Egora.fr : D'après votre enquête*, 85 % des libéraux estiment qu'il faut se préoccuper de l'environnement et 89 % se disent prêts à informer leurs patients sur ces questions. Ce résultat vous surprend-il ? Jean-Paul Ortiz : Ce sont des chiffres très considérables, et oui ça m’a surpris ! Je pensais que la sensibilité à l’impact environnemental était certes une réalité, mais que ça passait derrière d'autres préoccupations comme le système de santé et le vécu du métier. Pour moi cela montre que l’écologie n’est plus un sujet politique mais un sujet sociétal, que les médecins ont intégré dans leur profession. Les médecins se déclarent sensibles à la thématique santé-environnement, mais sur les propositions concrètes, le taux d'adhésion chute... Oui tout à fait, les médecins sont à l'écoute des problématiques santé-environnement, un peu comme des paraboles, mais quand on rentre dans le détail c’est plus éclaté. Ce sont des thématiques sur lesquelles ils ont besoin d’être formés et informés. On le voit par exemple sur les déchets issus des médicaments. Quand on leur demande s'ils sont "sensibles à l'impact environnemental", ils répondent oui à 90 %. Mais quand on leur demande comment faire, ils renvoient à la formation pour presque un sur deux et on sent bien qu'ils ne connaissaient pas les autres solutions, comme l'indice PBT [Persistent Bioaccumulative and Toxic ; indice approuvé à 25 %, NDLR]. Justement, qu'est-ce que cet indice PBT peut apporter en matière d'environnement ? C'est un indice mis au point par le Stockholm County Council. Il permet de classer chaque médicament en fonction de sa persistance dans la nature, de sa bioaccumulation dans les milieux organismes naturels et de sa toxicité. Tout cela est croisé et ça permet aux médecins suédois, lorsqu'ils prescrivent, d’avoir un idée de la pollution engendrée et de pouvoir choisir une alternative moins polluante dans la même classe thérapeutique. Il faut faire attention à ne pas alourdir la prescription, mais je suis persuadé qu'il serait assez facile au médecin, sachant qu'il emploie toujours à peu près les mêmes médicaments, de favoriser des médicaments moins polluants s'il dispose de l'information. On pourrait très bien imaginer un code étoile et ou une note de 1 à 5 dans les logiciels d'aide à la prescription.
Le gros des médecins a-t-il été formé à ces problématiques ? Non. Ça veut dire qu’ils en ont certainement besoin. Par exemple, notre organisme de DPC possède une formation sur les perturbateurs endocriniens. C’est une des plus demandées et des plus suivies de notre catalogue ! C'est toujours difficile à mesurer mais le fait d’être sensibilisé à des impacts environnementaux a indiscutablement un impact sur la pratique quotidienne et la prescription. Vous évoquez plusieurs propositions pour permettre aux médecins de s'engager. Il serait intéressant qu’on reconnaisse aux médecins un rôle d’information auprès des patients ainsi qu'une place dans les instances de décisions locales : territoires, mairies, collectivités. Par ailleurs, on voit bien que dans un certain nombre de territoires sont apparues des fréquences élevées de telle ou telle pathologie, comme le cancer de la prostate avec le chlordécone ou les agénésies chez l’enfant en Bretagne et Loire Atlantique… On constate tout ça et on ne sait pas trop comment s'en emparer. Il serait intéressant d’encourager les médecins à participer à des registres épidémiologiques. Sur quels réseaux et acteurs s'appuyer ? Il y a plusieurs niveaux. Les pouvoirs publics (caisses d'assurance maladie, Santé publique France…) ont énormément de données de santé très sous-exploitées, ce qui pose un vrai problème d'exploitation en matière de santé publique. Ça va peut-être changer avec le "health data hub" et la stratégie santé numérique. Par ailleurs, les sociétés savantes peuvent être des acteurs pour élaborer des thématiques et structurer des registres. Et les syndicats ? Les corps professionnels ont un rôle à jouer pour sensibiliser les médecins au plus près de lieux d’exercice et favoriser leur implication. Mais il faut réfléchir pour que ce ne soit pas encore de la paperasse, sans quoi ça ne marchera pas. Il faut quelque chose de simple et souple que les médecins puissent intégrer dans leur pratique quotidienne. Avec les logiciels métiers ce devrait être faisable, quitte à prévoir un forfait individuel adapté pour dédommager le temps (réduit) passé à alimenter des registres ou partager ses données de patientèle. * Enquête réalisée par la CSMF auprès de 2253 médecins libéraux toutes spécialités confondues entre le 7 février et le 13 mars 2019, par questionnaire en ligne.
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