Congrès de l'Asco 2023 : retour sur les points marquants de cette édition

05/07/2023 Par Caroline Guignot
Cancérologie Asco 2023

La grand-messe de la cancérologie, qui s’est tenue à Chicago du 2 au 6 juin dernier, confirme que le séquençage tumoral devient de plus en plus indispensable à la décision thérapeutique. Cette édition prouve aussi que les pathologies dans lesquelles les progrès sont plus rares ne sont pas oubliées.   Depuis quelques années, la place de l’immunothérapie antitumorale grandit. L’édition 2023 du congrès de l’American Society of Clinical Oncology (Asco) l’a confirmé : initialement étudiée en tant que traitement adjuvant à la chirurgie, l’immunothérapie est depuis quelques années évaluée avec succès en situation préopératoire dans plusieurs pathologies, comme le mélanome ou le cancer du rectum. "Il existe probablement une efficacité spécifique de l’immunothérapie lorsque la tumeur est encore en place, sans doute permet-elle de mieux éduquer la réponse de notre système immunitaire", a considéré le Pr Jean-Yes Blay, président d’Unicancer, le réseau des centres de lutte contre le cancer, au cours d’un point presse organisé par cette fédération. De nouvelles preuves ont d’ailleurs été apportées cette année avec le pembrolizumab (Keytruda, MSD) : des patients atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) de stade II et III résécables ont été randomisés entre l’Ac anti-PD1 et le placebo, tous deux administrés en association avec la chimiothérapie en période pré- puis post-opératoire (Keynote 671). Un bénéfice très net a été observé avec une survie sans événement (progression, récidive, décès) à 24 mois de 62,4% dans le bras immunothérapie, contre 40,6% sous placebo. Par ailleurs, l’analyse post hoc de deux études pionnières dans le domaine du mélanome ont été présentées cette année, qui laisse penser que l’immunothérapie favorise la désescalade thérapeutique. Alors que PRADO et OpACIN-Néo avaient montré le bénéfice néoadjuvant de l’association nivolumab (anti-PD1, Opdivo, BMS)- ipilimumab (anti-CTL4, Yervoy, BMS) avant résection des mélanomes de stade III et curage ganglionnaire complet, les données communiquées aujourd’hui montrent que ceux qui ont eu une réponse pathologique majeure suite au traitement néoadjuvant ont une survie sans récidive et une survie sans métastases à distance à 3 ans qui est comparable, qu’ils aient ou non pratiqué un curage ganglionnaire. L’émergence des anticorps conjugués, et celle des anticorps bispécifiques qui favorisent l’activité des lymphocytes contre des tumeurs dites froides répondant habituellement mal aux immunothérapies, suggèrent un "progrès révolutionnaire d’ici 2 à 3 ans", prédit le professeur.   Du ciblage tumoral aux approches agnostiques Un autre progrès est à porter au bénéfice du CBNPC résécable : l’osimertinib (Tagrisso, AztraZeneca) est le premier inhibiteur oral de l’EGFR à démontrer une amélioration de la survie globale dans les CBNPC de stade IB à IIIA selon l’étude Adaura. Dans celle-ci, l'osimertinib a été testé versus placebo, seul ou en association à la chimiothérapie, traitement adjuvant de référence grevé toutefois d’un risque de récidive élevé. Trois ans après avoir démontré une réduction importante du risque de récidive, l’osimertinib a confirmé cette année son efficacité versus placebo pour réduire le rapport de risque de survie sans maladie, de plus de 70% (hazard ratio 0,27), et d’autre part, sa capacité à réduire le rapport de risque de décès à 5 ans, de 51% (HR 0,49), et ce quel que soit le stade de la maladie, l’existence de métastases cérébrales, fréquentes et péjoratives pour le pronostic, ou qu’il ait ou non été associé à une chimiothérapie adjuvante. "Cela souligne l'importance du dépistage et de la détection de la mutation de l'EGFR le plus tôt possible", a insisté le Dr Roy Herbst (Yale Cancer Center, Etats-Unis) qui a présenté ces résultats en séance plénière : cette mutation concerne environ 50% des patients d’origine asiatique et 10 à 15% de la population caucasienne.

