Rien de plus logique à cela, les enquêtes d’opinion révèlent que la santé fait partie, avec le pouvoir d’achat, l’environnement et la sécurité, des sujets qui préoccupent le plus les Français. Elle occupera même, bien avant la crise sanitaire, la première place du podium lors d’une enquête de l’Ifop en septembre 2019 avant que le pouvoir d’achat ne lui dame le pion sur la fin. Elle est devenue au fil du temps « une préoccupation majeure mais aussi un sujet d’inquiétude », selon Brice Teinturier, le directeur général de l’institut Ipsos[1]. Si les Français continuent à estimer majoritairement que le système de santé est de bonne qualité, ils ont, par contre, le sentiment que les choses se dégradent. C’est le cas notamment de l’accessibilité aux soins et de l’hôpital, dont la situation est jugée mauvaise par près de 65% d’entre eux. Un record ! Ceux qui ont suivi les campagnes précédentes savent qu’on y a peu parlé de santé, les postulants à la magistrature suprême préférant s’écharper sur l’immigration ou la sécurité. Covid-19 oblige, il ne pouvait qu’en être différemment, cette fois-ci, même si cela semble encore insuffisant, 7 Français sur 10 estimant que les sujets de santé n’étaient pas assez pris en compte par les candidats, selon une enquête de l’Ifop pour la Fédération Hospitalière de France (FHF). L’explication tient sans doute au fait que les questions de santé par leur technicité rebutent souvent les candidats qui restent également prudents de peur de s’aliéner des électeurs dans un secteur miné par des corporatismes et de multiples intérêts. Comme l’a fait remarquer Chloé Morin de la Fondation Jean Jaurès, de manière générale, les candidats se sont davantage exprimés sur l’accès aux soins et l’hôpital. Ils seront moins diserts, par contre, sur des aspects plus complexes comme l’innovation thérapeutique[2]. A l’inverse, les propositions émanant du milieu de la santé ont été légion. On avait déjà observé une telle effervescence, lors des échéances précédentes, le Président apparaissant davantage comme un chef de gouvernement depuis l’instauration du quinquennat. La mobilisation fût, cette fois-ci, particulièrement dense, à la hauteur de la place occupée par la santé dans l’actualité de ces deux dernières années, contraignant du même coup les candidats à se positionner avec des propositions concrètes. Un concert de propositions Fédérations professionnelles, syndicats, think thanks, associations de patients ont très tôt affûté leurs armes et fait connaitre leurs propositions avec force conférences de presse, webinaires, colloques et autres grands oraux... Du côté hospitalier, la puissante FHF sera la première à dégainer une plateforme intitulée « Ambition Santé 2022 » censée refonder le système de santé. Pour ne pas être en reste, la Fédération de l’hospitalisation privée fera de son côté ses propres propositions. La Fehap, qui regroupe les établissements privés à but non lucratif, innovera en lançant La Voix Solidaire, une plateforme destinée à recueillir directement les propositions des citoyens. Pour la médecine de ville, ce sont surtout les syndicats médicaux qui vont s’exprimer. Chaque grand syndicat formulera ses propositions. Il s’agit surtout de peser sur les futures négociations conventionnelles. Onze syndicats représentatifs de professionnels de santé libéraux vont même se regrouper pour élaborer un « texte de loi ambitieux » pour le quinquennat à venir ! L’Ordre des médecins « constatant une inertie politique à faire de la santé une des priorités de la campagne présidentielle » formulera, de son côté, une cinquantaine de propositions pour transformer le système de santé, après une grande concertation auprès de plus de 15 000 médecins. Les associations de patients feront également entendre leur voix. France assos qanté voudra centrer davantage le système de santé autour du patient. Parmi ses propositions, il faut surtout retenir l’instauration «progressive» d’un régime unique de Sécurité sociale couvrant à 100% toutes les dépenses santé. Il est question, comme on l’a deviné, du projet de "grande Sécu" évoqué par la Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie, une piste de réforme vite passée aux oubliettes chez la plupart des candidats, y compris chez le Président sortant, alors que son ministre de la Santé s’y était montré plus ouvert. Seuls Jean-Luc Mélenchon, Jean