Adieu le neuf, place à l’occasion. Il y a dix ans, arrivait en France une plateforme de vente en ligne de vêtements de seconde main entre particuliers nommée Vinted. Une idée venue tout droit de Lituanie, reprenant le principe du site web français de petites annonces, Le Bon Coin, créé quelques années plus tôt. Ce business s’est très vite avéré juteux, avec une explosion des transactions depuis l’épidémie de Covid qui a poussé les Français à faire du tri dans leur logis. À tel point que Vinted dépassera cette année le leader mondial du e-commerce Amazon en chiffre d’affaires. Si ces sites d’achat et de revente de produits d’occasion ont d’abord séduit ceux qui étaient à la recherche de pièces ou d’objets vintage, uniques, ceux-ci sont parvenus à séduire des millions de personnes, désireuses de changer leur façon de consommer, adoptant la démarche d’écoresponsabilité*.
Au tour de la santé de se mettre à la page. "Pour moi l’écoresponsabilité c’est trois choses : c’est l’écologie, l’économie, et c’est être éco inspirant, c’est-à-dire montrer aux autres qu’on fait le pas", plaide la Dre Gaëlle Hernandez. Peu après l’arrivée du Covid, la chirurgienne-dentiste de formation a décidé de changer de vie pour promouvoir cette façon de vivre et de consommer. À l’époque, la spécialiste en endodontie exerce dans un cabinet de Grenoble qu’elle a racheté après son départ de la capitale. Seule praticienne à avoir cette spécialité dans le secteur, elle a investi et contracté des prêts pour acheter du matériel de pointe coûteux (scanner, microscope...). Quand arrive la crise sanitaire, son agenda professionnel affiche des délais de rendez-vous considérables. Malgré le rythme soutenu, celle qui se décrit comme étant une "entrepreneuse dans l’âme" tourne en rond dans son cabinet. "J’avais envie de faire autre chose pour la profession."
"Il y avait une réelle problématique pour les praticiens qui cessent leur activité et ceux qui veulent s’installer"
Passé le premier confinement, décision est prise de fermer le rideau après 15 ans d’exercice libéral. Alors que l’épidémie sévit encore et que les praticiens essuient les dommages financiers de la crise sanitaire, la Dre Gaëlle Hernandez ne parvient pas à trouver de repreneur pour son cabinet. Elle le transforme donc en appartement. "Mais il était hors de question pour moi que mes équipements partent à la poubelle", explique la dentiste, qui fait alors marcher son réseau. "Je commence à envoyer des mails avec des fiches présentant mes équipements et mes consommables à tous mes correspondants – à l’époque j’avais plus de 300 correspondants qui m’adressaient des patients. Et j’ai réussi à revendre tout mon matériel en seconde main. Certains confrères étaient à la recherche d’outils et d’instruments spécifiques. Ils n’ont pas eu peur de me les racheter car ils avaient confiance en moi."
Cette initiative fait des émules. C’est le début d’une aventure : "Je me suis rendu compte qu’il y avait une réelle problématique pour les praticiens qui cessent leur activité et ceux qui veulent s’installer." Ceux-ci se montrent intéressés par une aide extérieure pour se débarrasser ou se procurer des équipements d’occasion. C’est ainsi que Gaëlle Hernandez parcourt le secteur à bord de sa voiture pour acheter et revendre tabourets, chaises, pack de stérilisation... "J’allais aussi prendre des photos dans les cabinets pour faire des annonces", se souvient-elle. "Et puis techniquement, c’est devenu compliqué d’aller chercher du gros matériel à gauche à droite." Elle recentre sa toute nouvelle activité – au départ bénévole – sur le petit matériel pour lequel le gaspillage est "presque évitable à 100%". "Il y a 100 ans, on avait déjà des miroirs dans notre pratique, et dans 100 ans on en aura toujours. C’est dommage de commander en permanence du neuf", estime-t-elle.
Trier, nettoyer, répertorier
Ce qui n’était au départ qu’un coup de pouce devient rapidement un vrai projet d’entreprenariat. "J’ai proposé à mes confrères de racheter leur petit matériel. J’ai tout stocké dans mon garage : je triais, je nettoyais, je répertoriais", explique la quadragénaire, qui développe en parallèle une activité d’accompagnement sur mesure pour les dentistes. En mois d’un an, Gaëlle Hernandez passe d’un petit catalogue de matériel de seconde main élaboré sur PowerPoint à la création d’une boutique en ligne, qui a vu le jour en juin 2022, parallèlement à la création de la société "Biens confraternels". "Il existe des sites de vente de gros matériel de seconde main, mais pour le petit matériel médical, nous sommes les seuls, car cela demande un travail minutieux de référencement. Tous les instruments n’ont pas forcément d’étiquette, il faut souvent chercher les détails de ce que c’est…", explique-t-elle.
