A 59 ans, le Dr François-Xavier Decrop, généraliste à Tours (Indre-et-Loire), se présente pour la première fois à une élection. Et ce sera contre Marisol Touraine, aux prochaines législatives. Très critique de la politique menée ces cinq dernières années en matière d'accès aux soins primaires, il se félicite d'avance de la confrontation qui s'annonce avec celle qui a été aux responsabilités.
Egora.fr : Vous vous présentez dans la circonscription de Marisol Touraine… François-Xavier Decrop : Non, non, non. Pas du tout. C'est elle qui se présente dans la mienne. Soit. Vous vous présentez dans la même circonscription. Un généraliste face à l'ex-ministre de la Santé, c'est un symbole fort. Quel est le message ? Je me présente parce que j'ai trouvé dans le parti Debout la France des propositions conformes à mes valeurs, qui se fondent sur un humanisme qui s'enracine dans nos origines judéo-helléno-chrétiennes. Nous avons un héritage à défendre, et nous sommes tournés vers l'avenir. C'est ce qui nous distingue d'autres partis plus à droite. Nous n'envisageons pas l'avenir comme un repli sur nous-mêmes. Concernant la santé, il se trouve que je suis généraliste. J'ai exercé pendant 15 ans la spécialité de santé publique, en Afrique et en France au sein de trois administrations. Je n'ai donc pas seulement un regard de généraliste, mais aussi un regard de santé publique sur notre système et ses difficultés. Ce sera effectivement très intéressant de pouvoir discuter avec Marisol Touraine de son bilan, et du problème de l'accès aux soins ambulatoires, première préoccupation des Français. Dans la loi santé, Marisol Touraine a introduit certaines mesures qui répondaient aux attentes des syndicats - je précise que je suis aussi élu à l'URPS de la région Centre-Val-de-Loire pour MG France depuis les débats sur la loi santé. Mais nous sommes encore loin du compte. Et ça tient en un chiffre : la moyenne des pays de l'OCDE consacre 33% des dépenses de santé aux soins de proximité. Nous en dépensons 22%. Donc malgré le C à 25 euros, on est encore très loin. Un médecin irlandais est payé 50 euros pour une consultation. Expliquez-moi pour quelle raison ses actes valent deux fois plus que les nôtres ? Pour l'instant, même si les récentes négociations amènent à avoir un petit financement complémentaire sur les maisons de santé pluridisciplinaires, ça n'est pas suffisant. Les jeunes médecins ne veulent pas aller dans des contrées reculées, exercer la médecine en travaillant 80 heures par semaine, sans pouvoir s'appuyer sur une équipe, et avoir un conjoint qui ne trouvera pas de travail parce que la France a laissé le rural agoniser. Pourquoi voulez-vous qu'un médecin prenne sur lui d'assurer seul un service public du soin qu'on ne lui paye pas ? Donc oui, j'ai beaucoup de choses à dire à Madame Touraine. Est-ce que le fait d'être confronté à Marisol Touraine a été l'un des éléments qui a motivé votre candidature ? Non, pas du tout. Je me serais présenté. La providence a fait que mon vœu très cher s'est réalisé. Il y aura d'ailleurs un débat organisé par la Mutualité locale entre plusieurs candidats ce jeudi. Je l'espérais, j'ai cru que ça ne se ferait pas. Il se trouve que ça se fera sur mon secteur même, dans un lieu où la désertification médicale est déjà importante. Je vais donc avoir l'occasion de débattre avec Marisol Touraine. Je vous signale qu'aucun média ne m'a interviewé, et je suis au regret de vous dire que beaucoup de journalistes ne font pas leur travail. Qu'attendez-vous de ce débat avec l'ex-ministre et les autres candidats ? Je pense pouvoir être un vrai interlocuteur avec Madame Touraine, et pouvoir reprendre ses imprécisions au cours de la discussion. Je n'ai pas souvent l'occasion de discuter avec quelqu'un qui a exercé une responsabilité. Je serai très heureux de pouvoir avoir un débat constructif, qui mette le doigt sur les véritables problèmes. Quelles sont les autres critiques que vous faites au quinquennat de Marisol Touraine ? Sa réforme voulue du tiers payant obligatoire était hallucinante. C'était contre le droit. Ça revenait à diminuer la rémunération d'un médecin pour une consultation de 23 à 16 euros, vu les coûts pour récupérer la part mutuelle. C'est gravement irresponsable, c'est parfaitement illégal, mais surtout on s'est posé la question de savoir pourquoi elle tenait tant à mettre la médecine libérale sous la coupe des mutuelles. Je dois vous avouer