“Ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Si les directions hospitalières ne décomptent pas le temps de travail de gré, ils le feront de force, sous astreinte judiciaire et par référé”, prévient Gaetan Casanova, président de l’Isni, le ton grave mais déterminé. Cette épée de Damoclès, c’est une mise en demeure officielle envoyée au cœur de l’été aux 400 établissements hospitaliers de France qui reçoivent des internes en stage. “C’est une action d’ampleur”, appuie Théophile Denise, Premier vice-président de l’Isnar-IMG, qui vise à réellement mettre en application la loi de 2015. Au début de l’année, les deux organisations syndicales ont répondu à un appel de la Ligue pour la santé des étudiants et internes en médecine (Lipseim) leur proposant une grande action commune à propos du temps de travail. Avec la Fédération nationale des syndicats d'internes en pharmacie et biologie médicale, les syndicats ont rédigé un courrier imposant aux établissements de se conformer à la réglementation sous trois mois. “On demande à ce que soit fait systématiquement un tableau de service, qu’il y ait un décompte en heure du temps de travail, explique l’interne en médecine générale. On demande cela, car le Conseil d’Etat a confirmé qu’il n’est pas nécessaire que ce soit écrit ‘textuellement’ qu’il faut décompter le temps de travail pour que ce soit fait”.
Peu de directions connaissent la loi Saisi par l’Isni, Jeunes Médecins et Action Hôpital, le Conseil d’Etat a en effet décidé de rappeler les hôpitaux à l’ordre en leur imposant d’effectuer un décompte “fiable et objectif" du temps de travail de leurs internes mais également de leurs médecins grâce aux tableaux de service prévisionnels et récapitulatifs. C’est l’un des leviers des syndicats. “Ce que nous souhaitons, c’est d’abord faire un rappel à la réglementation, puis obliger les hôpitaux à respecter la loi. Suite à la réception de notre courrier, une trentaine d’établissements m’ont appelé pour me demander des précisions. On sait aussi qu’il y a eu beaucoup de réactions en interne… Étonnamment aussi, beaucoup de direction des affaires médicales maîtrisent peu le droit à ce sujet. Ils ne sont pas toujours au courant de ce que sont les repos compensateurs ou les repos pré-garde, par exemple, analyse Théophile Denise. Que dit la loi précisément ? Si le sujet fait régulièrement la une de l’actualité, difficile d’y voir clair… Le syndicaliste explique qu’il faut commencer par faire un tableau de service prévisionnel trimestriel deux fois par semestre. “Quand les nouveaux internes vont arriver en semestre d’hiver, avant le mois de novembre ou dans les premiers jours, on doit faire un tableau de service prévisionnel dans lequel on note les jours en stage et les horaires, les gardes, les repos de garde, les congés divers et variés à partir du moment où ils sont prévisibles, les cours à la faculté et les journées de formation en autonomie”, détaille-t-il. Quand le tableau est rempli, il ne reste plus qu’à compter et faire la moyenne des heures que tout cela représente : si l’interne dépasse les 48 heures hebdomadaires en moyenne sur trois mois, il doit alors bénéficier de repos compensateur, équivalent à des RTT. Détail important : à la fin de chaque mois, le tableau de service doit être arrêté car il peut y avoir eu des modifications par rapport à ce qui avait été anticipé. “Dans un monde idéal, à la fin du trimestre, le tableau des trois mois serait parfaitement conforme à la législation… Vous voyez, ce n’est pas très compliqué !", sourit Théophile Denise. Des poursuites devant le tribunal administratif Beaucoup d’établissements tardent pourtant à s’y conformer… Les internes ont donc laissé trois mois à chacun pour mettre en place le décompte, sous peine de poursuites devant la justice. “La mise en demeure, c’est un compte à rebours. Le décompte horaire peut se faire facilement, un tableau excel suffit”, ironise le président de l’Isni. “Certains hôpitaux nous ont répondu que c’était compliqué, mais c’est faux. Compliqué, non, pénible peut-être ! Mais c’est la loi et ça n’est pas