"L'hôpital s'effondre et c'est la division qui règne": futurs médecins et directeurs s'unissent pour sauver le service public

26/08/2022 Par L’Intersyndicale nationale des internes et les élèves directeurs d'hôpital de l’École des hautes études en santé publique

Dans une démarche inédite, le bureau national de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) et les élèves directeurs d’hôpital de l’École des hautes études en santé publique ont décidé de s’unir pour formuler des propositions afin d'améliorer le système de santé. Médecins et dirigeants des hôpitaux de demain, ils appellent, dans une tribune, à en revoir urgemment la gouvernance tout en “déconstruisant les préjugés”. Fusion des différentes commissions, ouverture de la chefferie de service à toutes les professions, fin des gardes de 24 heures… Ils tracent les contours d’un “hôpital de la responsabilité” qualitatif à la fois pour les patients et les soignants. Egora publie leur texte en exclusivité.    “L’hôpital s’effondre. Et alors qu’il ne se relèvera pas sans la fraternité de tous, c’est bien trop souvent la division qui règne. D’un côté, un monde médical, qui serait corporatiste, élitiste, qui ne serait bon qu’à un management paternaliste et harcelant, mandarinal, dans les CHU. De l’autre, des directeurs ballotés au rythme des nominations et d’une carrière individualisée, au détriment d’un enracinement profond et concret dans leurs établissements. Pis, cette division –souvent fantasmée à l’envie- dans les conditions de travail, se retrouve dans les discours : les premiers accusant les seconds d’être missionnés pour détruire l’Hôpital et de ne rien connaître aux exigences du soin, les seconds accusant les premiers de se comporter de manière individualiste et orgueilleuse. Ces discours ne prennent que mal en compte la réalité complexe de nos hôpitaux, en oubliant la richesse et la diversité des professions que constituent la majorité de nos agents. Parmi nos plus de 150 métiers, lesquels se parlent ? Lesquels dialoguent ? Les murs en témoignent : les salles de repos, lieux de restauration et de vie sont souvent séparés, comme pour donner une matérialité à cette triste conflictualité, interposée par invectives et autres tribunes. Pourtant, des milliers de professionnels tentent de sauver le service public de santé : personnels médicaux, paramédicaux, techniques, administratifs ou logistiques, qui concourent chacun à donner le meilleur soin possible aux patients. Pour eux, devant la hauteur de l’enjeu, nous voulons que les discours du passé laissent place aux dialogues du futur. C’est pourquoi, nous, membres de l’InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI) et élèves directeurs d’hôpital avons choisi de nous réunir et d'écrire une tribune commune, pour la première fois dans l’histoire de nos hôpitaux. Nos travaux collectifs nous ont permis de déconstruire bon nombre de nos préjugés, et de réfléchir ensemble sur des thèmes identifiés comme prioritaires pour nos hôpitaux : qui est responsable de quoi à l’hôpital ? Comment aurait vocation à s’organiser le travail ? comment financer les activités de soins ? Comment former les soignants et administratifs de demain ? A ces questions une réponse : l’hôpital de demain doit être celui de l’unité, de la compétence et de la responsabilité.

Un navire ne doit pas changer plusieurs fois de capitaine au cours d’une même traversée : nous proposons de sanctuariser une durée minimale de référence de quatre années à la tête d’un établissement pour les directeurs généraux des hôpitaux et des Agences Régionales de Santé (ARS). Au niveau régional, les ARS doivent pouvoir exercer efficacement leur rôle d’organisation des soins pour permettre à tous les citoyens d’accéder à une structure de santé. La gouvernance doit être unique mais le projet commun, concerté entre l’Etat, l’Assurance Maladie et les collectivités territoriales. Au niveau hospitalier, nous opposons l’intelligence collective au cloisonnement : nous proposons de fusionner la Commission Médicale d’Etablissement et la Commission des Soins Infirmiers, de Rééducation et Médico-Techniques pour élaborer ensemble le projet de soin de l’établissement. Les chefferies de service ne doivent plus être attribuées en fonction du simple statut mais de la seule compétence : ainsi tout professionnel pourra se voir confier la direction d’un service, qu’il soit médecin ou non, qu’il soit professeur ou non, à condition de présenter les compétences et les qualités nécessaires à un management efficace et bienveillant. Il ne peut y avoir d’équipe sans capitaine : la triple gouvernance actuelle – médicale, paramédicale et administrative entraine des situations caricaturales où des équipes peuvent évoluer en parallèle sans presque jamais se rencontrer. Nous proposons donc une gouvernance unique de service pour tous les personnels. Là aussi, gouvernance unique mais projet de service commun, concerté entre tous les acteurs. L’hôpital de demain doit être celui de la coopération et de l’amélioration continue. La responsabilité exige évaluation et qualité de la formation sur tous les aspects : qualité des soins, management, formation ou qualité de vie. L’évaluation est souvent vécue comme une défiance par les évalués, elle doit devenir un levier d’amélioration constante pour le bien de tous. Faire équipe exige de comprendre l’autre et ses contraintes : la formation des professionnels de santé devra systématiquement comprendre des cours de management et des formations croisées entre personnels de soin et administratifs. La transversalité doit aussi se concrétiser en valorisant les stages des soignants dans les services administratifs et en augmentant la durée des stages de soins pour les dirigeants hospitaliers. L’Hôpital de demain doit enfin être celui de la qualité des soins, comme celui de la qualité de vie au travail. Pour les personnels d’abord : l’épuisement et le mal-être au travail augmentent les dépressions, le burn-out et les erreurs médicales. L’urgence est de reconnaître cette pénibilité et son impact négatif, scientifiquement prouvé, sur la qualité des soins : par la valorisation des services de garde de nuit à activité continue et l’interdiction des gardes de 24 heures. Premier coupable : le temps de travail excessif qui touche tous les acteurs hospitaliers. Une concertation nationale doit avoir lieu dans les plus brefs délais pour endiguer cette menace sur la santé des personnels et l’attractivité des carrières, que ces personnels soient soignants ou administratifs. 

