Une passe d'armes récente entre les syndicats Jeunes Médecins, surtout constitué de jeunes hospitaliers, et Reagjir, composé de jeunes généralistes, révèle les fractures encore profondes autour de la question du secteur 2. En arrière-plan, des différences d'intérêts objectifs mais aussi des stratégies syndicales divergentes.
C'est un épisode syndical révélateur. Dans une interview vidéo à What's up Doc, Yannick Schmitt, président du syndicat Reagjir (jeunes généralistes installés et remplaçants), a récemment rappelé qu'il était favorable à la suppression du secteur 2. "Il y a un véritable problème économique d'accès aux soins pour nos patients, notamment lorsqu'on les adresse à des spécialistes de deuxième recours", a déclaré le jeune généraliste alsacien.
Le retour de bâton ne s'est pas fait attendre. Emanuel Loeb, président du syndicat Jeunes Médecins, s'est fendu le 8 mars dernier d'un communiqué au vitriol. "Vieille lubie que celle-ci !!! L’argument mis en avant est celui du pragmatisme... De qui se moque-t-on ?", s'y insurgeait le jeune psychiatre. Et de conclure en appelant Reagjir "à la raison et à la modernité afin de ne pas reproduire les querelles ancestrales", sans oublier d'appeler les jeunes généralistes à "rejoindre la communauté" de son syndicat. Tectonique des plaques syndicales Banale histoire de concurrence syndicale ? Anciennement Isncca (chefs de clinique et assistants), encore essentiellement composé de jeunes hospitaliers en post-internat, le syndicat Jeunes Médecins a revu ses ambitions à la hausse en 2018 en lançant une plateforme d'actualités et en élargissant sa cible à l'ensemble des jeunes médecins. Une opération, matérialisée par un changement de nom, dont l'un des objectifs assumés est de fédérer le paysage syndical des juniors. Au téléphone, Emanuel Loeb récuse fermement toute idée d''"OPA hostile". "Reagjir agit de façon agressive : on sait très bien, dans le petit milieu syndical, à quoi ça fait référence quand on veut supprimer le secteur 2 : ça renvoie à l'ancienne guerre entre médecine générale et autres spécialités, et on pense que notre génération a mieux à faire", indique-t-il. "Notre logique n'est pas de faire la guéguerre pour savoir qui aura 100 adhérents de plus que l'autre", assure celui qui fut également président de l'Isni de 2012 à 2014.
Du côté de Reagjir, on se dit surpris de cette réaction qu'on qualifie d'"épidermique". "Visiblement ils n'ont pas lu nos positions et on regrette ces règlements de compte par presse interposée", commente Yannick Schmitt, rappelant au passage que la suppression des dépassements d'honoraires doit être conditionnée à une revalorisation des tarifs opposables. "Il y a des actes techniques notoirement sous-valorisés, il faudra revoir la rémunération des médecins de façon plus globale, et peut-être intégrer le coût des loyers, comme à Paris par exemple." Les jeunes spécialistes accrocs au secteur 2 "On est dans un système où de facto, certaines spécialités sont quasi intégralement en secteur 2 ", poursuit le président de Reagjir. "Ça pose un vrai problème d’accès aux soins, on ne peut balayer ça d’un revers de la main." Une position que l'on retrouve à l'identique chez les internes en médecine générale. "[Notre] volonté est celle d’un secteur unique avec disparition du secteur 2, sous condition d’une revalorisation des actes en secteur 1", confirme Lucie Garcin, présidente de l'Isnar-Img. D'après l'Assurance maladie (chiffres de 2011), 1 généraliste libéral sur 10 est installé en secteur 2 (ou secteur 1 avec dépassement d'honoraires), contre 4 spécialistes sur 10. Au chapitre des spécialités les plus acquises au secteur 2, on trouve la chirurgie (79 % des effectifs en libéral), l'ORL (58 %), la gynécologie et l'ophtalmologie (56 %). Surtout, le secteur 2 est maintenant pratiquement fermé aux généralistes, tandis qu'il séduit toujours les spécialistes (voir encadré). Parmi les jeunes médecins, le secteur 2 a d'ailleurs le vent en poupe : plus de la moitié (54 %) des spécialistes installés depuis moins de dix ans y figuraient en 2011. Une progression particulièrement marquée chez les stomatologistes, les