nouveau. Les directions médicales ont fait la technique de l’autruche depuis 2015 et ont voulu se dédouaner de leur responsabilité…. Car en réalité, elles préfèrent ne pas savoir combien de temps les internes travaillent.” A l’issue de cette période probatoire, les internes passeront à l’action et attaqueront chaque établissement hors-la-loi devant le tribunal administratif. “Ils paieront des amendes à la journée, ça peut leur coûter cher jusqu’à ce qu’ils s’y soumettent. Mais ils ont eu suffisamment de temps”, affirme Gaetan Casanova. “La vérité, c’est que beaucoup d’établissements ne savent même pas combien de temps leurs internes travaillent par semaine. Pourquoi Olivier Véran, quand il était encore ministre de la Santé, a-t-il lancé une enquête pour le chiffrer à votre avis ?” En plus du Conseil d’Etat, les internes ont reçu une aide inattendue de la part du ministère de la Santé… qui a publié, au Journal officiel le 4 août dernier, un arrêté relatif aux modalités d'élaboration et de transmission des tableaux de service dédiés au temps de travail des internes, en actualisation du texte déjà existant datant de 2015. “Il a le mérite de remettre les choses au clair, souligne Théophile Denise, et apporte tout de même deux avancées.” La première : le texte indique clairement que le tableau définitif doit être présenté à l’interne avant le 10 de chaque mois, alors qu’aucune obligation de ce type n’existait jusqu’à ce jour. La seconde : il est indiqué que la responsabilité de réaliser le tableau de service incombe à la commission des affaires médicales. “C’est important car jusque-là, ils se renvoyaient la balle avec les chefs de service. Les uns disaient que ce n’était pas à eux de le faire, les autres qu’on ne pouvait pas leur imposer. Dans ce texte, il est bien précisé que c’est la direction qui le fait, selon les informations transmises par le chef de service. Il n’y a plus de question à se poser, ce sont bien les commissions médicales qui seront attaquées par notre action si des CH ou CHU ne respectent pas la réglementation en novembre.”
70% des internes dépassent le plafond légal de 48h/semaine Dans leur combat, l’Isnar-IMG et l’Isni pointent également du doigt une idée-reçue néfaste pour la santé mentale des étudiants en médecine qui consiste à considérer qu’il faut travailler plus en stage pour devenir un bon médecin. “Dire qu’il faut travailler 60 heures par semaine pour apprendre son métier, c’est faux. Par conséquent, le repos de sécurité paraît absurde”, regrette Théophile Denise. “Vous n’êtes pas sans savoir que le non-respect du temps de travail des internes à l’hôpital est l’un des principaux facteurs de risques psycho-sociaux (troubles anxieux, troubles dépressifs, idées suicidaires). Le risque de suicide est 3 fois plus important chez un interne que chez un Français du même âge. En 2021 en France, 70% des internes dépassent le plafond légal de 48h/semaine avec une moyenne de 58h/semaine et 10% d’entre eux dépassent même les 79h/semaine. Comment imaginer qu’un interne en burn out puisse prodiguer des soins de qualité ? De plus, ce phénomène favorise l'absentéisme, majore la perte de sens de nos professions et empêche une projection dans le système hospitalier de demain”, font notamment valoir les internes dans leur lettre à l’intention des directeurs de CH et CHU. Les principaux concernés, les internes en stage, ont favorablement accueilli cette action forte de la part de leurs syndicats. “Mais il ne faut pas nier le fait qu’ils peuvent avoir peur de conséquences de la part de directions des affaires médicales”, reconnaît le jeune généraliste. “Bien souvent, l’une des premières réactions de ces commissions, quand il y a un souci de temps de travail, c’est de convoquer les étudiants. C’est intimidant. On a toujours peur ensuite de mal s'entendre avec les supérieurs, les chefs de service éventuellement.” L’Isnar-IMG et l’Isni sont néanmoins déterminées à suivre au plus près la situation sur le terrain, dans chaque hôpital et de faire appliquer la loi de 2015.
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