La trace des attentats scrutée sous IRM

13/11/2018 Par Catherine le Borgne

Les attentats de 2015 ont imprimé la mémoire collective. Mais chez les personnes les plus directement exposées, ils ont laissé des traces jusque dans les méandres du cerveau, selon deux études lancées dans le cadre du vaste programme "13-novembre", explique le chercheur Denis Peschanski.

Le premier projet, "Etude 1.000" consiste à recueillir et analyser les témoignages filmés de 934 personnes pendant dix ans, des plus exposées (355 sont des victimes, témoins, intervenants sur les lieux et parents endeuillés) aux plus éloignées des lieux des attentats. C'est la plus vaste cohorte suivie sur une telle durée. "Il y a eu une étude passionnante faite aux Etats-Unis sur les attentats du 11 septembre mais c'était par écrit. Ça change tout : quand je retrouve (nos participants), ils peuvent parler une heure et demie ou plus", explique l'historien Denis Peschanski, codirecteur du programme CNRS-Inserm avec le neuropsychologue Francis Eustache. A partir des 1.431 heures d'entretien emmagasinées en 2016 sera notamment menée une étude du vocabulaire, qui sera poursuivie jusqu'en 2026. "On pourra dire par exemple s'il y a un vocabulaire commun à tous ceux qui ont vécu l'événement, si au fur et à mesure des années se construit un grand récit partagé". Sur ces 934 personnes, 200 participent à une autre étude, "Remember", sur l'état de stress post-traumatique (ESPT) au coeur des pathologies consécutives à un attentat. Ces 200 personnes vont être soumises pendant deux jours à Caen, où se trouve le laboratoire de Francis Eustache, à une batterie d'examens médicaux, psychologiques, neurologiques, et à un passage en imagerie (IRM) pour essayer de voir "le coeur du trouble, les images intrusives", incontrôlables. "Le complément naturel est l'évitement : vous évitez tout ce qui peut les faire venir, vous ne passez plus devant les lieux en question, vous évitez les transports publics, les salles de spectacle, vous vous asseyez au restaurant face à la porte, après avoir repéré les sorties..." explique Denis Peschanski. "On ne veut pas présenter sous IRM des images du Bataclan ou des terrasses, donc un protocole original permet de créer des images intrusives et de voir si la personne arrive à repousser ces images et comment ça se passe dans le cerveau". Concrètement, on va proposer aux personnes des images par paires, "par exemple le mot bateau associé à l'image maison". Quand arrive le passage sous IRM, "on fait le même exercice, mais quand le mot est en vert, vous laissez venir l'image de la maison et quand c'est écrit en rouge vous repoussez l'image de la maison." "Ça a l'air tout bête, mais quelqu'un qui a un stress post-traumatique ne peut pas repousser l'image", constate le chercheur, et "ce qui est extraordinaire c'est que cela se voit dans le cerveau". "Il y a un contraste extraordinaire entre le groupe de ceux qui sont complètement extérieurs aux attentats et ceux qui ont un trouble, chez qui la connectivité fonctionne très mal". A l'inverse, l'imagerie mesure une connectivité plus dense chez les personnes qui se sont rétablies d'un ESPT que chez celles qui n'en ont jamais souffert. "Une fois qu'on a diagnostiqué cela, il faut comprendre pourquoi deux personnes qui étaient au même moment sur la même terrasse mitraillée ou au Bataclan, ont pour l'une un ESPT un an plus tard, et pas l'autre." Tout l'intérêt de l'étude est de marier les sciences "dures" et les sciences humaines, observe le chercheur. "Il y a des réponses dans les sciences humaines et sociales : est-ce qu'ils viennent d'un milieu rassurant ou non, ont-ils une activité professionnelle favorable, un couple stable, un environnement amical porteur, tout cela peut être crucial pour comprendre." Le programme "13-novembre" court sur 12 ans, mais les premiers résultats bio-médicaux sont attendus en début d'année prochaine. [Avec l'AFP]  

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