Au départ, les produits proposés sont essentiellement destinés aux dentistes ou aux assistants dentaires, puis l’entrepreneure a élargi...
son offre aux autres professions de santé. "Au niveau des consommables (champs, charlottes, surblouses, surchaussures, compresses…), il y a beaucoup de points communs entre les disciplines." Elle cible notamment les infirmières libérales qui "ont beaucoup de matériel à leur domicile. Soit parce que les ordonnances faites pour leurs patients sont trop importantes, ou parce que leurs patients ont été hospitalisés ou sont décédés. Ce matériel qui a été commandé et remboursé par la Sécurité sociale finit dans un garage…" Pour éviter ce gaspillage, Gaëlle Hernandez et son associée, une assistante médicale, ont pris contact avec ces soignantes pour récupérer des équipements et dispositifs médicaux.
Les généralistes sont pour l’instant peu présents parmi les clients, "car tous n’ont pas besoin de matériel spécifique ou d’autant de consommables". Mais certains produits "peuvent les intéresser", ajoute la fondatrice, citant notamment "des gants, des masques, des compresses, des seringues ou encore des poches de sérum physiologique". La petite équipe s’est par ailleurs mise en relation avec des médecins pour que ces derniers puissent orienter leurs patients "qui auraient besoin de dispositifs, comme des béquilles par exemple" vers le site de Biens confraternels. "Ce matériel est parfois pris en charge par les mutuelles, mais pas systématiquement", souligne Gaëlle Hernandez.
La société a aussi créé un contrat avec des centres de formation pour assistantes dentaires, qui doivent s’équiper en fausse salle de soins, à qui Biens confraternels envoie "le matériel périmé ou qui ne peut pas être remis en vente", afin que les élèves "apprennent à l’utiliser". Ces travaux pratiques réalisés sur de faux patients ne nécessitent pas que les consommables aient une date de péremption valable.
Contrat de confiance
Depuis sa création, le site, qui livre partout en France, dénombre "une cinquantaine de clients récurrents", sans oublier "les clients ponctuels, qui viennent chercher un instrument en particulier". "C’est encore une bébé-entreprise", mais "nous sommes à l’équilibre sur le plan financier", se félicite Gaëlle Hernandez. Ajoutant : "Nous sommes face à de gros fournisseurs qui vendent du matériel neuf, qui parcoure parfois la terre avant d’arriver jusqu’à nous…" Pas encore de bénéfices, donc, pour Biens confraternels, mais sa fondatrice est bien décidée à "changer la donne" dans le monde de la santé, alors que "la population générale change de regard sur beaucoup de plans". "On veut faire prendre conscience aux praticiens qu’on peut changer nos habitudes, qu’on peut avoir confiance dans le matériel de seconde main parce qu’il est trié par des personnes qui connaissent le métier", poursuit-elle, vantant le sérieux de la petite équipe.
Elle reconnaît toutefois que certains professionnels de santé avaient et ont toujours pour certains "quelques craintes". "La première c’est la confiance. On peut parfois avoir de mauvaises surprises en allant sur des sites de seconde main. La deuxième, c’est le temps. Si on veut avoir cette démarche écologique et économique, il faut avoir le temps d’effectuer des recherches, d’aller voir les sites régulièrement, etc. L’avantage de notre site, c’est que tout est centralisé", indique-t-elle. Au-delà de la boutique en ligne, Biens confraternels propose également de diffuser des annonces de professionnels. Mais pour s’assurer de la fonctionnalité et de la révision des équipements, la société passe un "contrat de confiance" avec les revendeurs.
Bouleverser les habitudes des praticiens et "verdir" le cabinet n’apparaît être une mince affaire, "ça n’est pas gagné" du côté de "l’ancienne génération", constate l’ancienne dentiste. Mais pour les jeunes qui commencent un exercice, c’est autre chose. "Ils entendent parler de ces problématiques environnementales, ils ont aussi un changement de leur façon de pratiquer avec moins de jours de travail, moins d’heures, et souvent des chiffres d’affaires moindres." Une cible pour Biens confraternels qui se vante d’appliquer des prix "défiant toute concurrence". "On applique -20% sur le consommable par rapport au prix le moins cher constaté sur le marché, et entre -50% et -80% pour l’instrumentation."
Pour capter davantage de professionnels, Gaëlle Hernandez est d’ailleurs en train de développer un réseau d’ambassadeurs pour faire parler de sa petite entreprise. "Ce sont des collaborateurs, des apporteurs d’affaires, qui sont rémunérés en conséquence de l’apport qu’ils amènent à notre société", explique-t-elle. Déjà 4 personnes travaillent avec Biens confraternels par ce biais-là.
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