"Soigner mieux et plus, tout en préservant la qualité de vie du médecin" : le défi de la CSMF
Egora.fr : Quelle est la vision du médecin généraliste que vous défendez ? Dr Luc Duquesnel : Pour moi, le médecin généraliste, ou plutôt le médecin traitant, dans le système de santé actuel, c'est le chef d'orchestre du parcours de santé. Du fait du vieillissement de la population et de l'augmentation des pathologies chroniques, on voit que notre métier a totalement changé. Il y a trente ans, nous traitions avant tout les pathologies aiguës. Aujourd'hui, on parle de parcours, d'exercice coordonné avec les médecins de deuxième recours, avec les autres professionnels, avec tout le secteur médico-social pour la problématique du maintien à domicile. Il est essentiel qu'il y ait un chef d'orchestre, mais ça ne veut pas dire que c'est lui qui fait tout ! En matière de rémunération, vous défendez quatre niveaux de consultation. Pourquoi ? Il est hors de question de rester sur la nomenclature actuelle, que l'on complexifie à chaque négociation conventionnelle et que le médecin n'arrive pas à s'approprier. Une étude a montré qu'un généraliste qui utiliserait la nomenclature à 100%, sans changer son activité, aurait une rémunération 20 à 30% supérieure. Dans ces conditions, c'est facile pour l'Assurance maladie de nous faire miroiter des rémunérations supplémentaires, à haute plus-value, à chaque négociation : c'est de l'enfumage! Nous voulons quatre niveaux de consultation. La consultation de base, le G1, doit être à 30 euros ; c'est ce que doit valoir notre consultation, y compris vis-à-vis de la population. Le G2, à 60 euros, englobe les consultations complexes : pathologies chroniques, visites à domicile... Quitte à le "caper" pour commencer, avec 4 cotations par an pour les patients en ALD par exemple. Le niveau G3, à 90 ans, correspond aux consultations très complexes : patients atteints de maladie neuro-dégénératives, en soins palliatifs et autres prises en charge rares, mais très lourdes. Le niveau G4, à 120 euros, ce sont des consultations de prévention que l'on réaliserait à certains âges de la vie. Ça existe déjà au travers du partenariat mis en place par la CSMF avec la complémentaire Klésia pour les salariés de la branche du transport. Ce sont des consultations très longues, de 45 minutes à 1 heure, qui nécessitent une formation préalable, avec un cahier des charges important. Nous posons la question à chaque syndicat : quelle est votre position sur les rémunérations forfaitaires ? Nous y sommes favorables, mais elles ne doivent pas dépasser 15% de la rémunération globale. Même si dans certains cas, cela peut être majoré en fonction des besoins. Actuellement, nous sommes à 13-14%, cela dépend si l'on inclut ou non les forfaits de la permanence des soins. Pour les soins non programmés, nous demandons d'ailleurs le même cadre que pour la PDSa...
forfait d'astreinte, acte majoré de 15 euros et minimum 100 euros par heure pour le médecin régulateur. Quelles sont les autres mesures phares de votre programme ? Au total, nous avons dix points forts, dont certains sont incontournables, comme la rémunération, et d'autres sont novateurs. Nous défendons notamment les contours du métier. Le médecin généraliste, en tant que chef d'orchestre du parcours de santé, doit bien sûr travailler en étroite coordination avec les autres professionnels de santé du 1er et du 2ème, voire du 3ème, recours. Mais chacun doit intervenir dans son champ de compétences. Nous sommes opposés à la création d'un statut de sage-femme référente, à qui serait confié le rôle d'orientation des femmes dans le parcours de soin. Pour nous, cela créé une confusion majeure, au détriment des patientes. Orienter une patiente vers un cardiologue ou un diabétologue, c'est le rôle du médecin traitant. De même, la prescription d'un traitement curatif doit relever du médecin, le seul professionnel qui en a les compétences et peut en assumer les conséquences. Il n'y a pas de traitement anodin. Il faut connaître l'état de santé du patient, ses antécédents, ses éventuelles pathologies associées, ses contre-indications… Même une pathologie qui peut sembler bénigne comme la cystite ou l'angine peut donner lieu à des complications. On ne peut pas faire l'impasse sur l'avis médical. Autre point essentiel du programme, qui est peut-être le point majeur de notre projet politique : le cabinet 2030. C'est la vision d'avenir de ce que doit être l'exercice de notre profession. Qu'est-ce que le cabinet 2030, concrètement ? C'est le cabinet qui doit nous permettre demain de soigner mieux et plus, tout en préservant notre qualité de vie. Soigner plus ne veut pas dire travailler plus, mais cela passe par un investissement important dans l'innovation technique et organisationnelle du cabinet. On doit valoriser le temps d'expertise du médecin, en rémunérant la télé-surveillance des patients chroniques (par exemple les insuffisants cardiaques). On doit aussi pouvoir mieux gérer les