  Chirurgie des cancers de la femme : mieux et moins Une fois n’est pas coutume, c’est le cancer de l’ovaire de haut grade qui a occupé le devant de la scène cette année : après avoir montré une efficacité intéressante dans le traitement d’entretien des formes avancées en rechute, une triple association de thérapies ciblées -anti-PDL1, anti-VEGF, anti-PARP- a été étudiée en traitement d’entretien de première ligne. Dans des tumeurs sans mutation BRCA1/2, l’étude de phase III DUO-O a ainsi montré la supériorité du protocole combinant cette trithérapie - durvalumab (anti-PDL1, Imfinzi, AstraZeneca), bevacizumab et olaparib (anti-PARP, Lynparza, AstraZeneca) - en entretien après une chimiothérapie+bévacizumab+durvalumab par rapport au traitement de référence (chimiothérapie+bévacizumab, puis traitement d'entretien par bévacizumab) ou à un traitement intermédiaire (chimiothérapie+bévacizumab+durvalumab, puis traitement d'entretien par bévacizumab+durvalumab) : la survie sans progression (SSP) était améliorée de 37 % (HR 0,63), et même plus dans certains sous-groupes de mauvais pronostic. Les données de survie globale (SG) sont maintenant attendues avec impatience. Et dans les formes résistantes aux sels de platine, pour lesquelles les progrès ont été moins nombreux ces dernières années, le mirvetuximab soravtansine, a également fait sensation. En association à la chimiothérapie, cet anticorps conjugué ciblant le récepteur du folate alpha (Fra) offre une SSP et une SG à 13 mois supérieure à la chimiothérapie seule, que les femmes aient ou non reçu du bévacizumab auparavant (soit entre 34 et 36 % et entre 26 et 49 % respectivement). L’amélioration des protocoles chirurgicaux n’est pas en reste : déjà décrite comme améliorant la SG à 4 ans des femmes opérées en première ligne de traitement, la chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale (Chip) confirme son bénéfice à 10 ans, avec une SG médiane de 44,9 mois contre 33,3 mois après chirurgie seule (HR 0,70, étude OVHIPEC-1). Cette même approche est aussi "extrêmement encourageante" chez les femmes au stade de récidive, "qui représentent 80 % des cas", a précisé le Pr Jean Marc Classe (ICO, Nantes), premier auteur de l’étude française Chipor présentée en session orale : chez ces dernières, la Chip offre une SG médiane de 54,3 mois, contre 45,8 mois après un suivi de 6 ans (HR 0,69). La tendance a une chirurgie moins radicale se développe aussi dans le cancer du col de l'utérus, afin de réduire la morbidité. L’étude Shape le confirme dans les tumeurs à faible risque : le taux de récidive pelvienne à 3 ans après une hystérectomie simple est...

