“On est les seuls témoins de ce qui se passe aux urgences et ce qui s’y passe est terriblement malsain. On est plus que maltraitant malgré nous”, témoigne anonymement auprès de Libération un soignant du service des urgences du CHU de Grenoble (Isère), quelques jours après le décès d’un nonagénaire. Ce patient, admis pour une infection pulmonaire le 12 avril, a été retrouvé sans vie sur un brancard, après trois jours d’hospitalisation. “Lors de son admission, son pronostic vital n’était pas engagé. Il était âgé mais autonome chez lui. Comme on n’est pas assez nombreux pour s’occuper de tous les patients qui stagnent aux urgences, on avait relevé les barrières de son lit porte par mesure de sécurité. Il a fait toutes les complications dues à l’alitement prolongé”, indique un médecin. Pour l’équipe soignante, c’est le décès “de trop”. “Cet homme est mort seul dans une salle sans fenêtre et sans pouvoir revoir sa famille, s’étrangle une collègue. Depuis le Covid, l’encombrement est tel qu’on n’accepte plus les proches. En apprenant le décès, la famille nous a traités d’'hôpital de salauds'", lâche un membre de l’équipe, désabusé. Comme ce patient, deux autres personnes sont mortes pendant leur passage aux urgences. Début décembre, lorsqu'une patiente de psychiatrie avait été retrouvée morte dans les toilettes, le corps médical avait même initié une grève pour dénoncer leurs conditions de travail et surtout, le grave manque d’effectif.
Aux urgences du CHU de Grenoble, les médecins ne travaillent plus que sur réquisition, confie l’un d’eux. Ils sont 29 à tourner, alors qu'il en faudrait 52. Lors de la mise en place de la Loi Rist et du plafonnement de l’intérim médical au début du mois, tous ont décidé de se mobiliser en commençant par signaler tous les événements indésirables du service (décès, passages de plus de 24h, etc)... mais rien n’y fait : la direction reste “sourde aux alertes”. L’équipe a donc décidé de mettre en place une action choc afin de “rendre l’invisible, visible”. Le 11 avril dernier, 9 patients stables qui attendaient ont été transférés dans le couloir central du service (avec leur accord et celui de leurs proches), transformé pour l’occasion, en “zone d’attente d’hospitalisation”. “On a transformé le hall en Zadh”, glisse une urgentiste. “La direction nous a traités de ‘terroristes’. “Mais c’était le seul moyen de la contraindre à chercher des solutions d’hospitalisation pour des patients que nous n’avons pas les moyens de prendre en charge sur la durée.” Suite à cette action, la direction a décidé de rappeler aux médecins que “si leur responsabilité ne pourra être engagée pour des difficultés à l’organisation des prises en charge au sein du service, il en va de même en cas de transferts de patients dans une ‘zone publique hors soin’”. Libération précise que cette dernière se dit en “confiance dans les actions engagées collectivement depuis plusieurs mois”. Mais, plutôt que d’ouvrir de nouveaux lits et d’engager de nouveaux médecins, elle a décidé de déprogrammer des patients des étages. “On en a assez de devoir assumer seuls vis-à-vis des familles alors qu’on n’a pas les moyens de prévenir les drames”, a réagi un médecin. En attendant de trouver une sortie de crise, tous les médecins de l’équipe se sont ajouté des demi-gardes jusqu’à 23 heures. “Entre mai et septembre, il nous manque 5 000 heures de présence médicale pour boucler les plannings ! Si on veut éviter la catastrophe cet été, soit on obtient du renfort des spécialistes des étages, soit il nous faudra des intérimaires.” Ils envisagent de se mettre en arrêt à partir du 24 avril prochain si rien ne venait à changer. [avec Libération]
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