anesthésistes et les psychiatres. Des intérêts divergents Il n'est pas très étonnant de constater que le clivage effectif entre les généralistes et les autres spécialistes au regard de l'accès au secteur 2 se reflète dans les positions des syndicats juniors. En regard de Reagjir (jeunes remplaçants et installés) et de l'Isnar-IMG, l'Isni (internes, historiquement plutôt issu des spécialités) et Jeunes Médecins (jeunes hospitaliers) refusent quant à eux toute remise en cause des honoraires libres. "Le tarif des consultations rend ça impossible : la chirurgie s’effondrerait, de même que le réseau de cliniques privés. Ça encouragerait le déconventionnement massif", prophétise Antoine Reydellet, président de l'Isni. S'il se dit ouvert à la suppression du secteur 2 en médecine générale – "avec un alignement de la consultation sur le tarif moyen européen" – il n'imagine pas un instant que les spécialistes puissent se passer des dépassements d'honoraires. "Vous imaginez un psychiatre en secteur 1, sachant que la consultation est à 28 euros et dure une demi-heure ?" Jeunes Médecins va même plus loin, en défendant peu ou prou un retour à la situation d'avant 1990, quand l'accès au secteur 2 ne nécessitait pas d'effectuer deux ans de post-internat. "On propose un secteur 2 ouvert à tous : quelle que soit la spécialité, les médecins choisissent de s'installer en secteur 1 ou en secteur 2", explique Emanuel Loeb. "Et ce qui serait le plus intelligent, ce serait que les médecins puissent passer d'un secteur à l'autre tout au long de leur exercice." Une ruée vers le secteur 2 ne serait-elle pas à craindre, avec de graves problèmes d'accès aux soins à la clé ? "Les gens qui vont en médecine ont un engagement humaniste fort, alors que l'engagement humaniste de l'État peut être questionné", répond le président de Jeunes Médecins, qui compare volontiers l'intérêt du secteur 2 aux consultations privées à l'hôpital. "On demande l'ouverture du secteur 2 pour instaurer un rapport de force vis-à-vis de l'État, afin qu'il assume d'investir dans le secteur 1." En bonne intelligence La question du secteur 2 pourrait resurgir dans le sillage de la réforme du 3e cycle. En supprimant la nécessité du post-internat, la réforme a brouillé les conditions d'accès au secteur 2 pour les futurs diplômés. Et si le gouvernement s'est voulu rassurant sur ce point, les internes de spécialité ne cachent pas leur inquiétude. L'Isni devrait d'ailleurs se prononcer rapidement à ce sujet, qui fera l'objet de sa prochaine assemblée générale. Pour l'heure, les divergences de fond n'empêchent pas les syndicats junior de travailler de concert quand l'occasion s'y prête. Dans un récent dossier de presse commun, la plupart d'entre eux (Anemf, Isni, Isnar-Img, Reagjir) ont proposé une plateforme de solutions pour résoudre les problèmes d'accès aux soins. Au menu, un ensemble de mesures destinées à favoriser l'accès aux stages en médecine de ville, l'installation en zone tendue, et l'exercice de groupe... Mais pas un mot sur le secteur 2.
Créé par la convention de 1980, le secteur 2 est resté en accès libre jusqu’en 1990, date à laquelle son accès a été restreint aux seuls anciens chefs de clinique et assistants des hôpitaux. Cette contrainte a très fortement limité l’accès aux dépassements d'honoraires pour les médecins généralistes, dont une part marginale s’installe chaque année en secteur 2. Les spécialistes sont en revanche de plus en plus nombreux à faire ce choix.
Dans l'optique de maîtriser les dépassements d'honoraires, les pouvoirs publics ont mis en place le « contrat d’accès aux soins » dans la convention de 2012, remplacé par l'Optam en 2016, qui prévoit un engagement du médecin à maintenir son taux moyen de dépassement et la part de ses actes à tarif opposable, en échange d'une ristourne sur ses cotisations sociales. En septembre 2018, 12 990 médecins avaient quitté le secteur 2 (ou 1DP) pour rejoindre ce secteur "un et demi", soit près de la moitié des candidats potentiels.
Source : Médecine spécialisé et second recours (2017), dossier statistique de la Drees
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