[FUTURAPOLIS SANTE] Et si la vieillesse n’était plus une ennemie...

29/10/2019 Par Françoise Vlaemÿnck

En ouverture de la 3e édition de Futurapolis santé de Montpellier, qui s’est déroulée les 18 et 19 octobre derniers sur le site de l’Opéra Comédie, le démographe Jean-Marie Robine, le généticien Miroslav Radman et la philosophe Cynthia Fleury ont partagé avec le grand public leur travaux sur le vieillissement et livré leur réflexion sur les conséquences de l’allongement de la vie. Un événement organisé par le magazine Le Point, en partenariat avec Egora.   Comment aborder le vieillissement, ses conditions, la longévité de la vie, ses raisons et ses limites, sans évoquer Jeanne Calment, née à Arles en 1875 et décédée l’âge de 122 ans - alors qu’elle avait fumé une grande partie de sa vie... Un record qui demeure inégalé, même si quelques supercentenaires ont régulièrement été identifiés et validés depuis le début du XXe siècle. Actuellement la doyenne de l’humanité, la Japonaise Kane Tanaka, affiche 116 ans et quelques mois au compteur. Trésor national, Jeanne Calment n’en finit pas de faire parler d’elle et sa durée de vie “hors norme” suscite toujours autant d’émerveillement auprès du grand public mais également moult questionnements chez les scientifiques.    22 ans après J.C. Quelque vingt-deux ans après de disparition de l’Arlésienne, une publication russe a d’ailleurs remis en cause, il y a quelques mois, la réalité de son âge, comme l’a indiqué le professeur Jean-Marie Robine, démographe, directeur de l’équipe Recherche biodémographique sur la longévité et la vitalité de l’UMR 1198 à Montpellier et co-validateur de la longévité de la vieille dame. La thèse russe argue qu’il est en effet impossible de vivre si longtemps et que, par conséquent, Jeanne Calment et sa famille ont menti sur son âge en substituant l’identité de l’Arlésienne à celle de sa fille pour de sombres histoires de gros sous. Au courant de la supercherie, l’Etat français aurait fermé les yeux afin de sauvegarder l’image de sa gloire nationale. Bref, “la vraie” Jeanne Calment serait décédée en 1934 et sa fille Yvonne aurait pris sa place. Enfin, les preuves qui auraient permis la mise au jour de cette imposture ont été écartées par les chercheurs chargés de valider sa longévité. Pour Jean-Marie Robine, si l’hypothèse russe ne tient pas à l’épreuve des faits, elle a au moins le mérite de poursuivre un débat scientifique vieux comme Hérode…

