
"La violence dans le soin est le symptôme d'un mal profond"
Pour François Randazzo, président du syndicat de kinésithérapeutes Alizé, "l'agressivité devient un réflexe pour répondre aux attentes qui ne sont pas satisfaites immédiatement".

"Soigner est avant tout un acte profondément humain, fondé sur la confiance, l'écoute, l'empathie et le respect absolu de la dignité de l'autre. Au cœur de ce processus thérapeutique, on retrouve la notion de colloque singulier entre le thérapeute et le patient. Ce temps d’échange privilégié implique de réunir un certain nombre de conditions pour pouvoir atteindre ses objectifs. Un soignant ne saurait délivrer un soin de qualité en étant contraint, psychologiquement ou physiquement, ou en n’étant pas respecté par son patient. De la même façon, seul un climat de confiance permettra au patient d’exprimer librement les informations essentielles à l’établissement d’un diagnostic fiable.
La violence dans le soin, un fléau aux facettes multiples
Pourtant, l’incivilité et la violence s’invitent de plus en plus souvent au sein des cabinets de ville, dans les services d’urgence ou dans les divers établissements de santé, publics ou privés.
C’est un phénomène unanimement condamné, sans qu’aucune solution réellement adaptée n’ait encore émergé. Cette difficulté tient certainement à la diversité des formes que prend ce fléau et à la multiplicité de ses facteurs déclenchants.
La violence à l’encontre des soignants peut être verbale, lorsqu’il s’agit d’insultes, de menaces ou de propos humiliants. Elle peut aussi prendre la forme d’agressions physiques, plus ou moins graves, allant de simples bousculades à des coups portés sciemment.
À ces formes de violences communément identifiées s’ajoutent les violences institutionnelles, plus insidieuses mais tout aussi dévastatrices : manque de moyens, surcharge de travail, environnement sous tension et conditions financières en constante dégradation, autant de facteurs qui impactent directement la santé mentale des soignants, déjà particulièrement éprouvée par des métiers exigeants sur le plan humain.
Avec l’essor des réseaux sociaux, la violence numérique contre les soignants connaît une recrudescence inquiétante
Enfin, avec l’essor des réseaux sociaux, la violence numérique contre les soignants connaît une recrudescence inquiétante : cyberharcèlement, messages haineux, diffusion de données personnelles et notes infondées sur des plateformes où les professionnels de santé peuvent être notés comme peuvent l'être de simples établissements touristiques.
Quel que soit le canal par lequel elle se manifeste, la violence, lorsqu’elle ne pousse pas littéralement le soignant à abandonner son métier, altère sa capacité à être pleinement attentif, à prodiguer un soin de qualité et à exercer sereinement sa mission.
La violence dans le soin, symptôme d’un mal plus profond
L’intrusion croissante de la violence dans la sphère du soin ne peut être réduite à une suite d’incidents isolés ; elle est le symptôme criant d’un malaise profond et omniprésent dans notre société. Cette banalisation de l’agressivité dans l’espace public, favorisée par la multiplication des canaux d’expression instantanée, alimente ce climat de tension.
L'individualisme grandissant et l'exigence de satisfaction immédiate rendent certains incapables de gérer leur frustration. Dès lors, l'agressivité devient un réflexe pour répondre aux attentes qui ne sont pas satisfaites immédiatement. Parallèlement, l’accès facilité à l’information a transformé la relation soignant-soigné : le professionnel de santé, autrefois perçu comme une figure d’autorité respectée, est désormais souvent remis en question, voire confronté à une défiance croissante.
Agir vite pour protéger ceux qui soignent et préserver l’accès aux soins
Face à ce constat, il devient urgent de trouver des solutions pour briser cette spirale infernale et redonner aux soignants un cadre d'exercice serein, capable d’enrayer la perte d’attractivité de ces métiers déjà en tension. Cette situation est d’autant plus préoccupante que, confrontés à une perte de sens, de nombreux professionnels se détournent du soin, alors même que le vieillissement de la population fait exploser les besoins de soins de nos concitoyens.
Il ne peut y avoir de réponse unique ou immédiate face à un phénomène aussi complexe que la violence dans la sphère du soin. Il est nécessaire de mener des actions sur plusieurs fronts avec une approche à la fois préventive et curative.
Le Plan national pour la sécurité des professionnels de santé, lancé en septembre 2023, tente d’apporter une première réponse à ce fléau avec 30 mesures articulées autour de trois axes : sensibiliser le public et former les professionnels, prévenir les violences et sécuriser l’exercice des soignants, tout en améliorant le signalement des agressions et l’accompagnement des victimes. Ce plan s’accompagne d’un projet de loi visant à renforcer la protection des soignants en aggravant les peines en cas de violences ou de vols en milieu de santé, en créant un délit d’outrage envers les professionnels de santé, en facilitant le dépôt de plainte et en imposant un bilan annuel des actes de violence dans les établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés.
Déposé en janvier 2024, ce projet de loi a fait les frais du chaos politique qui s’est emparé de notre pays depuis l’été 2024 et semble s’être perdu dans les méandres du pouvoir législatif. Il est urgent que le Sénat le remette à l’ordre du jour, car il est impensable de retarder encore la protection des soignants contre la violence physique et verbale.
La violence institutionnelle, une dimension ignorée mais pourtant bien réelle
Pour autant, si des avancées législatives sont indispensables et attendues, elles ne suffiront pas, à elles seules, à garantir aux soignants un cadre d’exercice apaisé. Toute politique visant à préserver leur intégrité resterait incomplète si elle faisait l’impasse sur la violence institutionnelle, qui, bien que distincte de la violence ordinaire, et pas toujours intentionnelle, exerce des effets délétères sur la santé physique et mentale des professionnels de santé au quotidien.
Comment espérer que les patients respectent ceux qui ne sont même pas respectés par les institutions censées les défendre ? La dévalorisation des soignants ne se limite pas à l’érosion de leurs rémunérations, elle s’incarne aussi dans la méfiance systématique qui leur est opposée, notamment à travers la politique de contrôle des professionnels de santé par l’Assurance Maladie qui les traite trop souvent comme des présumés coupables plutôt que comme des acteurs de santé investis et compétents.
Il est urgent de réformer en profondeur cette politique de contrôle pour qu’elle respecte enfin la présomption d’innocence des soignants.
La politique de contrôle statistique, qui se focalise sur des quotas d’actes et de prescriptions à surveiller, doit être abandonnée au profit d’une approche qualitative plus juste et contextualisée, prenant en compte le travail réel des soignants et les réalités du terrain.
De même, la charte de contrôle de l’Assurance Maladie, censée encadrer ces pratiques et garantir le respect des droits des professionnels, doit être étendue aux contrôles administratifs, qui échappent encore aux règles de bon sens établies pour les contrôles médicaux.
Enfin, il est nécessaire de mettre un terme à l’inflation législative qui, année après année, durcit les sanctions et alourdit la pression administrative sur les professionnels de santé, au lieu de leur offrir les conditions d’exercice sereines dont ils ont besoin pour mener à bien leur mission.
Sans ces réformes, le climat de défiance instauré par ces politiques continuera de fragiliser les soignants et d’alimenter leur découragement. Il accélérera encore la désertification médicale et la crise des vocations, mettant ainsi en péril l’accès aux soins pour l’ensemble de la population.
Réformer, protéger et reconnaître : c’est le seul moyen d’assurer un avenir à notre système de santé et à celles et ceux qui le portent."
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