Trois ans de travail acharné, trois jours d'épreuves intenses. Et à l'arrivée, un classement lapidaire. Près de 9000 externes attendent ce mercredi soir le résultat des ECN, qui sera déterminant pour leur choix de spécialité d'internat. Hugo* (@NuclearYoshi sur Twitter), 30 ans, en sait quelque chose. Il y a six ans, cet externe bosseur, prêt à tout sacrifier pour ses études de médecine, écopait d'un classement aussi mauvais qu'inattendu. Idées noires, sentiment de honte... Le jeune médecin nous raconte comment son résultat aux ECN a remis en cause sa vocation et précipité son départ à l'étranger. Pour le meilleur : aujourd'hui installé en Suisse, il n'échangerait son poste de chef de clinique en psychiatrie pour rien au monde. Un témoignage qui illustre la nécessité d'en finir avec un système éducatif impitoyable. "J'ai passé les ECN en 2012. J'avais été reçu primant en Paces. Mais les études n'ont pas été sans difficultés… J'ai fait un gros épisode dépressif en 3e année ; j'ai découvert les rattrapages. J'ai repris du poil de la bête pendant l'externat. A fond dans la culture ECN : il faut être le meilleur. Dès la D3 (5e année), on a commencé les concours blancs avec des amis. Mes parents, qui ne sont pas issus du milieu médical, m'ont mis une pression énorme… À la fac comme à la maison, je vivais médecine. J'étais en couple avec quelqu'un qui n'était pas en médecine et ça ne se passait pas bien. Il faut dire que je n'étais présent pour personne pendant la D4. Mes parents m'ont encouragé à rompre pour pouvoir me concentrer sur mes études. La chose importante dans ma vie à ce moment-là, c'était d'avoir le classement qu'il fallait. Je jouais le jeu à fond. En D4, j'étais plutôt bien classé au concours blanc : mon meilleur classement, ça a été 1000 sur 5000. À côté, je me payais deux conférences privées grâce à des petits boulots le week-end. Je faisais la conférence publique de la fac un soir par semaine. Et le reste du temps, on sous-collait avec deux amis. Je suis arrivé aux ECN terrifié, mais relativement confiant. Les dossiers étaient compliqués, mais ça s'est plutôt bien passé. Vis-à-vis des réponses de mes copains de sous-colle, je ne me sentais pas trop mal. Je commençais à reprendre goût à la vie… "Ma copie était hachurée au feutre rouge" Et au classement, j'ai terminé après 6000. Là pour moi, ça a été le désastre. Je n'ai pas compris ce classement, je n'ai pas compris ma note. Une de mes amies qui ne faisait "rien", qui avait préparé les ECN par-dessus la jambe, partant même trois mois pour faire les vendanges, a terminé mieux classée. Je me suis demandé : "qu'est-ce que j'ai fait de mal ? J'ai tout fait pour réussir… Pourquoi je me suis planté ?". J'ai demandé mes copies pour les comparer aux corrections. En fait, c'est le premier dossier qui a posé problème La bonne sœur qui avait la gale. Ma copie était hachurée au feutre rouge. Je m'étais fait lyncher par le prof. Notamment avec un gros zéro sur la question qui faisait débat à l'époque : doit-on faire une sérologie VIH ? Deux semaines avant les ECN, un prof d'infectiologie nous avait dit en cours : "une gale est une infection sexuellement transmissible jusqu'à preuve du contraire". Pour moi, c'était une IST : elle a le droit d'avoir une vie en dehors du couvent ! D'autant plus que les recommandations qui venaient de paraître dans la HAS disaient que "tout adulte de plus de 15 ans doit se voir proposer une sérologie VIH". J'ai perdu 20 points sur cette question et je me suis fait lyncher sur le reste du dossier alors que j'avais à peu près bon. Au prix de la place, c'est comme ça que j'ai terminé dans les 6000. C'était l'injustice. De voir comment ma copie avait été "trashée" par le prof qui l'avait corrigée… ça a été terrible à vivre. "Tout le monde savait que j'étais celui qui avait le moins bien réussi" À l'époque, je ne savais pas encore si je voulais faire obstétrique ou psychiatrie. Mon classement me permettait d'avoir psychiatrie un peu partout en France. Mais à ce moment-là, je me suis posé la question d'arrêter tout. Je n'ai pas répondu à mes amis pendant deux semaines : mon classement était public, tout le monde savait que j'étais celui qui avait le moins bien réussi du groupe. J'ai eu des idées noires… S'inquiétant pour moi, mon père m'a proposé de faire quelques déplacements avec lui pendant l'été, notamment en Suisse romande. J'ai trouvé le cadre sympa. Un des clients de mon père m'a signalé qu'il y avait plein de Français qui venaient travailler ici. Sur internet, j'ai trouvé énormément de témoignages de médecins qui sont allés travailler en Suisse. Je pouvais avoir psychiatrie en France. Mais je trouvais ironique de prendre la décision d'aller faire psychiatrie ailleurs. J'avais besoin de reprendre un peu le contrôle de ma vie. Mon dossier a été vite validé, j'avais une place en Suisse pour le 1er novembre. Menaces de l'ARS Mais il fallait démissionner côté français, et là, ça a été difficile. J'ai appelé ma fac. Le responsable des inscriptions s'est inquiété, ça m'a fait du bien. Mais pour démissionner, il fallait appeler aussi l'ARS. Je suis tombé sur une femme, très