité commerciale de dirigeant d'une société de téléconsultation.
On ne peut pas dire qu'on a une expertise alors qu'on est diplômé
Contacté par Egora, le Dr Tafazzoli annonce faire appel de cette décision. La sanction, qui devait s'appliquer du 1er mai au 30 juin, est donc suspendue. Le généraliste de l’UFML dénonce "une action politique menée à [son] encontre". "Dans la mandature précédente du CDOM 69, on retrouvait pas mal de personnes qui faisaient alors partie de l'URPS-ML Aura, tout comme moi [il a démissionné en décembre 2022, NDLR], et qui étaient mes adversaires politiques. Il y a eu clairement, à mes yeux, une instrumentalisation du CDOM, à un moment où il y avait des bras de fer politiques", a avancé le généraliste, citant la création du collectif Médecins pour demain. Le médecin précise, en outre, qu’il a eu connaissance de la transmission de cette plainte à la CDPI peu avant l’élection du CDOM du Rhône à laquelle il s’est présenté en 2024 - il sera finalement élu titulaire en mars dernier en binôme avec Christelle Audigier, fondatrice de MPD.
Le Dr Tafazzoli confirme avoir reçu un courrier lui demandant de modifier ou clarifier "une centaine de points [...] dans mes diverses communications sur internet", et assure s'être plié à "la quasi-totalité" de ces demandes : "C’étaient surtout des questions de vocabulaire." Entendu en décembre dernier, le Dr Tafazzoli indique avoir "vite compris que le sujet c'était la médecine esthétique, l'expertise en médecine esthétique. On m'a reproché de m'être dit ‘expert’ en médecine esthétique sur mon site", explique le médecin, "diplômé du DUTIC" (DU de techniques injection et comblement). "Je pense que les gens ont besoin de voir et de pouvoir s'assurer que le médecin qui va leur enlever certaines lésions ou leur remodeler une partie du corps a les compétences, les diplômes et l'expertise."
"Que l'Ordre ne reconnaisse pas les DU, soit, mais ça ne veut pas dire que je n'ai pas d'expertise dans ce domaine", déplore le généraliste, qui pointe une "espèce d'hypocrisie". "Le sujet de la médecine esthétique en France est complètement incohérent, on ne peut pas dire qu'on a une expertise alors qu'on est diplômé." "Je m'attendais à un peu de compréhension de la part de mes pairs. Je pense que l'Ordre doit avoir un rôle de protection de l'exercice des médecins et de leur expertise et peut-être se retourner contre ces sociétés ou ces personnes qui font de la fausse médecine esthétique", ajoute le Dr Tafazzoli, affirmant avoir fait partie des premiers à "dénoncer les fake injectors et les dérives mercantiles de certains grands groupes qui ont des cliniques esthétiques".
S'agissant du démarchage d'esthéticiennes évoqué par le CDOM dans sa plainte, le Dr Tafazzoli précise qu'il s'agissait de discussions non publiques, sur un "compte Instagram privé", fermé depuis. "On a fait des copier-coller pour essayer de faire croire que je faisais du commerce de la médecine." Il assure qu'aucun démarchage n'a été réalisé. "Je n'ai jamais ni touché ni versé d'argent à qui que ce soit en dehors du cabinet !", se défend-il. Enfin, le généraliste déplore la "déraisonnabilité de la sanction". "Pourquoi quatre mois d'interdiction d'exercice. J'ai tué qui ? J'ai fait quelle erreur médicale ? Quel est le patient qui s'est plaint de moi ? Personne, il n'y a rien. Il n'y a pas d'affaire médicale", insiste le praticien, évoquant "une vraie fatwa anti-médecine esthétique en France".
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