  Des anciens aux  modernes “Dans les fragments des poèmes d’Hésiode, on lit déjà des discussions sur la longévité des dieux, des hommes des animaux. Depuis que l’Homme disserte et tente de construire la science, les conversations sont infinies pour savoir si notre longévité serait ou non bornée. Tous les grands penseurs au cours des deux derniers millénaires ont contribué d’une façon ou d’une autre à ce débat passionnant”, explique le chercheur. Mais si nos illustres anciens ont discouru sans pouvoir s’appuyer sur des données, les chercheurs et scientifiques d’aujourd’hui disposent, eux, d’éléments en nombre, et de qualité, qui permettent de produire de la science et de nourrir des hypothèses autour desquelles on discute depuis 2000 ans.   Un pic, un roc... “En France, grâce aux registres de l’état civil, on a pu définir qu’entre 1816 et 1946 la limite de la longévité commune s’établissait, de manière constante et invariable, à 99 ans, avec cependant quelques exceptions à 98 ans et 100 ans. Après 1946, la courbe se met à grimper en ligne droite. Ainsi, les caractéristiques de la longévité humaine qui, au cours de l’Histoire - en tout cas depuis que nous sommes capables de la mesurer -,  n’avaient pas changées, se sont  brutalement mises à évoluer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Depuis, tous les ans, on note à peu près le même progrès. Aujourd’hui, cette courbe est linéaire et on ne relève aucun signe de ralentissement pour l’instant. Voici pour l’univers statistique”, développe Jean-Marie Robine. Et de poursuivre : “Maintenant, si on projette Jeanne Calment dans cet univers, elle représente un pic à elle seule. En ce sens, au regard des valeurs extrêmes, elle est exceptionnelle. Et la nouvelle enquête menée après la publication russe et au cours de laquelle nous avons pu recouper actes de naissance, actes de décès, actes notariés, fiches de recensement, documents familiaux... a parfaitement confirmé ce que nous savions déjà !”    Vaudeville à Arles... Pour la petite histoire et pour en en finir avec la thèse russe, s’amuse Jean-Marie Robine : “Si substitution d’identité il y avait eu entre la fille officiellement décédée en 1934, et la mère, cela voudrait dire, d’une part, que Fernand Calment, époux de Jeanne, disparu en 1942, aurait accepté de vivre avec sa propre fille en la faisant passer pour son épouse et que, d’autre part, son gendre aurait fermé le yeux sur cette situation. Et enfin que leur fils, âgé de 7 ans à l’époque, fatalement dans la confidence n’aurait jamais vendu la mêche et ne se serait jamais trompé entre sa mère et sa grand mère pendant des années !”  La probabilité, si elle n’est pas scientifiquement nulle en effet, frôle quand même le zéro absolu...   Inoxydable Jeanne... Mais alors, qu’est-ce expliquerait l’incroyable longévité de certaines personnes ? “Ma conviction est que la chimie de base du vieillissement provient de la corrosion des protéines. Et la différence entre Jeanne Calment et d’autres personnes, qui vont développer un cancer à 20, 30 ou 40 ans, c’est qu’il y a dans la construction de leur protéome une petite anomalie, une cassure, un maillon faible, qui va accélérer ce processus d’oxydation provoqué par les radicaux libres”, explique Miroslav Radman, généticien, responsable de l’équipe “Biologie et robustesse” à l’Inserm et directeur de l’Institut méditerranéen des sciences de la vie à Split (Croatie).    Chef d’œuvre du vivant A l’origine de cette conviction, la découverte dans les années 50 d’une bactérie inconnue qui avait prospéré dans une boîte de corned-beef, boîte de conserve réputée stérile et qui, de surcroît, avait subi une irradiation massive. Petit chef d’œuvre du vivant, la deinococcus radiodurans - c’est son nom - a évidemment focalisé l’attention de nombreux chercheurs à travers le monde dont celle de Miroslav Radman qui, avec son équipe, découvre que la résistance extraordinaire de ce petit organisme provient de ses protéines capables en quelques heures de réparer et de reconstruire son ADN totalement pulvérisé. “Et cela sans se tromper et donc sans provoquer de mutation génétique. C’est comme si un personne cliniquement morte parvenait à ressusciter seule et sans aucune séquelle. Finalement, nous nous sommes dit que le secret de la résilience de la vie se trouvait, peut-être, là”, indique le généticien.    La vie sans gène Toutes les fonctions de la vie sont exécutées et contrôlées par les protéines. Une cellule, même si elle possède le meilleur génome du monde, restera inerte sans protéine, alors que les globules rouges, qui n’ont pas d’ADN, fonctionnent pendant des mois... “La vie, c’est les protéines, la perpétuation de la vie, c’est les gènes”, insiste Miroslav Radman. Parmis les quelques 22 000 protéines qui font fonctionner notre organisme, une centaine sont spécialisées dans la réparation de celles présentant un défaut de conception. Mais ces “protéines chaperonnes” comme on les appelle, ont aussi leur faiblesse et ne savent pas “soigner” les protéines déjà corrodées, or ces dernières sont ultrasensibles à l’oxydation des radicaux libres. “Chaque protéine présente un “pliage” particulier qui définit sa fonction dans l’organisme, si cette forme varie elle accroît très sensiblement son exposition à l’attaque des radicaux libres et par conséquent à l’oxydation. Et l’on sait que l’oxydation augmente la prédisposition à certaines maladies ”, détaille le généticien. Et de conclure : “Aujourd’hui, nous cherchons donc à savoir comment on pourrait mieux protéger les protéines présentant une anomalie car mécaniquement cela aurait pour effet de ralentir le vieillissement. Chacun pourrait ainsi gagner 20 à 30  ans de bonne vie, j’en suis sûr !”   Vers une société de centenaires Finalement, quelle type de société impliquerait un allongement de la vie pour tous ? Si “la rupture de 1946” pointée par Jean-Marie Robine est le fruit des avancées scientifiques et médicales (immunologie, cancérologie, thérapies…), l’Etat providence a également été un partenaire tout à fait considérable dans cette révolution démographique. “Toutes les recherches si elles ne s’accompagnent pas d’une démocratie sanitaire, n’ont pas d’effet civilisationnel et sociétal”, retient d’ailleurs Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire Humanités et Santé. “Nous n’avons jamais été aussi loin dans l’allongement de la vie, poursuit-elle. Et aujourd’hui, l’entrée dans la dépendance et dans l’incapacité est tardive. Jusqu'à 80 ans, la majorité de nos aînés est plutôt bien portante et vit chez elle.  La haute vieillesse, en revanche, voit une bascule. A ce moment-là, la personne est souvent réifiée et plus on est vulnérable, plus cette chosification, souvent faite d’interdits, est forte. Or, si cette haute vieillesse nous la désirons tous, on voit que paradoxalement existe une dénégation collective du vieillissement et que l’on s’occupe mal de nos anciens dans nos démocraties.” Pour la philosophe, Il faut redonner un sens à la longévité, il ne s’agit pas de simplement vivre plus longtemps, “de durer pour durer et durer encore”, mais de vivre plus longtemps en bonne santé, afin que ce rêve d’une certaine immortalité ne reste pas qu’un idéal matérialiste ou technologique...    *En partenariat avec Egora

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