Maladies émergentes : "sensibiliser les médecins" pour éviter de nouvelles épidémies

03/01/2024 Par Romain Loury
Infectiologie
Dengue, Chikungunya, Zika, fièvre hémorragique de Crimée-Congo… les maladies émergentes s’installent peu à peu dans le paysage sanitaire français. Face au risque épidémique qui, en premier lieu pour la dengue, semble inéluctable en France métropolitaine, la sensibilisation des généralistes au diagnostic sera cruciale.
 

En 2022, le bilan annuel de la dengue s’élevait à 65 cas autochtones en France métropolitaine. En une seule année, cette maladie vectorielle, originaire des pays tropicaux, avait frappé plus de personnes que depuis 2010, année des deux premiers cas hexagonaux détectés à Nice (Alpes-Maritimes). Pour 2023, le chiffre livré par Santé publique France est moins élevé, de ‘seulement’ 43 cas autochtones, mais avec un record de 1 979 cas importés chez des personnes l’ayant contractée lors d’un séjour en zone endémique. À l’origine de cette hausse explosive, la propagation fulgurante du moustique tigre (Aedes albopictus) sur le sol métropolitain. Détecté en 2004 à Menton (Alpes-Maritimes), ce diptère asiatique est désormais implanté dans 71 départements de métropole, dont quatre nouveaux en 2023. En septembre, un foyer de trois cas s’est déclaré à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), une première en Île-de-France. Il semble désormais acquis que le moustique tigre aura bientôt colonisé tout le territoire métropolitain. Selon le Dr Eric d’Ortenzio, responsable du département stratégie et partenariats de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales – Maladies infectieuses émergentes (ANRS-MIE), "la dengue est une menace grandissante. Et il est certain que les petits clusters actuels donneront bientôt lieu à des épidémies plus conséquentes".   Influence de la mondialisation et changement climatique Si la dengue progresse en France, c’est aussi en raison de sa forte dynamique internationale. Chaque personne infectée lors d’un voyage constitue le déclencheur potentiel d’un foyer autochtone, si elle se fait piquer par un moustique tigre, qui ira à son tour contaminer le voisinage. "Il y actuellement un nombre élevé d’épidémies de dengue à travers le monde, c’est l’arbovirose la plus répandue", explique Johanna Fite, chargée de mission vecteur et lutte antivectorielle au sein de l’unité de santé animale à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Depuis mi-août, une intense épidémie de dengue sévit en Guadeloupe et en Martinique, à l’origine de deux tiers des cas importés en France métropolitaine. En plus de celles qui font rage en Amérique latine, en Asie du Sud-Est, au Bangladesh et en Inde. Selon l’OMS, la dengue a touché 5,2 millions de personnes en 2019, contre 502 000 cas rapportés en 2019. À la différence du Chikungunya et du Zika, qui se manifestent sous forme de flambées épidémiques s’éteignant rapidement, la dengue agit de manière plus continue dans les pays endémiques. Raison pour laquelle elle touche bien plus de cas, autochtones et importés, que les deux autres arboviroses. Si la propagation du moustique tigre est le fait du transport de personnes et de marchandises, le changement climatique pourrait aussi accroître le risque de dengue à l’avenir. "Plus il fait chaud, plus le cycle de vie du moustique, mais aussi celui de réplication virale, sont rapides", explique Johanna Fite. À ce jour, la saison de surveillance renforcée de la dengue, du Chikungunya et du Zika s’étend du 1er mars au 30 novembre. "Nos hivers sont encore suffisamment froids pour interrompre le cycle de transmission virale. Mais si les températures continuent à s’adoucir, elles pourraient devenir propices à des cycles continus de transmission", explique l’experte de l’Anses. Chargées de la lutte antivectorielle depuis janvier 2020, les ARS s’apprêtent d’ores et déjà à des flambées, avec la préparation de plans Orsec spécifiques à la lutte antivectorielle. L’Anses travaille quant à elle sur la probabilité, l’ampleur et l’impact socio-économique des futures épidémies de dengue, une évaluation dont les résultats sont attendus pour l’été 2024. Ils devraient alimenter un futur plan pandémie du ministère de la santé, dans lequel les arboviroses devraient tenir une place importante.   Vers de nouvelles recommandations vaccinales Face à la dengue, la prévention repose principalement sur la lutte antivectorielle et les mesures individuelles de protection. Quant à la vaccination, elle est actuellement non recommandée en France, selon des avis publiés en 2018 et 2019 par la Haute Autorité de santé (HAS) relatifs à l’outre-mer. Seule exception, les personnes vivant dans les départements français d’Amérique (Antilles, Guyane), munies d’une preuve documentée d’infection antérieure par le virus, peuvent en bénéficier. À l’origine de cette restriction, le fait que le vaccin Dengvaxia favoriserait le risque de forme grave chez les personnes primo-infectées. La donne pourrait bientôt changer, suite à l’autorisation fin 2022 dans l’Union européenne d’un deuxième vaccin, le Qdenga. À la différence de son concurrent, il est indiqué quel que soit le statut sérologique -y compris en l’absence d’une infection antérieure. Face à l’élargissement de la population cible, la HAS prévoit de publier en juin 2024 de nouvelles recommandations de vaccination contre la dengue, qui auront trait à l’outre-mer, mais aussi aux régions métropolitaines à risque. Outre la dengue, d’autres maladies vectorielles inquiètent les autorités sanitaires. Parmi elles, le Chikungunya, le Zika, le virus Usutu, mais aussi la fièvre du Nil occidental. Véhiculé par le moustique tigre, ainsi que par le moustique commun Culex pipiens, le virus West Nile était jusqu’alors restreint au pourtour méditerranéen, particulièrement à la Camargue où il est apparu dans les années 1960. Cet été, il a effectué une première incursion en Nouvelle-Aquitaine, avec 33 cas recensés entre fin juillet et fin septembre. "Le virus West Nile fait de plus en plus de cas en Europe, notamment en Italie, en Roumanie. Cet épisode [néo- aquitain] nous a alertés, il faut se préparer à ce virus", estime Eric d’Ortenzio.   Fièvre de Crimée-Congo : le virus récemment détecté Tout aussi préoccupante, la récente détection dans les Pyrénées-Orientales du virus CCHF, agent de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, chez des tiques de l’espèce Hyalomma marginatum, annoncée fin octobre par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Originaires d’Afrique subsaharienne, d’où ils sont arrivés à dos d’oiseau migrateur, ces acariens, qui affectionnent le milieu chaud et sec des garrigues, sont en cours d’implantation sur le pourtour méditerranéen. À ce jour, aucun cas de cette fièvre, dont le taux de létalité oscille entre 5% et 30% selon les études, n’a été recensé en France, alors que l’Espagne compte déjà 12 cas (dont quatre mortels) depuis le premier survenu en 2013. Selon Eric d’Ortenzio, "il n’est pas impossible que, dans les mois ou les années à venir, de premiers cas isolés surviennent en France". Suite à la détection du virus, l’Anses, qui a publié début juin un avis sur Hyalomma marginatum et ses risques sanitaires, en prépare un nouveau, dont la publication est prévue pour fin janvier. Il s’agit notamment d’émettre des recommandations de gestion de l’exposition aux fluides corporels animaux contaminés, par exemple chez le personnel des abattoirs. Selon Eric d’Ortenzio, "C’est l’exemple type d’une maladie One Health [concept reposant sur les liens entre santé humaine, animale et environnementale, ndlr], qui transite par les tiques, et peut toucher le bétail et les éleveurs. Il faut mener des actions de sensibilisation et de prévention, en plus de l’évaluation du risque". Des discussions sont en cours en vue d’une possible étude de séroprévalence, afin de déterminer si des personnes résidant dans les zones concernées ont été en contact avec le virus.   L’enjeu du diagnostic Quid de la préparation du monde médical face à ces menaces ? Selon Johanna Fite, "on a longtemps parlé de maladies tropicales négligées ; or nous allons les observer de plus en plus fréquemment. Cela va poser un vrai enjeu de diagnostic : il va falloir sensibiliser les médecins au fait qu’on puisse aussi contracter une arbovirose sur notre territoire, et pas seulement à l’occasion d’un voyage". Une sensibilisation qui devra peut-être passer par la formation continue, peut-être par les ARS, au-delà de leur rôle d’information en réaction à un premier cas. Face à la dengue, "le médecin généraliste sera en première ligne", estime Eric d’Ortenzio. "La dengue ne présente pas une symptomatologie très spécifique. De la fièvre, des courbatures, des maux de tête… cela ressemble à une virose grippale. L’une des difficultés sera de penser à faire le diagnostic, alors que la maladie n’est pas encore installée. Pour cela, il faudra mener des actions de sensibilisation à la maladie, mais aussi d’information sur les épidémies en cours dans le monde, pour que les médecins y pensent, même en France métropolitaine. Si on laisse les cas se développer, on arrive trop tard pour éteindre l’incendie".