Lassalle et Fabien Roussel proposeront de mettre fin à l’intervention des mutuelles, la Sécurité sociale prenant à sa charge l'intégralité du remboursement des frais de santé. Des propositions plus ciblées concernant la prise en charge de certaines pathologies émaneront également d’associations telles que la Fédération française des diabétiques et son plan Diabète 2022-2027 ou Vaincre la mucoviscidose. Les industries de santé ne resteront pas inactives. Le Leem (Les Entreprises du médicament) formulera, très tôt, 27 propositions et lancera même un comparateur des programmes de santé des candidats : www.lasantecandidate.fr. « La santé est au cœur des préoccupations des Français. Elle doit maintenant être placée au cœur des choix politiques », affirmera Frédéric Collet, son président, qui organisera un grand débat d’experts à un peu plus de deux semaines du premier tour. Son homologue des dispositifs médicaux, le Snitem (Syndicat national de l’industrie des technologies médicales), et le G5, qui se veut le porte-voix des industries de santé françaises, rendront également publiques leurs propositions. Pour les industriels dont le blason a été redoré par la crise sanitaire, la stratégie est de surfer sur la vague de la souveraineté sanitaire et de l’accès à l’innovation, des thèmes qui parlent désormais un peu plus au grand public depuis la crise du Covid-19. Diverses contributions vont aussi émaner des nombreux think thanks qui gravitent dans l’univers de la santé ou d’organismes comme la Fondation Jacques Chirac qui, à travers son livre blanc sur l’autonomie, va plaider pour un grand ministère du même nom, une proposition non dénuée d’intérêt ! La liste serait longue si on voulait passer en revue toutes les contributions. Chacun a voulu profiter de la campagne pour sortir son cahier de doléances habituel, derrière la volonté affichée de mettre la santé au cœur des priorités du quinquennat. Il s’agit souvent de plaidoyers pro domo qui n’ont pas beaucoup influé sur le programme des candidats. A quelques rares exceptions, il n’y a pas eu de propositions véritablement nouvelles et la plupart du temps les plateformes vont ressembler à des listes « à la Prévert ». Les candidats ont parlé santé Ils ont été douze à briguer le suffrage des Français. Comme d’habitude, il y a eu les grands candidats qui préféreront rester au niveau des déclarations de principe par souci de consensus et ceux qui portent des candidatures de témoignage qui, pour se démarquer ou par conviction, vont chercher à se singulariser par des propositions choc. Témoin de la frilosité des candidats, seuls Yannick Jadot, Anne Hidalgo, Fabien Roussel et Valérie Pécresse viendront présenter leurs engagements sur la santé et la protection sociale au grand oral de la santé organisé le 1er mars 2022 par la Mutualité française. Le président du Conseil national de l’Ordre des médecins se plaindra même que, pour la première fois, son instance n’aura été contactée par aucun des candidats.
Dans sa lettre aux Français, le Président sortant n’y consacrera qu’un petit paragraphe où il ne sera question que de trois sujets assez consensuels: grand âge, prévention et déserts médicaux ! Sur le fond, l’accès aux soins a été en bonne place dans les programmes des candidats. « C’est le sujet sur lequel on trouve le plus de propositions, dans tous ses aspects même si la question particulière de l’accès aux médicaments et de l’innovation médicale a été moins présente », remarque Chloé Morin[3]. Alors que 30 % de la population française vit dans un désert médical et que 11 % des Français de 17 ans et plus n’ont pas de médecin traitant, la question des déserts médicaux n’aura pas eu la place qu’elle aurait méritée dans le débat et la plupart des candidats vont faire preuve d’une grande timidité pour ne pas heurter les syndicats médicaux, dont ils connaissent l’hostilité à toute remise en cause de la liberté d’installation. Seuls Fabien Roussel et Yannick Jadot se hasarderont sur ce terrain miné en proposant d’interdire l’installation des médecins dans les zones denses, sauf en cas de départ de confrère pour le premier ou en mettant en place de façon temporaire et transitoire une obligation d’effectuer la dernière année d’internat et les deux premières années d’exercice dans des territoires sous-denses, pour le second. L’idée d’un conventionnement sélectif a