Morsures, piscine, barbecues... cette médecin raconte son activité qui "double pendant l'été" dans un centre antipoison
Si la Dre Magali Oliva-Labadie s’est retrouvée responsable du centre antipoison de Nouvelle-Aquitaine, c’est surtout une question de "hasard", reconnaît-elle d’emblée. Au moment de choisir sa spécialité lors du concours de l’internat, la Dre Magali Oliva-Labadie opte pour la médecine d’urgence. Elle exerce en région parisienne, à Pau (Béarn), à Jonzac (Charente-Maritime) et à Bordeaux (Gironde). Mais force est de constater que l’urgentiste pêche sur une compétence : la toxicologie. "Quand j’avais des patients intoxiqués aux urgences, je m’y prenais mal, je me suis rendue compte que j’étais médiocre et qu’il fallait que je m’améliore", confie la Dre Magali Oliva-Labadie. Elle retourne alors sur les bancs de la faculté et passe un diplôme universitaire (DU) de toxicologie clinique pour "améliorer [sa] pratique des médecines d’urgence". Lors de cette formation, chaque étudiant doit prendre des gardes dans un centre antipoison. Elle choisit celui de Bordeaux.
En 2000, une fois son diplôme en poche, le chef de service du centre antipoison pour qui elle travaille lui propose de continuer à prendre des gardes. Alors, en plus de son poste à temps plein de médecin urgentiste, elle prend une garde par mois, "pour contribuer à l’effort et aider parce qu’ils n’étaient pas assez nombreux", se souvient celle qui surnomme les centres antipoison : les "15 spécialisés en toxicologie". Neuf ans plus tard, en 2009, le responsable lui propose de venir exercer au centre à mi-temps. La Dre Magali Oliva-Labadie accepte : "Je faisais un mi-temps en médecine d’urgence et un mi-temps en centre antipoison." Elle fait rapidement ses preuves et se voit proposer un temps plein deux ans plus tard, qu’elle accepte également.
"Communiquer pour que les accidents n’arrivent pas"
Au centre antipoison, les missions de la Dre Magali Oliva-Labadie sont variées mais la principale consiste à faire de la réponse téléphonique à l’urgence (RTU). Lorsqu’un patient appelle, elle l’écoute, le conseille et l’oriente. "Ça peut être un enfant qui a consommé les comprimés de son grand père, une personne qui a bu un peu d’eau de javel diluée, une personne qui a mangé une omelette avec des champignons qu’il a confondus, une personne qui s’est fait mordre par un serpent, ça passe par tous les champs de compétences", explique la Dre Magali Oliva-Labadie. Cette mission va de pair avec un travail de toxicovigilance, qui consiste à "récupérer toutes les données que l’on obtient via la réponse téléphonique à l’urgence, qui nécessiteraient qu’on fasse de la prévention", indique la responsable du centre antipoison de Nouvelle-Aquitaine.
Lorsqu’elle reçoit un appel, la Dre Magali Oliva-Labadie doit rechercher un maximum de renseignements sur le produit, l’animal ou le végétal qui a causé l’intoxication. "Si un enfant a bu un produit alors qu’il y avait un bouchon sécurisé, on va s’intéresser à la qualité du bouchon sécurisé pour voir si on ne pourrait pas faire mieux", explique-t-elle. Récemment, la médecin s’est intéressée à la pénurie de médicaments, qui a engendré de nombreuses intoxications chez les patients de son territoire. "On s’est rendu compte qu’il y avait plus d’accidents parce qu’on donne aux patients un médicament différent [que celui prescrit initialement], on lui explique à moitié [les spécificités] et quand il s’agit de faire des dilutions avec le produit, le patient n’y arrive pas", s’est-elle aperçue lors de sa pratique. Son rôle est alors de "communiquer pour que les accidents n’arrivent pas".
"Les médecins oublient la partie toxicovigilance"
Pendant ces appels, ce n’est pas toujours le patient qui se trouve au bout du fil. "On peut aussi être appelés par des professionnels de santé, notamment des médecins urgentistes ou réanimateurs qui ont besoin d’une aide pour le diagnostic, la prise en charge, ou le pronostic d’une intoxication", indique-t-elle. Mais il est aussi important qu’elle soit informée de tout cas d’intoxication sur son territoire, et la Dre Magali Oliva-Labadie reconnaît que certains médecins oublient parfois de prévenir lorsqu’ils sont face à un patient victime d’une intoxication. "Il faudrait qu’ils nous passent un petit coup de fil, pas forcément pour nous demander notre avis parce que parfois ils savent prendre en charge le patient, mais pour nous informer d’un cas d’intoxication", alerte-t-elle. "Il faut absolument les encourager à signaler, c’est justement parce qu’on nous les déclare qu’on arrive à faire ensuite de la vigilance", insiste-t-elle, car trop souvent "les médecins oublient la partie toxicovigilance" des centres antipoison.
