Entre "menaces financières" et "nouvelles contraintes", le prochain budget de la Sécu sera "la goutte d'eau" pour les médecins
Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 a été adopté ce lundi 2 décembre par la procédure du 49.3, le Dr Frédéric Paing, généraliste installé à Saint-Lô (Manche), s'inquiète des "conséquences potentiellement désastreuses" des mesures qu'il contient pour l'accès aux soins.
"La commission mixte paritaire parlementaire concernant le PFLSS 2025 s’est réunie. Voilà des extraits de son texte conclusif qui sera soumis au vote lundi 2 décembre.
L’article 15 introduit la possibilité pour la Cnam de "procéder à des baisses de tarif" unilatéralement pour atteindre un objectif d'économies chiffrées (imagerie et transports sont concernés).
Plusieurs articles précisent de nouvelles conditions de rémunérations conventionnelles pour la médecine générale :
- l’article 15 bis A met en place l'engagement territorial
- l’article 16 bis B introduit l’usage d'un "moyen d'identification électronique immatériel" du patient
- l’article 16 bis E institue une modulation de la rémunération, à la hausse ou (plus certainement) à la baisse, en fonction de la consultation et du renseignement du DMP (Dossier médical partagé, d’utilisation très peu souple et très peu fluide… doux euphémisme…)
- l’article 16 conditionne le remboursement de certaines prescriptions au remplissage d’un formulaire requérant la nécessité de consultation du DMP et/ou l’obligation de certifier que la prescription respecte l’AMM et les recommandations de la HAS (pourtant souvent contestables et contestées par les sociétés savantes)
Entre autres réjouissances, différents sous-articles proposent une réforme des centres de soins non programmés, qui seront soumis à la régulation, ou encore une réforme de la Cnam avec fusion administrative du service médical (ce qui conduit de facto à de gravissimes entraves au respect du secret médical)
L’on peut légitimement s’inquiéter de conséquences potentiellement désastreuses de telles décisions sur le système de santé et l’accès aux soins. Entre mesures inapplicables et menaces (notamment financières) pour les médecins, il est vraisemblable que cela incite un certain nombre de confrères à jeter l’éponge (départs en retraite anticipés, reconversion, augmentation des burn-out).
La possibilité de baisse unilatérale des tarifs va potentiellement plonger dans l’insécurité financière certains établissements d’imagerie ou de transports sanitaires, qui seraient sujets à des décisions impromptues, irréfléchies et iniques d’énarques soumis aux seules logiques financières et d’obéissance aveugle au pouvoir en place. Il n’est pas exclu à terme que cela provoque des fermetures d’établissements, aggravant ainsi l’accès aux soins.
L’engagement territorial s’imposant aux médecins a pour but de rejeter la responsabilité de la pénurie de médecins (traitants) sur les médecins eux-mêmes. L’idée est que les médecins seront solidairement responsables de la prise en charge de l’absolue totalité de la population : et, en cas de manquement à cette obligation (bien évidemment impossible à remplir compte-tenu de la pénurie organisée depuis 30-40 ans par les pouvoirs politiques), la loi permettra d’appliquer des sanctions financières à l’ensemble des médecins du territoire. Outre le caractère vexatoire de la mesure, il permet aux politiques de désigner à la vindicte populaire le médecin : celui-ci serait ainsi coupable de ne pas vouloir soigner toute la population… le mépris et le cynisme de nos élus sont sans limites.
"La pénurie est telle que chaque départ de médecin est une petite catastrophe"
La dématérialisation de la carte Vitale est une idée qui se conçoit mais provoquera une nouvelle augmentation de charges pour les praticiens qui devront s’équiper de lecteurs adaptés tout en conservant le précédent système le temps (infini?) que chaque assuré accède à ce "moyen d’identification électronique immatériel". La rémunération des praticiens serait soumise à la consultation et au remplissage du DMP : outre que cet outil est très mal conçu et d’utilisation non fluide, son utilisation est une perte de temps considérable du fait de la lenteur du système et de l’ergonomie déplorable de l’interface. En fait, cela augmente la part de travail administratif pour le médecin au détriment du temps médical : c’est l’exact contraire de ce que réclament à cor et à cri depuis des années les praticiens. Une fois encore, les têtes (im)pensantes satisfont leur appétit de formatage et de contrôle là où leur seul objectif devrait être la (bonne) santé des Français … on a hélas compris depuis longtemps que c’était le cadet de leurs soucis…
En résumé, ces mesures sont irréfléchies, très probablement sans aucune plus-value pour le patient, mais sont au contraire autant de nouvelles contraintes pour les praticiens qui seront, sans aucun doute pour certains, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La pénurie est telle que chaque départ de médecin est une petite catastrophe. Tous ceux qui voteront ce texte en l’état auront une très lourde responsabilité sur l’aggravation de l’accès aux soins de leurs électeurs, dont certains ne se relèveront pas."
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