Nos hôpitaux doivent continuer de proposer aux patients les soins de la meilleure qualité possible. Nous sommes en faveur d’une accélération du passage de la quantité (reflétée par le modèle ancien de la tarification à l’activité) à la qualité. Pour cela, il est nécessaire d’augmenter la part du financement en fonction de la qualité des soins. Le développement systématique des centres de simulation permettra aux professionnels de s'entraîner pour ne jamais réaliser pour la première fois un premier geste sur le patient. Ces valeurs, humanistes envers les soins ne porteront pourtant cependant jamais leur fruit en l’absence d’un nombre suffisant d’hommes et de femmes autour des patients. Nous proposons donc la mise en place d’un engagement fort qui doit être inscrit dans la loi : un « bouclier-soignant » pour que dans sa prise en charge hospitalière, le patient bénéficie toujours d’un nombre suffisant de soignants auprès de lui. Nous avons la volonté de pérenniser ces rencontres entres membres de l'ISNI et élèves directeurs d'hôpital pour le futur de l'hôpital public. Mais dès aujourd'hui nous portons un projet commun qui sera l'honneur de la République, un projet fraternel construit autour des patients, de celles et ceux qui en ont le plus besoin et de leurs proches."   Liste des sigataires : Casanova Gaetan, président de l'ISNI
Debernard Angélique, élève directrice d'hôpital
Masson-Weyl David, élève directeur d’hôpital
Moinet Arthur, élève directeur d’hôpital, représentant des élèves fonctionnaires au Conseil d’administration de l’EHESP
Goudard-Devineau Arthur, élève directeur d'hôpital
Albagnac-Ricard Lucie, élève directrice d’hôpital
Balmelle Xavier, président du Syndicat Autonome des Internes des Hospices de Lyon 
Reilhac Aloïs, président de l’Association des Internes des Hôpitaux de Bordeaux et premier vice-président de l’ISNI
Duconget, Claire, élève directrice d'hôpital
Monteau Pauline, élève directrice d'hôpital
Khalid Umair, élève directeur d’hôpital
Guiot Benjamin, élève directeur d’hôpital
Daniel Erell, élève directrice d'hôpital
Salmon Eva, élève directrice d'hôpital
Cazenave Michel Gabriel, interne de gynécologie obstétrique et vice président partenariats de l'ISNI
Tharrault Adrien, élève directeur d'hôpital
Pellicer-Garcia Laetitia, interne en médecine
Myriam Lemaire, élève directrice d'hôpital
Riffet-Vidal Nicolas, élève directeur d’hôpital
Guillaume Bailly, premier vice président de l’ISNI
Boury Rémi, élève directeur d’hôpital
Rodriguez-Borlado Lucía, vice-présidente représentation des Internes pour le Syndicat autonome des internes des hôpitaux de Lyon)
Bardon Sabrina, élève directrice d’hôpital
Cabarrus Valentin, élève directeur d’hôpital
Guillet Vincent, interne en médecine
Potier Claire, élève directrice d’hôpital
Chanal Guillaume, élève directeur d’hôpital
Bernet Arnaud, élève directeur d'hôpital
Steinmetz Thibaut, interne de médecine et santé au travail et vice-président formation de l'ISNI)
Veres Diane, élève directrice d’hôpital
Havas Pauline, élève directrice d’hôpital
Gratien Marion, élève directrice d’hôpital
Bassignani Gautier, élève directeur d'hôpital
Florestan Perret, élève directeur d'hôpital
Olivia Fraigneau, présidente de l'ISNI pour 2022-2023

 
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