Quand l'ouverture d'un vaccinodrome signe la mort des centres ambulatoires : à Dijon, les libéraux "débarqués" du jour au lendemain
"Incohérent", "coûteux", "énergivore", "déstructurant", "irrespectueux". Médecin généraliste à Dijon, le Dr Anne-Laure Bonis ne peut se résoudre à accepter la fermeture imminente de trois des quatre centres de vaccination de la métropole (Devosges, stade Gaston-Gérard, Chenôve). Une décision préfectorale que les équipes soignantes ont apprise le 12 avril dernier... par le biais d'un courrier aux élus des communes concernées. "Nous n'avons été ni concertés, ni prévenus par la préfecture", déplore la présidente de la CPTS centre 21, qui coordonne depuis janvier les trois centres ambulatoires et participe à la gestion du quatrième centre de l'agglomération, conjointement avec le CHU de Dijon. L'un ne peut vivre tant que l'autre survit Petit retour en arrière. Fin mars, dans une volontée affichée d'accélérer fortement le rythme de la vaccination contre le Covid, le Gouvernement opère un changement de stratégie et annonce l'ouverture de vaccinodromes partout sur le territoire, ainsi qu'une montée en charge des centres existants. "On a été prévenus le 1er avril qu'un vaccinodrome allait ouvrir au Zénith pour réunir les deux sites de la commune de Dijon, en appui de nos centres, en prévision de l'augmentation des doses. On était déjà un peu interloqués par cette décision...", se souvient la généraliste.
Mais les promesses de livraisons de vaccins pour le mois de mai ne seront finalement pas tenues, Pfizer - notamment - accusant un retard de deux millions de doses. Dès lors, "comment ouvrir un Zénith avec 200 doses par jour ? Ça fait très très vide, pour une très très grosse dépense", souligne la généraliste, par ailleurs déléguée régionale du syndicat MG France. Pour l'"affichage", il fallait donc "aller chercher les doses dans les tiroirs", analyse-t-elle : en l'occurrence, dans ceux des centres de vaccination de l'agglomération. Ces derniers vont devoir fermer leurs portes ce mardi 27 avril au soir, le vaccinodrome "XXL" du Zénith prenant le relais dès demain matin, 9 heures. Une rationalisation nécessaire, d'après la préfecture, qui souligne dans un communiqué du 23 avril que l'ouverture du vaccinodrome va permettre...
d'"assurer la montée en charge de la vaccination et atteindre l’objectif gouvernemental de vacciner 30 millions de personnes avant la fin juin, soit environ 240.000 dans le département" de la Côte-d'or. "Déni, manque de respect" Mais pour les quelque "200 à 300" médecins et infirmières vacataires qui se relaient dans les centres ambulatoires depuis quatre mois pour vacciner la population dijonnaise, c'est la douche froide. "On a été débarqués, on fait l'objet d'un déni, d'un manque de respect total", charge Anne-Laure Bonis. Sans oublier l'investissement des équipes municipales, qui œuvrent aux côtés des soignants depuis le début. "On a appris à se connaître, c'est une synergie qui a pris car nous étions à une bonne échelle", relève la présidente de la jeune CPTS, qui gère ces centres sans aucun financement, n'ayant pas encore signé l'accord cadre interprofessionnel tripartite avec la Cnam et l'ARS. "On n'avait pas les moyens d'avoir un coordinateur de centre donc c'était en plus de notre activité professionnelle... Je présente toutes mes excuses aux patients qui ont eu droit à quelques remplaçants et quelques absences de ma part", lance Anne-Laure Bonis.
Malgré ces faibles moyens, en quatre mois, les centres de l'agglomération ont "largement contribué à la vaccination de près de 110.000 habitants de la Côte-d'Or", en prenant en charge 14.000 patients, reconnaît la préfecture dans son communiqué. "Ça peut paraître peu car maintenant, c'est ce qu'on fait en une semaine à l'échelle d'un territoire. Mais c'était avec les doses qu'on avait", rappelle la présidente de la CPTS. Entre les retards de livraison, les changements de vaccins, les "opérations coups de poing" et les ajustements au jour le jour du nombre de vacataires, "on pourrait écrire un livre avec tous les plâtres qu'on a essuyés", soupire-t-elle. "Maintenant on est dans un système plus que rodé, on était prêt à augmenter davantage nos capacités. On peut monter jusqu'à 5.000 doses par semaine sur Saint-Apollinaire, Devosges et quasiment autant sur Chenôve. Donc on pouvait largement absorber les doses prévues pour le mois de mai", insiste-t-elle. Mais le "centre de vaccination grande capacité", lui, a besoin de 1.000 doses par jour pour alimenter ses 18 box et tenir son objectif de 30.000 vaccinations en mai. Si elle n'a rien contre le principe de l'hypercentre, la praticienne juge qu'il aurait été plus "logique" de différer son ouverture de quelques semaines, le temps de disposer d'un nombre suffisant de doses pour que chaque acteur puisse...