néanmoins fait son apparition dans les programmes d’Anne Hidalgo ou de Yannick Jadot, les autres candidats préférant opter pour des incitations financières, comme Marine Le Pen ou Valérie Pécresse. La présidente de la région d’Ile-de-France proposera également l’instauration d’une 4ème année de formation avec des « docteurs juniors » de médecine générale qui exerceront dans les maisons de santé « en zone carencée en soins ». Une proposition identique d’une 4ème année de professionnalisation figurera également dans le programme de la maire de Paris. La proposition sera aussi reprise à demi-mot par Emmanuel Macron. Afin de relancer le débat et à quelques jours du premier tour, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat évoquera la perspective d’une « décennie noire » si rien n’était fait! Si l’accès aux soins a surtout été envisagé au plan de l’accessibilité géographique, celui de l’accessibilité financière a été peu abordée par les candidats, chose étonnante en particulier du côté gauche de l’échiquier, à l’exception du candidat communiste qui proposera de supprimer les dépassements d’honoraires. En toute logique, les candidats vont apporter une attention particulière à l’hôpital dont les difficultés ont été sous les feux de la rampe lors de la crise sanitaire. Ils savent tous que les milliards du Ségur n’ont rien réglé et que le malaise est toujours latent ! Certains candidats vont résolument opter pour l’abandon de la T2A, à l’origine pour beaucoup d’entre eux des maux dont souffre aujourd’hui l’hôpital public. Ce sera le cas de Marine Le Pen, de Jean-Luc Mélenchon et, avec des nuances, de Yannick Jadot. Sur la gouvernance des hôpitaux, sujet peu évoqué, la candidate du Rassemblement national sera la plus volontaire puisqu’elle proposera une direction bicéphale médicale et administrative. Sur le désengorgement des urgences hospitalières, qui constitue également un vrai sujet, la seule proposition audacieuse viendra du candidat de Reconquête, Eric Zemmour, qui proposera de restaurer l’obligation de garde pour les médecins supprimée en 2003. Le vieillissement de la population et la prise en charge de l’autonomie vont aussi figurer en bonne place dans le programme des candidats. Rien d’étonnant quand on connait le défi du grand âge qui attend le pays. Les scandales récents révélés par la presse vont même alimenter des propositions choc comme la réquisition des établissements du groupe Korian chez le candidat communiste ou l’expropriation des grands opérateurs privés chez Philippe Poutou ! La recherche et l’innovation thérapeutique n’ont pas été traités de manière prioritaire par les candidats, en raison probablement de leur caractère un peu trop technique et peu compréhensible du grand public. En revanche, la souveraineté industrielle et la relocalisation des industries de santé ont fait consensus chez les candidats même si les mesures proposées pour y arriver ont été d’une inégale précision. Enfin, sur la gouvernance du système de santé, Marine Le Pen, Fabien Roussel et Jean Lassalle vont s’illustrer en proposant la suppression des ARS, synonymes, sans doute à tort, de la bureaucratisation du système de santé et le retour à l’échelon départemental. Emmanuel Macron : les petits pas Le Président sortant était jugé le plus crédible sur les sujets de santé comme sur bien d’autres. Les Français lui ont fait finalement crédit d’une bonne gestion de la pandémie même si les jugements étaient plutôt sévères lors des débuts, notamment lors de l’épisode des masques. Même si son bilan d’ensemble a eu à pâtir de multiples crises, plusieurs mesures sont à mettre à son actif comme la suppression du numerus clausus, l’augmentation des maisons de santé et surtout le « 100% Santé » sur les lunettes et les prothèses auditives et dentaires. Son action a été également saluée sur l’accès à l’innovation ou la santé numérique grâce aux conclusions de CSIS 2021 et au plan Innovation Santé 2030. On aurait donc pu s’attendre à plus d’audace de la part d’un candidat donné, au départ, largement favori. Emmanuel Macron va se garder de renverser la table. Ce sera le changement dans la continuité, comme il y a près de 50 ans avec Valéry Giscard d’Estaing ! Il s’agira de "poursuivre les mouvements engagés et les amplifier", dira Olivier Veran, venu représenté le président-candidat lors du « grand oral santé » de la FHF.