Le rôle d’un médecin dans un centre antipoison est de ce fait bien différent d’un urgentiste. Si on prend le cas d’un patient qui a bu par inadvertance de l’eau de javel diluée, "l’urgentiste dirait : ‘de l’eau de javel diluée ce n’est pas bien grave, ne vous inquiétez pas ! Vous allez avoir un peu mal à la gorge, on va vous donner un pansement pour l’estomac et puis ça va passer'. Alors qu’un médecin toxicologue va dire : ‘Quel est le nom précis de votre eau de javel ?’ On cherche une identification précise, si c’est un champignon on va demander des photos du panier pour savoir le nom exact du champignon en cause", explique la médecin. Son objectif : être toujours la plus précise possible pour obtenir des données fiables. Elle va recueillir le nom du produit, la quantité exacte ingérée, l’heure à laquelle l’incident s’est produit… Une fois ces données récupérées, elles sont introduites dans un logiciel qui permet de faire de la toxicovigilance et envoyées à l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui publie une revue trimestrielle appelée Vigil’anses en se basant sur les chiffres fournis par tous les centres antipoison de France.
Si ces deux activités - la RTU et la toxicovigilance - représentent environ les trois quarts de son activité, le reste correspond à la participation et à la publication de travaux de recherche. "On cherche dans nos données des choses nouvelles qui sont intéressantes à partager à la communauté médicale internationale", explique-t-elle. Par exemple, la médecin a participé à l’écriture d’un avis relatif à la prise en charge initiale d’un appel pour suspicion d’ingestion de pile bouton par un jeune enfant ou d’une étude sur la strychnine (un alcaloïde toxique extrait de la noix vomique, interdit depuis 2000 et notamment utilisé comme produit phytosanitaire contre les taupes et les rats). La Dre Magali Oliva-Labadie donne également des cours aux internes en médecine, aux étudiants en pharmacie, en biologie et même dans les lycées. "La toxicologie est tellement vaste qu’on peut enseigner dans plein de domaines", estime-t-elle.
Même si son activité est surtout régionale, elle s’étend aussi à l’échelle nationale. Ainsi, toutes les cinq semaines, tous les centres antipoison de France se réunissent pour échanger sur les "problématiques qui arrivent et voir si c’est seulement dans notre région ou si c'est ailleurs aussi", précise la responsable.
"On suit le patient jusqu’à ce qu'il soit complètement guéri"
Si la plupart des personnes savent que les centres antipoison reçoivent les appels des patients, peu savent qu’ils peuvent aussi effectuer des consultations. "Soit c'est nous qui jugeons pendant l’appel qu’on ne peut pas conseiller le patient et qu’il faudrait qu’on le voit, soit ce sont des patients eux-mêmes qui demandent à venir, soit c’est un médecin généraliste qui nous dit ‘j’aimerais bien que vous voyez mon patient en consultation’", énumère-t-elle. Même si elle demande régulièrement des photos aux patients, dans certains cas, cela ne suffit pas. Cela concerne par exemple...
des morsures qu’il faut bien visualiser. "S’il faut rechercher un ganglion axillaire, la photo ne va pas le montrer", admet-elle. Autre exemple : les patients atteints de maladies toxiques chroniques comme l’intoxication au plomb, notamment à cause des accidents de chasse, qui est invisible à l’oeil nu.
Pour certains patients, se rendre dans un centre antipoison peut s’avérer très difficile. En effet, au total, seuls 8 centres sont présents dans toute la France, à Bordeaux, à Paris, à Lyon, à Lille, à Marseille, à Toulouse, à Angers et à Nancy. "Quelqu’un qui habite à Bayonne, ça lui fait loin de venir jusqu’à Bordeaux", remarque la Dre Magali Oliva-Labadie. C’est pour cela que dans les situations qui le nécessitent, elle rappelle qu’il faut absolument se rendre aux urgences. Si besoin, "les urgentistes nous appellent et nous, on travaille avec eux. Par exemple, ils nous disent ‘à l’examen clinique j’ai ça…, la tension est à tant…, le pouls est à tant…’ et nous on donne les conseils médicaux au médecin", explique la responsable du centre antipoison de Nouvelle Aquitaine. Elle réalise ce qu’elle appelle "une téléconsultation". Les centres antipoison font partie des services hospitaliers rattachés aux CHU, mais ils n’ont pas de locaux de consultations classiques. C’est pourquoi dans la plupart du temps, quand le cas le nécessite, elle oriente les patients soit vers un médecin généraliste soit vers un service d’urgence, et s’ils ne nécessitent pas de soin particulier, elle conseille au patient de rester chez lui.