le même qu’après une hystérectomie radicale (utérus, col utérus, partie supérieure du vagin), tout en étant grevé d’un taux moindre de complications chirurgicales et assorti d’une meilleure qualité de vie. Enfin, les nouveautés concernant du cancer du sein sont à chercher du côté des tumeurs HER- RH+, les plus courantes. Après résection des stades II à III, seule une minorité d’entre elles sont éligibles à une thérapie ciblée et, 30 à 50% d’entre elles récidiveront malgré l’hormonothérapie adjuvante. L'étude Natalee, présentée cette année, a montré que le ribociclib (Kisqali, Novartis), un anti-CDK4/6 déjà enregistré dans le cancer du sein avancé ou métastatique, pouvait apporter un bénéfice à ce stade plus précoce : les données intermédiaires de l’étude, menée chez des femmes ménopausées ou non (et des hommes), montre un taux de récidive sous hormonothérapie (HT) associée au ribociclib réduit de 25% par rapport à l’HT seule, quel que soit le stade de la maladie, le statut ménopausique et l’atteinte ganglionnaire.   Rectum : un protocole de résection moins lourds et mieux supporté Dans le cancer du rectum, la désescalade thérapeutique est une réalité : la radiochimiothérapie (RTCT) néoadjuvante qui est proposée pour les stades localement avancés impose toutefois des rayons, pourvoyeurs d’effets indésirables parfois lourds. L’étude Prospect menée dans des tumeurs localement avancées et de pronostic relativement favorable (principalement tumeurs du haut rectum et atteinte ganglionnaire limitée), a comparé la RTCT à une chimiothérapie néoadjuvante seule, à la suite de laquelle la RT n’était administrée qu’aux seuls patients dont la tumeur avait peu régressé. Et les résultats sont là : le pronostic (taux de résection chirurgicale et taux de réponse complète, SSP, SG) étaient équivalents dans les deux groupes, le second apportant une meilleure qualité de vie et un moindre taux de complications. Dans les tumeurs plus avancées de moins bon pronostic (T3 ou, T4, principalement bas rectum, avec envahissement ganglionnaire), peu bénéficiaires de progrès thérapeutiques récents, les progrès existent néanmoins, comme le montre l’étude française  Prodige 23 : "elle visait à évaluer si scinder les six mois traditionnels de CT adjuvante par Folfox en deux pourrait améliorer le pronostic et détruire plus facilement les micrométastases", a expliqué le Pr Thierry Conroy (Institut de Cancérologie de Lorraine). En remplaçant le Folfox adjuvant du protocole traditionnel par le protocole expérimental - 3 mois de Folfirinox avant, puis 3 mois de Folfox adjuvant -, les chercheurs ont obtenu un contrôle plus rapide des symptômes, une meilleure réussite opératoire, puis une meilleure qualité de vie et SG à 7 ans.   Gliome : fin de deux décennies de stagnation Les gliomes de grade 2 sont des tumeurs cérébrales malignes qui touchent des sujets plutôt jeunes et dont le pronostic à long terme est mauvais. Aujourd’hui, après la chirurgie, la décision d’un traitement de radiothérapie ou de chimiothérapie, toxiques, n’est prise qu’au regard des risques d’évolution. Mais la présence de mutations de l'isocitrate déshydrogénase (IDH) 1 et 2 a été mise en évidence dans respectivement 80% et 4% de ces tumeurs. Le vorasidenib (Servier), un médicament expérimental oral ciblant les mutations IDH1/2, a atteint les essais de phase III : cette année, Indigo le comparait au placebo à distance de la chirurgie, chez des sujets ne relevant pas d’un traitement rapide par RT ou CT. Conclusion : le vorasidenib réduit le risque de progression de la tumeur ou le risque de décès de 61% et retarde le recours à un prochain traitement (délai médian non encore été atteint, contre 17,4 mois sous placebo). Son profil de sécurité est globalement acceptable. De quoi suggérer que "le vorasidénib pourrait constituer un changement de paradigme dans cette maladie", selon le Dr Rimas Vincas Lukas (Memorial Sloan Kettering Cancer Center, Etats-Unis).   Les approches agnostiques élargissent les perspectives À mesure que les caractéristiques moléculaires ou génétiques tumorales sont connues, les études cliniques dites ‘basket’ se multiplient : elles visent non plus à évaluer un médicament dans un groupe de patients atteints par la même localisation cancéreuse, mais dans un groupe ayant uniquement en commun une altération ou un profil moléculaire spécifique. Le premier médicament à avoir obtenu une AMM pour cette approche dite ‘agnostique’ a été le larotrectinib en 2020 (Vitrakvi, Bayer) dans les tumeurs -rares- présentant une fusion du gène NRTK. Cette année, l’étude Destiny-Pan Tumor02 menée chez des patients ayant reçu en moyenne deux lignes de traitement antérieures pour différents cancers surexprimant HER2 (col utérus, endomètre, ovaire, voies biliaires, pancréas, vessie…) a montré que le trastuzumab deruxtecan (Enhertu, Daiichi Sankyo), un anticorps conjugué déjà indiqué dans certains cancers du sein et de l’estomac, offre une réponse intéressante pour toutes les localisations, avec une efficacité particulière dans les cancers gynécologiques. L’étude de phase II Ragnar a décrit sur le même principe l’efficacité de l’erdafitinib, un médicament oral anti-FGFR, déjà enregistré pour le traitement des cancers urothéliaux : il a été décrit ici comme ayant une activité sur 16 types de cancers solides au stade avancé et lourdement prétraités, comme le cancer du pancréas et le cholangiocarcinome. De tels programmes révolutionnent l’approche des développements cliniques et laissent présager un élargissement des perspectives dans des situations d’impasse thérapeutiques. Ils confirment un peu plus que "le séquençage tumoral devient progressivement un pilier incontournable dans l’exploration de la maladie préalable à la décision thérapeutique", a souligné Jean-Yves Blay.

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