"Aggraver un désert loin de chez elles ne les perturbe pas" : une généraliste dénonce les tentatives de recrutement des collectivités

15/09/2023 Par Dre Isabelle Gaday

La Dre Isabelle Gasay, généraliste à Montagnac (Hérault), est écoeurée. Comme de nombreux confrères, elle a reçu une lettre de débauchage pour intégrer un centre de santé en Saône-et-Loire. Une offre alléchante, certes, mais intolérable dans un contexte de pénurie de médecins. Elle dénonce cette méthode déloyale dans une tribune envoyée à Egora.

  "Comme de nombreux confrères généralistes dans l'Hérault, j'ai reçu un magnifique dépliant publicitaire vantant les avantages d'une installation dans un centre départemental de santé créé en 2018 par le département de Saône-et-Loire et promu par son président M. André Accary. Celui-ci présente cette réalisation comme le remède à l'isolement des médecins, au poids des démarches administratives et à la désertification médicale. Le dépliant vante l'organisation du travail, avec une ''souplesse d'activité'', un exercice ''flexible'', un statut salarié (rémunération basée sur la grille hospitalière), la possibilité d'accueillir des étudiants en médecine, la pluridisciplinarité. Mais aussi l'attractivité du territoire, pour l'emploi des conjoints, la garde des enfants, les activités de loisir et l'accès à la nature. Une présentation qui fait rêver, donc, digne d'une publicité du Club Med ou des promoteurs qui vous vendent de beaux appartements sur plan... Mais qui soulève quelques interrogations et non des moindres. Ce dépliant en couleurs, de bonne facture, de 8 pages (!), avec son courrier d'introduction, a été adressé à des médecins généralistes libéraux de l'Hérault (et certainement d'autres départements) INSTALLÉS, les mêmes qui tentent de tenir les lignes de la désertification médicale en progression chez nous aussi, dans un combat quotidien pour accueillir leurs patients, en équilibrant de plus en plus difficilement leur budget, véritables gestionnaires d'entreprises, travaillant de 50 à 60 heures par semaine, participant à la PDSA, aux CPTS, à la formation des futurs médecins, et j'en oublie sans doute.

Ainsi donc, en tentant de nous débaucher, il semblerait qu'aux yeux de ces ''promoteurs'', aggraver un désert médical loin de leur département ne les perturbe pas plus que ça du moment que eux raflent la mise ? Se sont-ils posés la question de savoir quel serait le devenir des patients laissés-pour-compte, de ces médecins charmés par les sirènes de cette organisation providentielle ? Quelle éthique est donc la leur ? Qu'en disent les conseils départementaux de l'Ordre du 71 et du 34, et le Conseil national de l'Ordre des médecins ? Je passe sur le coût exorbitant pour la collectivité et la pertinence d'une telle campagne postale, envoyée sans ciblage, me posant la question de la compétence du cabinet de conseils qui a pu la recommander... Nous connaissons aujourd'hui le coût de ces centres de santé, non rentables car il y faut 2 à 3 généralistes salariés pour abattre le travail d'un seul libéral. Le montant de la consultation y a été évalué à 60 euros par patient toutes charges comprises, contre 25 euros pour les libéraux, qui eux doivent en plus déduire de ce montant leurs charges de plus en plus écrasantes, mais pas de souci, les impôts prélevés sur la population y pourvoiront. Combien de temps durera la lune de miel de ces eldorados plaqués or ? Ne pourrait-on utiliser ces fonds pour renforcer les libéraux encore en place, en leur donnant les moyens de tenir le choc de l'afflux de patients, du manque d'attractivité de la profession que nous traversons ?

Sommes nous si méprisables que nous ne valions pas la peine du même investissement ?"

 

 
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