Alors que la santé était annoncée comme une des grandes priorités et que la crise du Covid-19 était riche d’enseignements, aucune proposition disruptive ne figurera dans son programme dévoilé le jeudi 17 mars, moins d’un mois avant le premier tour. Sur l’accès aux soins, aucune mesure forte pour lutter contre les déserts médicaux. Le candidat assurera vouloir « réguler davantage l’installation », sans donner plus de précisions en se contentant de solutions déjà connues, comme les assistants médicaux ou la mise en place d’un système de « référents », dans lequel le pharmacien ou l’infirmier pourraient effectuer des renouvellements d’ordonnance ou des actes simples. Pour ne pas être en reste avec d’autres candidats qui ont proposé ce type de mesures, il évoquera aussi une « quatrième année d’internat pour les médecins généralistes dans les zones rurales », tout en précisant ne pas être favorable à l’obligation stricte car « si on rentrait dans un système contraignant complet, on risquerait de voir des gens quitter la profession. » Sur l’hôpital, pourtant présenté comme son deuxième grand chantier de la santé, à propos duquel on s’attendait à des mesures fortes au regard des faiblesses révélées lors de la crise, l’engagement sera de « simplifier la gouvernance des hôpitaux en la remédicalisant », sans que l’on sache exactement ce que cela signifie ! Statu quo également sur les modes de financement alors que la plupart des candidats remettent en cause la T2A, Emmanuel Macron souhaitant poursuivre la politique des petits pas engagés depuis la présidence Hollande. Enfin à propos des Ehpad, le Président-candidat se contentera de proposer le recrutement de 50 000 infirmiers et aides-soignants, tout en sachant que la difficulté sera de trouver des candidats dans un secteur suscitant peu de vocations, ainsi que le renforcement « des contrôles pour pouvoir lutter contre les pratiques inhumaines et dégradantes ». Tout est donc renvoyé à la grande conférence nationale annoncée par le Président-candidat. On sait pourtant que ce genre de grand-messe tournée vers le consensus accouche rarement de vraies réformes, si ce n’est un nouveau saupoudrage de milliards d’euros dont la seule vertu sera de charger un peu plus la barque de la dette ! Le match retour Macron/Le Pen Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont à nouveau affrontés dans un match retour qui a été, cette fois-ci, plus serré. Il y a 5 ans, les propositions d'Emmanuel Macron avaient paru plus complètes et détaillées. Le contexte a changé par rapport à 2017 : la pandémie et ses polémiques sont passées par là et la santé est un sujet qui parle davantage aux Français. Le Président sortant doit défendre un bilan et la candidate du Rassemblement national a, semble-t-il, mieux travaillé le sujet. Les propositions choc de Marine le Pen comme l’abandon de la T2A, la suppression des ARS, le moratoire sur la suppression des lits ou le plafonnement des emplois administratifs ont sans doute, lors du 2ème tour, davantage séduit les bataillons mélenchonistes, très implantés dans les hôpitaux, que les propositions du Président sortant ! Témoignage de la place prise par la santé lors de cette élection, ce fût l’un des 8 sujets sur lesquels les deux finalistes se sont affrontés durant plus de onze minutes lors du débat de l’entre-deux tours. Les deux candidats lui consacreront même leurs derniers déplacements. Le Président ira à la rencontre des soignants à Mulhouse. Il devait sans doute se rappeler du discours qu’il avait prononcé dans la même ville en pleine pandémie et des espoirs que cela avait suscités chez les hospitaliers. Le soufflé était pourtant vite retombé. « On va remédicaliser la gestion de l'hôpital et sortir de la tarification à l'activité » promettra, une nouvelle fois, Emmanuel Macron ! La candidate du RN ira, quant à elle, visiter les établissements de santé de la fondation Hopale à Berck, pour son dernier déplacement. Le financement de la Sécurité Sociale, la grande absente Décidemment, la santé a bien été présente lors de la campagne présidentielle. Par contre, le financement de la Sécurité sociale, qui conditionne pourtant l’avenir du système de santé, en aura été la grande absente, même chez Valerie Pécresse, la candidate la plus courageuse sur les déficits publics. Aucun mot chez les candidats, tant sur le déficit de la branche maladie devenu abyssal avec la pandémie, que sur les moyens de le résorber, d’autant que la guerre en Ukraine va mettre à mal la croissance espérée et compliquer un peu plus la trajectoire de retour à l’équilibre. La politique du « quoi qu’il en coute » aura déshabitué le monde de la santé et les Français en général aux efforts de rigueur nécessaires et la politique du rabot a désormais bien mauvaise presse. Parler aujourd’hui d’économies n’est plus politiquement correct ! Pourtant, il va le falloir. Autant que l’avenir du système de santé, c’est probablement celui de la Sécurité sociale qui devra être la priorité du deuxième quinquennat du Président élu. La tâche s’annonce ardue d’autant qu’il n’est pas certain qu’il disposera de la majorité parlementaire nécessaire. Ce sera pourtant le moment de faire preuve de plus d’audace. 1- Grand Débat du Leem : « La santé gagnante »- Paris, 23 mars 2022.
2- Cf note 1
3- Cf note 1
La sélection de la rédaction
Les complémentaires santé doivent-elles arrêter de rembourser l'ostéopathie ?
Stéphanie Beaujouan
Non
Je vois beaucoup d'agressivité et de contre vérités dans les réponses pour une pratique qui existe depuis 1,5 siècle . La formatio... Lire plus