Lorsqu’un soignant d’un centre antipoison redirige son patient vers un médecin, il doit automatiquement appeler le praticien en amont du rendez-vous pour prévenir de la venue de son patient et discuter de son cas. "On le fait systématiquement pour tout patient adressé à l’hôpital", assure la responsable du centre antipoison de Nouvelle-Aquitaine. Ensuite, il y a un second appel après que le patient a vu le médecin, pour terminer la prise en charge. Mais le centre antipoison ne s’arrête pas là. "On suit le patient à intervalles réguliers par appel ou SMS, jusqu’à ce qu'il soit complètement guéri", explique-t-elle.
"Plus de risques d'accidents l'été"
Même si l'activité de la Dre Magali Oliva-Labadie est importante toute l’année, elle perçoit une forte augmentation pendant la saison estivale. "On a une suractivité l'été qui est même multipliée par deux" par des causes qui sont "multifactorielles", assure-t-elle. "De début juillet jusqu’au mois d’octobre, on va avoir des champignons, de fin avril jusqu’en septembre ou octobre, on a les serpents", témoigne la médecin. Et, il y a aussi les accidents liés à l’usage comme "les produits de piscine, de barbecue, les désherbants, tout ça on n’a pas l’hiver", reconnaît-elle. La responsable avance aussi une autre cause de cette augmentation des cas : les enfants. "Quand ils ne sont pas à l’école ils sont à la maison et quand ils sont à la maison, ils font des bêtises, donc on a plus d’accidents", observe-t-elle. La médecin pense notamment "aux petites boules rouges qu’ils ramassent dans les buissons et qu’ils mangent" ou "aux accidents avec les produits d’entretien". Elle constate aussi que l’été "les enfants sont couchés plus tard et statistiquement il y a plus de risques d’accidents".
Il faut aussi noter que la région Nouvelle-Aquitaine est touristique et par conséquent, aux beaux jours, la fréquentation augmente dans la région. "Forcément il y a plus de risques d’accidents", explique-t-elle. Pour autant, de nombreuses intoxications sont aussi recensées pendant l’hiver. "On va plus avoir des accidents avec des produits pour cheminées, ou avec le monoxyde de carbone qui s’échappe des chauffages d’appoint généralement", avance-t-elle.
"On s’adapte tout le temps"
Avec le changement climatique, certaines espèces évoluent, et la Dre Magali Oliva-Labadie doit constamment revoir ses connaissances et rester en alerte sur les nouvelles espèces. "On s’adapte tout le temps, par exemple depuis deux ans, une nouvelle algue toxique se développe dans l’océan Atlantique. Auparavant, elle n’existait que dans la mer Méditerranée, pas dans l’Atlantique", reconnaît la responsable. Elle s’est aussi aperçue d’une espèce de "vipères neurotoxiques" qui n’était pas "présente il y a quelques années". Mais la Dre Magali Oliva-Labadie rappelle qu’il y a aussi ce que l’Homme fabrique. "Il y a une dizaine d’années, on a vu arriver les intoxications liées aux dosettes de lessive. Avant, ça n’existait pas. Quand ça a été mis sur le marché, on a eu beaucoup d’accidents."
"Il faut qu'on se forme sur tout"
Une des particularités des centres antipoison, c’est de travailler avec des professionnels de santé qui ont pour la plupart des spécialités différentes. "En médecine, on n'apprend pas les plantes, les champignons… Donc quand on arrive au centre antipoison, il faut qu’on se forme sur tout”, reconnaît-elle. Si elle a choisi la spécialité "médecine d’urgence", elle ne pense pas pour autant que cela lui ait facilité la tâche dans sa réorientation professionnelle vers la toxicologie. "Je vais avoir un peu de facilité pour la prise en charge urgente. Mais par contre, les intoxications chroniques aux plombs par exemple, au début c’était compliqué pour moi. Il a fallu que je réétudie, que je me forme", poursuit-elle. "Le champ de la toxicologie est tellement vaste que je ne pense pas qu’il y ait une spécialité qui soit plus favorisée qu’une autre", indique l’ancienne urgentiste.
Au sein du centre antipoison de Nouvelle-Aquitaine, la Dre Magali Oliva-Labadie est entourée de 4 médecins et 3 pharmaciens. Chacun a une spécialité différente des autres. "C’est ce qui fait qu’on a une polycompétence et on se complète assez bien. C’est un avantage de travailler avec plein de spécialités différentes", explique-t-elle. Même si elle reconnaît que la création d’une spécialité "toxicologie" dès l’internat permettrait de faciliter l’insertion et la formation de nouveaux médecins.
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