relations avec l'hôpital, l'organisation interne du cabinet, la gestion des ressources humaines avec l'emploi d'une secrétaire et/ou d'une assistante médicale… L'idée est vraiment de créer un creuset favorable à l'avènement d'une médecine libérale innovante. Si on ne le fait pas, d'autres le feront : on voit déjà des cliniques privées mais aussi des complémentaires mettre en place ces organisations-là. Cela doit aussi permettre à nos cabinets de prendre une valeur conséquente : à défaut de vendre leur patientèle, les généralistes partant en retraite pourront vendre ce cabinet intelligent. Cela nécessite une aide forfaitaire à l'innovation pour ceux qui franchiront le pas. Autre point important du programme : la coordination entre généralistes et autres médecins spécialistes. C'est l'ADN de la CSMF, syndicat polycatégoriel. Nous travaillons tous ensemble : il n'y a pas de condescendance des uns vis-à-vis des autres. Avec Franck Devulder, président des Spécialistes CSMF, nous planchons sur comment faciliter l'accès à l'avis du spécialiste de 2ème recours, comment prioriser cette demande, quand elle est urgente, pour éviter des hospitalisations et comment mieux valoriser la télé-expertise. On ne peut pas rester à 5 euros pour le MG et 12 euros pour le spécialiste…
La santé environnementale fait aussi partie de notre programme. Elle est absente de notre formation initiale, alors qu'elle est essentielle et que nous avons des maladies chroniques et aiguës qui se développent sur nos territoires en lien avec l'environnement. Nous devons mettre sur pied des consultations santé environnement prévention, qui doivent être proposées à toute la population, à certains âges de la vie. On a des territoires où l'on a n'a pas le droit de boire le lait des vaches ou de manger les légumes dans un périmètre donné autour d'une usine mais rien n'est mis en place au niveau de la santé environnementale ! En matière de formation continue, nous avons aujourd'hui 21 heures indemnisées : on doit revenir à 48 heures. On doit développer le e-learning, les classes virtuelles, mais aussi mieux indemniser les médecins ! On ne peut pas dire que c'est nécessaire de se former et en même temps la rendre moins incitative ! Nous nous adressons aussi aux jeunes médecins, pour qui il n'est très clairement plus possible de travailler 80 heures par semaine, notamment au travers du cabinet 2030 que j'ai évoqué. Ainsi qu'aux médecins à exercice particulier, car on voit que beaucoup des avancées obtenues lors des négociations concernent les médecins traitants. Les MEP n'ont d'autre choix économique que de se mettre en secteur 2. Angiologues, homéopathe, acupuncteur, mésothérapeute, ostéopathe, mais aussi médecins thermaux, de montagne, du sport, etc., doivent pouvoir exercer en secteur 1. Nous nous attaquons par ailleurs au cumul emploi-retraite. Avec les problèmes démographiques actuels, on doit tout mettre en œuvre pour le favoriser. Ces médecins-là sont opérationnels à J+1 après la retraite ! Le cumul doit être pour eux un espace de liberté. Enfin, au sein de la CSMF, nous avons enclenché un immense chantier. Des travaux au siège commenceront au mois de mai pour en faire un lieu de formation innovant, mais aussi d'événements avec les Rencontres de la médecine libérale. Il accueillera les élus, ainsi que le cabinet 2030, qui y sera exposé avant de tourner en province, et la maison de l'innovation de la médecine spécialisée. Depuis plusieurs années, nous avons un profond rajeunissement et une féminisation de tous nos cadres. Les listes électorales en témoignent : beaucoup sont paritaires, ou proches de l'être. Parité, rajeunissement, santé environnementale, cabinet 2030… Tout ça ouvre plein de perspectives d'avenir pour notre syndicat. Quel bilan défendez-vous ? En 2016, nous avons travaillé en collaboration avec d'autres syndicats. Nous défendons cette unité syndicale, tandis que d'autres défendent des positions plus "poujadistes" qui ne font pas forcément avancer les choses... Ce travail a fait que la convention 2016 a pu être vécue par certains comme une convention plus favorable aux médecins généralistes. Je dirais plutôt qu'elle a été moins défavorable que les autres aux médecins généralistes ! Si certains se demandent à quoi servent les syndicats, je prendrais l'exemple de la crise sanitaire : on s'est battus pour faciliter la téléconsultation, pour valoriser la visite en Ehpad, pour mettre en place la consultation de prévention Covid, pour la consultation téléphonique, on a fait valider par les tutelles des organisations comme les centres Covid, les centres de vaccination, on s'est battus pour que les généralistes puissent vacciner au cabinet… Je rappelle aussi que ce sont les URPS qui sont les interlocutrices des ARS en région pour les organisations territoriales libérales. Et pour le national, ce sont ces élections qui donnent le poids de chaque syndicat pour les négociations conventionnelles.
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