
"La moitié des cancers sont dépistés au stade 3 ou 4" : un médecin lance une plateforme pour favoriser le dépistage précoce
Alors qu’aujourd’hui la majorité des cancers sont révélés tardivement, le Pr Alexandre Carpentier a lancé Neok pour tenter de les dépister à un stade plus précoce. Sur sa plateforme, le neurochirurgien propose un questionnaire "pour mesurer les biomarqueurs cliniques". Le patient peut ainsi découvrir son profil de risques et les recommandations sanitaires associées. Si nécessaire, un dépistage sanguin peut être proposé pour confirmer les résultats.

C’est une triste histoire qui a amené le Pr Alexandre Carpentier, neurochirurgien à La Pitié Salpêtrière (Paris), à créer Neok en 2023. Cette année-là, il perd un proche d’un cancer du côlon. "Il faisait très mal les campagnes nationales de dépistage", se souvient-il. Son ami ne serait pas le seul, car d’après lui, seuls "50% des personnes font les campagnes de dépistage".
Le médecin constate également qu’en général les dépistages sont réalisés trop tardivement. "Aujourd’hui, la moitié des cancers sont dépistés au stade 3 ou 4. C’est beaucoup trop, s’exclame-t-il. Quand on découvre un cancer chez quelqu’un, on a l’impression qu’il est né hier alors qu’en réalité, il est né il y a quelques mois." D’autant que lorsque le cancer est révélé à un stade avancé, "les chances de survie sont quatre fois moins importantes que s’il était diagnostiqué lors de la phase une ou deux".
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En faisant des recherches grâce à la littérature scientifique, le médecin remarque qu’il est possible de "prédire entre 6 et 18 mois plus tôt la survenue des premiers symptômes cliniques, grâce aux biomarqueurs".
Un cinquantaine de biomarqueurs testés
Le neurochirurgien décide alors d’en parler à ses confrères. Ensemble, ils sont arrivés à la conclusion qu’il existe, en plus des campagnes nationales de dépistage, un "panel d’une cinquantaine de biomarqueurs permettant de dépister 14 cancers au stade précoce". Pour assurer le résultat, le Pr Carpentier propose de tester plusieurs biomarqueurs. "Par exemple, pour le cancer du côlon, au lieu d’utiliser un seul biomarqueur, on en teste huit. Donc, on augmente énormément la sensibilité et la spécificité."
L’intérêt de diagnostiquer la pathologie aussi tôt est, selon lui, double. "Cela va permettre de mieux guérir les patients et de leur administrer des traitements moins agressifs." Alexandre Carpentier décide alors de s’emparer de ce "challenge de société" et de créer Neok. "C’est une énorme piste de voie de lutte contre le cancer", avance-t-il.
Sur son site internet, Neok annonce proposer un "check-up simple, depuis chez soi". Avant de commencer, il faut créer son profil et répondre à un questionnaire. Il permet de repérer les "antécédents médicaux personnels et familiaux, le mode de vie et les habitudes, les symptômes et signes cliniques et les dépistages et examens déjà réalisés". Un profil de risques est ensuite établi avec les facteurs de prédisposition et le nombre de symptômes d’alerte, pour chacun des 14 cancers recherchés. D’autres documents sont également transmis comme un suivi personnalisé des symptômes à surveiller, un planning des dépistages recommandés et une liste des examens complémentaires à prévoir.
Selon les résultats, Neok invite ou non à réaliser un dépistage sanguin complémentaire. La prise de sang peut être faite en moins de dix minutes au domicile du patient. Seules les personnes habitant à Paris ou aux alentours peuvent en bénéficier pour l’instant. Mais Alexandre Carpentier assure "qu’à terme, on pourra le faire partout". Coût du dépistage sanguin : plus de 1 200 euros. "L’idée, c’est de proposer quelque chose de sérieux et aujourd’hui ça coûte relativement cher. On sélectionne les meilleurs biomarqueurs et les technologies qui nous paraissent les plus pertinentes et les plus fiables pour pouvoir proposer un test de dépistage précoce", reconnaît le neurochirurgien. Les échantillons sanguins peuvent, par exemple, être envoyés en Écosse ou en Allemagne. "Mais à terme, l’idée c’est de réduire [le coût] par deux, dans cinq ans."
Un consortium national
Pour réduire drastiquement cette somme, le médecin mise sur un consortium national, qui s’appelle Oncoprev. Il doit rassembler à la fois des hôpitaux - dont l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris -, des cabinets de médecins traitants, des pharmacies, des mutuelles... "L’objectif est de faire un questionnaire [à l’échelle] nationale pour sensibiliser les patients sur la prévention et les facteurs de risque, et pour vérifier s’ils ont bien fait leur campagne de dépistage. Et s’ils ne l’ont pas fait, non pas de les pointer du doigt, mais de leur donner un calendrier", explique le Pr Carpentier. Le questionnaire actuellement disponible sur Neok resterait accessible sur la plateforme, mais serait également repris par Oncoprev.
Grâce à l’intelligence artificielle, les patients pourront, après avoir rempli le questionnaire, être orientés selon les réponses obtenues "pour accéder plus rapidement à une prise en charge, par exemple auprès d’un spécialiste", poursuit Alexandre Carpentier. Ce praticien pourra ensuite prescrire des examens complémentaires. "Tout ça va permettre d’accélérer les flux pour que les patients n’aient pas de perte de chance", assure le neurochirurgien.
Intéressé par les sujets de santé numérique, Alexandre Carpentier a déjà vu émerger des centres de check-up. "C’est très bien, mais c’est très généraliste et parfois ça coûte 5 000 euros. Ce questionnaire Oncoprev va permettre au patient d’avoir un suivi médical [sur le dépistage des cancers] même s’il ne voit pas son médecin traitant, admet le neurochirurgien. C’est ce type d’outil qui va nous permettre de ne pas prendre de retard thérapeutique, notamment dans les déserts médicaux." Il précise que le consortium national devrait être finalisé au mois de juin.
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