"À quand une France où il fait bon être médecin ?" : le coup de gueule d’un généraliste de l’UFML

12/01/2022 Par Louise Claereboudt

Alors que l’année vient de commencer, l’épuisement des généralistes, mobilisés depuis deux ans dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19, se fait de plus en plus sentir. Nombre d’entre eux se disent incompris voire totalement oubliés par les autorités. Une situation qui ne peut plus durer estime le Dr Jean Tafazzoli, élu UFML, qui réclame au Gouvernement des réponses claires face au déficit des vocations et au désespoir de toute la profession. C’est la prochaine émission de Cash Investigation qui a mis le feu aux poudres avant même sa diffusion sur France 2, ce jeudi 13 janvier. Dans ce nouveau reportage, intitulé "Liberté, santé, inégalités" et déjà disponible sur le site de francetélévisions, la journaliste Elise Lucet s’attaque à un sujet épineux, au cœur des inquiétudes des Français : les déserts médicaux. Dès le début de cette enquête, Cash Investigation pointe une raison à l’existence de ces zones sous-dotées : la liberté d’installation des médecins, tant protégée par les syndicats médicaux depuis des années, auxquels, selon le magazine, les autorités n’osent pas se confronter.

Dès la publication du teaser de l’émission sur Twitter, la communauté médicale s’est offusquée des ces affirmations, dénonçant le mépris pour les médecins libéraux, engagés depuis près de deux ans dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Pour le Dr Jean Tafazzoli, généraliste à La Tour-de-Salvagny, près de Lyon, et élu à l’UFML-Syndicat, c’est la goutte de trop. Dans une lettre ouverte diffusée lundi soir, le praticien revient en long et en large sur ce qui a provoqué la désillusion des généralistes français. "Désillusion. C'est le mot qui me vient à l'esprit en lisant chaque jour les doléances des confrères qui déplaquent et quittent le métier de médecin, en regardant le reportage de Mme Lucet qui nous méprise, en lisant les menaces de mort et les insultes que mes confrères et moi-même recevons quotidiennement pour avoir osé prendre position pour la médecine, contre l’obscurantisme", écrit-il en préambule de cette lettre, listant les raisons qui ont mené au déficit des vocations et au désespoir de la profession qui, rappelle-t-il, ressent une réelle souffrance ("1 interne se suicide tous les 18 jours. 1 médecin tous les 8 jours").   "Corvéables à merci" Face à "l’hémorragie" des effectifs ("80.000 médecins traitants en 2012. Nous sommes 57000 aujourd'hui"), le praticien constate, amer, que les généralistes sont "sans importance aux yeux du Gouvernement, corvéables à merci, payés 25 euros pour 20 minutes après 6 ans d'études et encore 3 ans d’exercice au service de l'Etat dans les hôpitaux, dans les déserts médicaux, qu e l'on appelle l'internat. Nous, médecins, qu’on a sélectionnés pendant des années avec des numerus clausus ne laissant place qu’à la perfection d’un étudiant scientifique sur 10 et qu’on accuse maintenant de ne pas être assez nombreux !" Malgré leur engagement sans limite dans la lutte contre le virus, le Dr Tafazzoli déplore que ce mépris ait perduré...

"En mars avril 2020, lorsque l’Etat a recommandé aux patients d’éviter les cabinets et se rendre directement en pharmacie, en nous promettant une aide, la DIPA, que nous avons dû rembourser depuis. Oui, nous, médecins, si on nous aide, parce qu'on nous a demandé de fermer, on nous demande ensuite de rembourser !" fustige-t-il.   "On nous oblige à mendier nos doses chaque semaine" Si l’Etat a pris conscience de l’aide que pouvait fournir les médecins libéraux, notamment dans le cadre de la campagne vaccinale, ces derniers se sont sentis toujours plus démunis au fil des mois : "Nous, médecins traitants, dernier maillon de la chaîne, que l'on informe via des emails de DGS Urgent qui nous ordonnent d'agir de telle ou telle manière, sans même plus prendre la peine de nous consulter via nos instances ou nos syndicats, ni de se justifier par la moindre bibliographie scientifique. Nous, médecins, à qui l'on demande d'utiliser des outils informatiques mal pensés, beugués, souvent indisponibles, comme le SIDEP qui ne s’affiche pas pour les généralistes libéraux depuis des semaines, ou qui nous excluent carrément, comme le site de commandes de vaccins, qui nous oblige à mendier nos doses chaque semaine."

"Parce que nos vies sont si peu importantes […] nous ne sommes même pas prioritaires aux tests PCR", dénonce-t-il, alors que, face à la résurgence épidémique, le Gouvernement a établi une priorisation des tests de dépistage. Regrettant les "incohérences et les tergiversations" du Gouvernement, le Dr Tafazzoli note que le médecin généraliste, lui, est toujours mobilisé pour vacciner – malgré des injections rémunérées "moins de dix euros" – mais aussi informer les patients, convaincre les réfractaires… Mais malgré cela, certains, "épuisés", se sont tout de même retrouvés réquisitionnés en fin d’année "pour suppléer nos collègues urgentistes, eux-mêmes épuisés et en fuite pour des raisons quasi similaires". Aujourd’hui, alerte le syndicaliste, "ce n'est plus seulement une question de formation ou de recrutement, c'est maintenant une question de déficit de vocation, de désespoir, et notre fuite vers d'autres métiers". Il réclame que des réponses "claires" soient apportées par l’Etat : "A quand l’Etat cessera-t-il d’être observateur de l’effondrement du système de soins et décentraliserait les décisions de Santé Publique aux URPS et non à des énarques ou des fonctionnaires ? A quand arrêtera-t-on d’accuser les médecins de ne pas aller là où aucune autre profession ne veut se rendre ? A quand les tarifs de consultations, bloqués depuis des années au plus bas niveau d’Europe, seront à nouveau libres et pourront s’aligner d’eux-mêmes sur la moyenne européenne ?" s’interroge-t-il. "A quand une France où il fait bon être médecin, s’engager pour la santé des citoyens, se passionner pour son prochain, se sentir à l’aise dans son travail en contrepartie du sacrifice d’une vie dédiée à l’intérêt général, comme dans tous les pays du monde ?"

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