vacciner en parallèle. D'autant que la mise en route de cette grosse machine en un temps record n'a rien de simple. "Il faut tout recommencer à zéro", déplore Anne-Laure Bonis, qui a décidé malgré tout de continuer à "vacciner là où sont les doses", bien qu'elle eut préféré vacciner "au fil de l'eau au cabinet". Et MG France de rappeler que 50.000 généralistes pourraient vacciner à eux seuls 2.5 millions de patients chaque semaine, à un coût bien moindre que ces "vaccinodromes spectaculaires"... Certains professionnels de santé vacataires des centres ont toutefois décidé d'arrêter là "l'aventure" et de pas "monter au Zénith", confie Anne-Laure Bonis. 880 euros par jour pour un médecin, 440 pour une infirmière... 96 pour un sapeur-pompier La CPTS centre 21 reste toutefois mobilisée dans la campagne vaccinale dijonnaise, en se chargeant des consultations, des vaccinations et des plannings médicaux et paramédicaux du Zénith, aux côtés de l'armée, qui vient "en appui logistique", et des pompiers... Sauf que ces derniers n'ont pas l'air emballés d'être ainsi enrôlés dans une campagne sanitaire. Dans un communiqué diffusé le 21 avril, le syndicat majoritaire dans le département appelle les soldats du feu à refuser de participer à la campagne vaccinale, arguant de leur manque de formation en la matière. "La vaccination est un acte médical qui engage la responsabilité de celui qui le pratique. Dès lors, comment expliquer que tous les sapeurs-pompiers, professionnels et volontaires, déjà sursollicités, puissent pratiquer ce geste médical et ce après seulement deux heures de formation?" interpelle le syndicat FA SPP-PATS*. Comment le Gouvernement peut-il attendre de nous, techniciens des missions de secours d'urgence, que nous participions à la stratégie vaccinale, nous détournant ainsi de nos missions premières, alors que pour l'heure, ce sont encore les doses qui manquent et non les bras." Pour le syndicat, la réponse se trouve dans les grilles de rémunération des différents acteurs de la vaccination : 880 euros par jour pour un médecin, 440 pour une infirmière... et 96 euros pour un sapeur-pompier. Comme une réponse à ces inquiétudes, le communiqué de la préfecture précise que ce sont bien les médecins et infirmières du SDIS qui se chargeront des consultations et des injections, tandis que les autres sapeurs-pompiers seront amenés à assurer la "surveillance vaccinale". "C'est de l'affichage politique" Ailleurs en France, les vaccinodromes risquent-ils de phagocyter les centres ambulatoires ? C'est la crainte de la Fédération nationale des CPTS qui, dans un communiqué du 22 avril, dénonce la décision "autoritaire" du préfet de Côte-d'or, prise "sans concertation" avec les professionnels de santé et "sans lien avec l'ARS". Pour la fédération, le préfet "met en danger la continuité de la vaccination" dans l'agglomération dijonnaise en éloignant...
"considérablement les lieux de vaccination de la population" et en prenant le risque de démotiver les professionnels qui vaccinent depuis quatre mois alors que le vaccinodrome "ne peut fonctionner sans leur participation massive". "Le risque est réel d'une mise en pause de la vaccination", alerte la FCPTS, présidée par le Dr Claude Leicher. Pour le généraliste, la situation à Dijon est "caricaturale" et révélatrice de la "compétition" entre préfecture et ARS et de "l'ascendant" pris dans certains territoires par le ministère de l'Intérieur. "Le ministère de l'Intérieur est le bienvenu dans la bataille, mais ce n'est pas à eux de gérer le sanitaire", tranche-t-il. En Mayenne, la guerre a eu lieu. Et ce sont les soignants qui l'ont remportée, obtenant l'abandon d'un projet de vaccinodrome. "On s'est battus pour maintenir nos huit centres de vaccination", relate le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF et coordoniteur départemental des huit centres de vaccination ambulatoires de Mayenne. Les libéraux ont dû pour cela faire évoluer leurs organisations afin de "multiplier par 2, 3 voire 4 le nombre de vaccins administrés tous les jours" dans ces structures. Ils se sont également engagés à tenir la cadence au cours de la période estivale. D'après le syndicaliste, "l'immense majorité" des centres ambulatoires du territoire sont en capacité de faire de même. "Très clairement, on ne va pas manquer de bras. Ces vaccinodromes, très souvent, ne correspondent pas à des besoins, c'est de l'affichage politique", juge le syndicaliste, qui se désespère de voir la stratégie vaccinale se muer en "stratégie de communication où on a l'impression qu'on va vacciner toute la profession française en une semaine" grâce aux vaccinodromes, tandis que les libéraux en sont réduit à faire "le boulot difficile" avec les vaccins AstraZeneca et Janssen. "C'est injuste et méprisant pour ces professionnels qui s'investissent", assène-t-il. A Dijon, tout n'est pas perdu puisque l'un des quatre centres de l'agglomération (Saint-Apollinaire) va pouvoir continuer à fonctionner... "à la demande de François Rebsamen", le maire de la ville, précise la préfecture.
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