désagréable, au téléphone. Je me suis pris une volée de bois vert : "Mais pourquoi vous voulez démissionner ? Vous vous rendez compte ? Vous devriez avoir honte ! Vous êtes comme tous les autres, vous allez partir ailleurs. Dites-moi où vous partez". Elle a fini par me menacer : "Sachez juste que jamais on n'acceptera que vous reveniez en France. Si on trouve où vous allez, on leur enverra vos mauvaises évaluations de stage". Finalement, l'assesseur de la fac a rappelé plusieurs d'entre nous pour nous dire qu'il y aurait toujours une place pour nous en médecine générale. C'était bon flic, mauvais flic ! J'avais déjà fait ma vie en Suisse. J'ai revu des gens qui venaient de mon hôpital, et d'autres internes français qui étaient dans une situation similaire à la mienne. D'ailleurs, régulièrement dans les services, on croise des PU-PH français qui se sont fait recruter en Suisse. On a l'impression de faire mal en partant, et on tombe sur des PU très fiers d'avoir été débauchés…
Ça a été très dur de partir, de partir loin des gens avec qui j'avais fait la fac. Mais on s'y fait vite ! La qualité de vie de l'internat en Suisse, c'est le jour et la nuit avec la France. Ici, on signe des contrats de 50 heures par semaine ; bien sûr, on dépasse un peu, mais clairement moins qu'en France. Il n'y a pas de garde de plus de 12 heures, rien que ça c'est énorme. Il y a des repos le lendemain. Et surtout, on est... bien mieux payé qu'en France : un médecin assistant est rémunéré à hauteur du salaire médian suisse. Même si le niveau de vie est élevé, on s'y retrouve vraiment. Le tout avec une formation vraiment chouette. Je repartais à zéro avec des gens qui ne me connaissaient pas. Mais quand je revenais en France, je ressentais encore de la honte. Même si je sais que j'ai des meilleures conditions de travail et de vie, j'avais l'impression de tricher. Les copains me disaient : "ton internat va durer plus longtemps ? Quand est-ce que tu vas revenir ? Tu ne trouveras jamais pour t'installer…" C'est là qu'on se rend compte de notre côté hyper chauvin, dénoncé en Suisse. Là-bas, un tiers voire la moitié des médecins assistants (les internes) sont étrangers : Espagnols, Italiens, Grecs… "Je n'avais rien d'autre dans ma vie que le dieu Médecine" Ce qui m'a choqué aussi, c'est que les internes français, qui travaillent jusqu'à 90 heures par semaine, ne parlent que de leur boulot à l'hôpital. Alors que moi, au bout de trois mois en Suisse, je m'étais remis au sport, j'allais faire de la randonnée, j'allais au cinéma, je trouvais le temps de lire le journal… et réfléchir. Je me suis rendu compte que j'avais rompu avec ma copine de l'époque pour un motif débile : des résultats à l'ECN ! Que je m'étais isolé socialement. Je n'avais rien d'autre dans ma vie que le dieu Médecine. Je me suis aperçu qu'il y avait un monde en dehors de l'hôpital. Mais dès que je rentrais en France, je voyais les copains fiers de dire qu'ils faisaient des gardes de 36 heures, qu'ils étaient dans tel service, etc. Un fossé s'était creusé. C'est juste un métier. On est censé vivre, avoir une vie de famille, des passions. Pendant mon année aux urgences, j'ai rencontré une interne qui avait fait la même fac que moi. Ça fait trois ans qu'on est ensemble. Et à aucun moment, on imagine revenir en France. La France, c'est pour la famille.
La suppression des ECN ne changera rien de mon point de vue. L'hôpital, en France, continuera de prendre des "enfants" qui ne connaissent rien de la vie pour leur faire vivre des expériences traumatogènes. Lors de mon premier stage à l'hôpital, pour m'apprendre la vie, l'aide-soignante m'a confié une toilette mortuaire. Je me suis retrouvé à nettoyer les selles d'une dame qui avait l'âge d'être ma grand-mère. Je n'avais jamais touché une femme, c'était très perturbant comme expérience. On confronte les jeunes à ces expériences traumatisantes et on ne les laisse pas sortir de l'hôpital. Ils finissent par ne vivre que pour ça. C'est hyper maltraitant comme système. Je me suis fait gifler par ma prof en 5e année quand j'ai donné une mauvaise réponse durant la visite et à l'époque, je pensais l'avoir mérité. Se faire gifler ! "Respectez vos limites" Quand je vois les étudiants que je forme en Suisse… Tout n'est pas parfait, bien sûr, mais déjà le système éducatif est moins élitiste. Il y a moins de concours, plus d'accompagnement. Plus de mise en condition auprès d'acteurs. Les premiers contacts avec la maladie se font au travers du jeu de rôle. Alors qu'en France, l'hôpital public repose sur ses étudiants, ici ils viennent pour apprendre, pour observer, ils ne sont pas mis à contribution du système. Ce que je dis aux étudiants ? N'allez pas aux ECN si vous n'avez pas autre chose dans la vie. Libérez-vous deux heures par jour pour penser à autre chose qu'à la médecine. Et respectez vos limites. Quand on commence à avoir des idées noires, qu'on se sent maltraité en stage, il faut dire stop. En dehors de l'hôpital, il y a un monde. À quoi ça sert de sauver la vie des autres si on en n'a pas une à soi ?" *Le prénom a été modifié.
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