"Un bébé à la rue, c'est une urgence médicale" : à Paris, une maison de santé dénonce une "réalité insupportable"
"Pour dire non à la présence de bébés à la rue", les professionnels du Pôle de santé des Envierges (Ile-de-France) se mobilisent tous les mois devant l'Hôtel de ville de Paris. Une mobilisation, coportée par le collectif RESF Titon-Souzy-Pilâtre, qui vise à dénoncer le fait que "des femmes enceintes, des bébés, des enfants ne sont pas protégés". Concours pluripro était présent hier soir à leurs côtés.
Article initialement publié sur Concours pluripro
"Ces dernières années, il se passe quelque chose qui n'existait pas quand j'étais jeune médecin généraliste, confie Mady Denantes, présidente du Pôle de santé des Envierges, à l'origine de la création de la MSP Pyrénées Belleville. Avant, dès qu'un enfant était en danger, il était mis immédiatement à l'abri. Mais aujourd'hui, on a des bébés, des nouveau-nés, qui dorment dans la rue." Au moins 2043 enfants étaient "sans solution d’hébergement dans la nuit du 19 août [2024]", estimait le 6e Baromètre "Enfants à la rue" publié en août dernier par Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité. Soit "une hausse de 120% par rapport à 2020"… Parmi eux, 467 avaient moins de trois ans.
Depuis octobre dernier, les professionnels de santé du Pôle de santé des Envierges ont décidé de "réagir", lance la généraliste. Ainsi, sous la bannière du collectif "Zéro bébé à la rue", ils se retrouvent devant l'Hôtel de ville de Paris, tous les premiers lundis du mois, "pour dire non à la présence de bébés à la rue", aux côtés du collectif RESF Titon-Souzy-Pilâtre* et du Conseil consultatif des usagers du Pôle de santé. "Nous avons été alertés par le collectif RESF et pour nous, il est évident qu'on ne peut pas parler de soin et d'accès aux soins quand des nouveau-nés dorment dans la rue. Ce qui était impensable il n’y a pas si longtemps, est devenu une réalité insupportable : des femmes enceintes, des bébés, des enfants ne sont pas protégés et dorment dans les rues, les parcs, les écoles, les gares…", tonne Mady Denantes. D'autant que si des dispositifs de mise à l'abri existent, ils sont insuffisants…
À l'hôpital Robert Debré (AP-HP), Rose-Marie Garcia, psychologue au service maternité et membre du collectif RESF Titon-Souzy-Pilâtre, rencontre régulièrement "des patients en situation d'extrême précarité, des femmes migrantes avec des problématiques sociales et/ou en attente de logement, des personnes sans papier", précise-t-elle à Concours pluripro. "Et finalement, soit elles restent à Robert Debré ou elles sont envoyées dans les abris pour quelques jours puis à la rue…" Et ces hébergements d'urgence renouvelés à la semaine ou au mois complexifient "la tâche d'inscrire ces patients dans un réseau de soutien avec des professionnels de santé du secteur", assure-t-elle. À fin décembre 2024, le réseau régional Solidarité de coordination médicosociale en périnatalité (Solipam) recensait la présence de 4 nouveau-nés à la rue à Paris, 1 dans le 94 et le 95, et 6 en Ile-de-France.
Très critiques envers le programme des 1000 premiers jours, les deux professionnelles de santé estiment que "l'Etat et la mairie doivent faire leur part de travail. Nous, soignants, on le fait, on reçoit ces patientes mais qu'est-ce qu'on peut faire quand elles sont à la rue ?", lance Mady Denantes. "Le programme est très axé sur la santé mentale, la prise de conscience de la santé psychologique dans la période périnatale… et notre mouvement s'inscrit dans cette mouvance. Certes, le dispositif des 1000 premiers jours ne s'intéresse pas particulièrement à la situation des femmes, des mères, des familles en situation de précarité mais il donne une ligne directrice pour les accompagner et des critères pour repérer les vulnérabilités. Et quand on dort dehors, on fait face à de nombreux facteurs de risque…", assure Rose-Marie Garcia.
En 2017, le Président de la République s'était engagé à "loger tout le monde dignement" : "Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité, c’est une question d’humanité et d’efficacité là aussi", avait lancé Emmanuel Macron. En novembre 2022, Olivier Klein, alors ministre délégué chargé de la Ville et du Logement dans le Gouvernement Élisabeth Borne, avait assuré qu'"aucun enfant ne [devait] dormir à la rue". Mais dans les faits, il ne se passe rien, regrette la médecin généraliste : "On a des engagements de nos responsables politiques sur des choses qui semblent évidentes – le fait qu'il n'y ait aucun enfant dans la rue – mais au final, ça ne se fait pas…"
"Dans un pays qui prône la prévention, comment on peut accepter ça ?"
Hier soir, au 31 rue de Rivoli, la mobilisation citoyenne a réuni une vingtaine de personnes devant l'Hôtel de ville de Paris. Un lieu où se retrouve également tous les jours à 18h l'association Utopia qui prend en charge les personnes à la rue. "Ils font un travail de dingue, assure Mady Denantes. Ils dressent la liste des personnes à la rue et la liste des hébergements solidaires et ils emmènent les familles – qui sont prioritaires – au sein d'une famille ou d'un hébergement pour la nuit… mais le lendemain ils sont de nouveau à la rue." De 19h à 20h, professionnels de santé, acteurs médicosociaux ou simples badauds ont entonné des chansons : "Un enfant dort, où ça ? Dehors ! Quelle est sa faute ? Quel est son tort ? Pendant de longs jours, à la marche, il s'accroche. Mais parfois la nuit, il s'endort… trop fort ! À vous députés, de changer son sort !"** Cette mobilisation doit avant tout être citoyenne, poursuit Rose-Marie Garcia, "parce que c'est une question de santé publique, et de l'impact de ces conditions de vie sur la santé somatique et psychologique. Un enfant doit avoir un minimum de sécurité pour se développer et on voit que ces situations freinent la relation mère/enfant. Alors qu'on parle de nos futurs citoyens…"
"Dans un pays qui prône la prévention, comment on peut accepter ça ? Quand le Président s'engage pour qu'il n'y ait plus personne à la rue, quand le ministre délégué au Logement assure que les enfants ne doivent plus dormir dehors, à l'heure des Jeux olympiques où on a fait des choses fabuleuses, ce n'est quand même pas quelques enfants à la rue qu'on ne pourrait pas, nous société française, mettre à l'abri. C'est inimaginable !, lance Mady Denantes. Pendant le Covid, on a pu mettre tout le monde à l'abri… Alors ce n'est pas une mission impossible. Quand on veut, on peut !"
* Le collectif RESF Titon-Souzy-Pilâtre est composé de soignantes, de parents et d’enseignants du 11e arrondissement parisien
** Sur l'air de "Maudit sois-tu carillonneur"
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