Pourquoi Véran ne repoussera pas l'injection de la 2ème dose, malgré l'avis de la HAS

26/01/2021 Par Marion Jort
Le ministre de la Santé a annoncé qu’en dépit des avis de deux autorités sanitaires estimant qu’il était possible d’espacer les deux doses de vaccin à ARN messager, le Gouvernement a décidé de maintenir quatre semaines maximums entre les injections.

Samedi 24 janvier, la Haute Autorité de santé a déclaré se positionner en faveur d’un espacement entre deux doses de vaccin à ARN messager “afin de protéger plus vite un plus grand nombre de personnes à risque d’hospitalisation ou de décès”. Cette recommandation fait également suite à celle de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), estimant, le 7 janvier dernier, que la deuxième dose pouvait être administrée “entre 21 et 42 jours”, afin d'augmenter le nombre de patients recevant la première dose dans un délai réduit. Mais ce mardi 26 janvier, le ministre de la Santé Olivier Véran a annoncé que le délai entre les deux doses du vaccin Pfizer sera maintenu à "3 ou 4 semaines". "Nous sommes face à une part d'inconnu, je fais le choix de la sécurité des données validées", s'est ainsi justifié le ministre. C’est le Pr Alain Fischer qui a été chargé de détailler plus précisément les arguments qui ont convaincu l'exécutif de trancher en ce sens.

Évoquant, en effet, les arguments de la HAS, le “Monsieur Vaccin” du Gouvernement a expliqué qu’il était possible de faire valoir “d’autres arguments qui les relativisent”. D’abord, même si la modélisation de la HAS montre qu’en cas d’espacement de la deuxième dose à 42 jours, il serait possible d’augmenter significativement le nombre de personnes vaccinées d’ici la mi-mars et donc de protéger partiellement une plus grande part de la population à risque, le scientifique s’est montré...

plus prudent dans les faits. “Il faut faire attention. Il y aura plus de sujets vaccinés mais pas forcément plus de sujets protégés”, a-t-il indiqué. D’autre part, en poursuivant dans le temps la modélisation du nombre de personnes vaccinées, “on s'aperçoit que quelques semaines plus tard, [...] fin mars, début avril, in fine, le nombre de personnes vaccinées serait le même. Parce qu’il y aurait un rattrapage secondaire des personnes pour lesquelles on a retardé à 42 jours la vaccination”, explique-t-il. Le Pr Fischer a ensuite fait valoir ses doutes sur l’efficacité de la première dose. “Nous n'avons aucune information disponible, d’aucune sorte, sur l'efficacité dans la durée d'une première dose puisque tout le monde a reçu une seconde dose dans les essais cliniques ou dans la vie réelle”, détaille-t-il en évoquant des “signaux d’alerte” qui doivent être mentionnés. “Les données qui viennent d’être publiées en Israël montrent que chez les sujets âgés de plus de 60 ans [...] la protection contre la survenue de la maladie dans la période qui est comprise entre l’administration de la première dose et la seconde dose n’est que de 33%”. Le conseiller du Gouvernement parle donc d’une “déception”, rappelant que dans les essais cliniques, ce taux avait été évalué à 50%.

Troisième argument déroulé par le Pr Fisher, celui qui concerne un risque éventuel après la seconde dose qui aurait été décalée. “Dans les essais cliniques, il y a assez peu de personnes qui ont reçu la deuxième injection après les six semaines [...]. De ce fait, même si aucun événement infectieux n’a été observé chez ces personnes, comme il y a en a eu très peu, on conçoit rapidement que la puissance statistique de cette analyse est faible et l’argument, moins fort”, affirme-t-il. Mais l’argument le plus important, aux yeux du chercheur, c’est l’effet des conséquences de l’administration à J42 de la seconde dose sur l’intensité et la protection à moyen terme. “L’effet et les conséquences d’un espacement, on ne les connait pas du tout”, tient-il à rappeler. “La population cible est une population fragile, car 85% des personnes vaccinées à l’heure actuelle sont des personnes âgées ou malades dont le système immunitaire est faible.” “La question se pose : est-ce qu’il n’y a pas là, un risque non quantifiable d’une réponse immunitaire sous-optimale, qui pourrait faire diminuer peut-être l'induction de la protection face au nouveau variant ?” interroge-t-il. Enfin, le Pr Fischer a aussi évoqué le fait qu'un changement de calendrier vaccinal pourrait engendrer des “difficultés de compréhension et de mise en œuvre" de la pratique du vaccin. Puis, évoquant son expérience de praticien : “la réalité de la médecine sur le terrain, c’est lorsqu’on applique un schéma temporel d’administration d’un médicament ou d’un vaccin, ce n’est pas strictement respecté. Ça veut dire que si on dit que l’injection doit être faite après 6 semaines, ça veut probablement dire que certains l’auront après sept, huit semaines voire plus. Ce qui sort de l’AMM et augmenterait le risque d’avoir une immunité moins satisfaisante”, conclut-il.

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