Un traité international sur les pandémies attendu au printemps
Lors de la 77e Assemblée mondiale de la santé, qui se tiendra fin mai 2024 à son siège genevois, l’OMS devrait adopter le premier traité international sur les pandémies, en cours d’élaboration par ses 194 pays membres. Cet accord vise à "améliorer la prévention, la préparation et la riposte face aux futures pandémies au niveau mondial", notamment en termes de partage de données (surveillance, génétique, échantillons, etc.) et d’égalité d’accès aux vaccins, aux traitements et aux diagnostics, explique l’organisme onusien. Objectif : éviter les obstacles qui ont jonché la crise Covid-19. "Il a manqué d’actions coordonnées entre les pays, même au niveau européen", estime Eric d’Ortenzio. À ce sujet, l’ANRS-MIE est en charge d’un projet, dénommé BE Ready, qui vise à jeter les bases d’un futur partenariat européen pour la préparation aux pandémies.
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Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 1 an
C'est quoi ce nouveau délire: "Face à la dengue, "le médecin généraliste sera en première ligne". La dengue est une maladie bénigne qui se complique gravement de façon très rare. Les antiviraux tels
Photo de profil de Alain Joseph
1,5 k points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 1 an
Le médecin généraliste est en première ligne pour soigner, pas pour vacciner. La vaccination dans son ensemble est un échec complet. A part la variole, toutes les maladies contre lesquelles on vaccine
Photo de profil de Yves Adenis-Lamarre
3,2 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 an
Encore un transfert de responsabilité ! Et des missions supplémentaires pour les médecins traitants qui seront déclarés coupables en cas de nouvelles épidémies ; parlons franc : du dév
 
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