que les réponses n'étaient pas en faveur de Marisol Touraine et du Parti socialiste. Vous voulez pointer les liens historiques du Parti socialiste avec les mutuelles ? Tout à fait. Mais ces liens interrogent à tel point que quand les députés ont demandé à connaître l'exact budget des mutuelles, Marisol Touraine a mis un veto et les députés n'ont pas pu obtenir les comptes exacts des mutuelles. Ça a bien entendu nourri les soupçons de ceux qui pensaient que Marisol Touraine installait une "pompe à fric" des mutuelles vers le Parti socialiste. Et hélas, on n'a encore trouvé personne qui puisse leur donner tort. En tant que député, quelles seront vos priorités en matière de santé ? Le chantier prioritaire, c'est l'accès aux soins de proximité. Si on ne le rétablit pas, plus rien n'est possible. Les hôpitaux seront saturés de problèmes, soit pas graves, soit qui sont devenus graves alors qu'on aurait pu les traiter plus tôt. Nous dépensons déjà 20 milliards de plus pour l'hôpital que ce que font nos voisins pour le même niveau de soins, et on sera obligés d'en mettre encore plus… Donc il faut mettre les moyens pour inverser cette tendance à creuser l'ornière qui nous a poussé à asphyxier les soins de proximité. Il faut une offre de soins de proximité plus complète. Par exemple, les soins psychologiques ne sont pas accessibles, même dans des moments difficiles comme l'annonce d'une maladie chronique. Actuellement, pour avoir accès à une consultation de diététicien ou de psychothérapeute, il faut passer par l'hôpital. Nous voulons que ces soins soient accessibles sans passer par l'hôpital, ce qui lui permettra de fonctionner mieux et d'être recentré sur ses priorités. Dans quelles conditions exercez-vous aujourd'hui ? Je suis dans un cabinet seul, que j'ai repris il y a huit ans, après avoir été responsable de la santé scolaire et exercé d'autres postes dans la fonction publique. Je pratique aussi de la médecine manuelle ostéopathique. Je suis en ville, près du CHU, en limite est de Tours. Avant ça, j'ai exercé la médecine de montagne dans la région de Grenoble, où j'ai eu mon diplôme en 1983 et j'ai aussi travaillé six ans en tant que volontaire dans des ONG en Afrique. Quel est votre parcours politique ? Je m'étais rapproché un temps de l'UDF, du MoDem, avant de m'en éloigner. C'est très bien d'être europhile, je ne suis absolument pas europhobe, ma femme est Allemande. Mais négocier des choses en commun et ne pas vérifier que c'est effectivement ce qui se met en place, c'est de la bêtise ou de la malhonnêteté. En 2015, à l'occasion des régionales, j'ai lu soigneusement les programmes des candidats. Le parti Debout la France, auquel je n'avais jamais prêté attention avant, a franchi l'examen avec succès. Plus des trois quarts de ses propositions étaient pertinentes, réalistes et non encore en place. J'ai donc décidé d'arrêter de critiquer en restant assis, d'adhérer et de me présenter pour la première fois. Le rapprochement temporaire de votre parti avec le Front national ne vous a-t-il pas perturbé ? Si cela avait vraiment été un rapprochement, même temporaire, j'aurais bien sûr réagi. Mais ce n'est aucunement le cas. Un accord de gouvernement, c'est autre chose. D'autre part, désigner le Front national comme une résurgence du fascisme est une manipulation des socialistes pour garder le pouvoir, ce qui leur a très bien réussi depuis 30 ans. Nous avons des divergences nettes avec le Front national, mais un point d'accord sur la nécessité d'un minimum de souveraineté pour continuer à se gouverner.
Dans l'Indre-et-Loire, département de Marisol Touraine, le monde de la santé s'est particulièrement mobilisé pour les prochaines législatives. Outre le Dr Decrop, une orthophoniste hospitalière s'est portée candidate dans la circonscription de Loches, face à l'ex-ministre. A Tours, dans la 1ère circonscription, on trouve un urgentiste En Marche et un médecin de quartier sans étiquette. Dans la circonscription voisine, la 5ème, on compte un chirurgien-dentiste, une kiné retraitée, un directeur de maison de retraite et une retraitée de la fonction publique hospitalière.
L'UFML s'active aussi pour faire battre Marisol Touraine. L'association a prévu de tenir un stand sur le marché de Loches, ce samedi, "pour jouer pleinement son rôle de prévention sanitaire et ainsi alerter la population sur les conséquences des lois Touraine".
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