Loi de santé : ces zones d'ombre qui inquiètent les médecins

15/02/2019 Par Aveline Marques

La boucle est bouclée : mercredi 13 février, un an jour pour jour après le discours fondateur du Premier ministre, le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé a été présenté en conseil des ministres. Suppression du numerus clausus et des ECN, refonte de la carte hospitalière, recertification… le texte qui sera débattu à l'Assemblée en mars aura d'énormes répercussions. Mais il est "parsemé de blancs et de flous", déplorent les syndicats, qui s'inquiètent du recours massif aux ordonnances.

  "Sincèrement, je suis extrêmement inquiet à propos de ce projet de loi." Au micro de France Info, mercredi matin, le Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), ne cache pas son amertume : le projet de loi de santé lui a été présenté "dans une conférence téléphonique". "Le Gouvernement avance à marche forcée avec une concertation minimale", déplore-t-il.  

"Un massacre pour la profession"

  Un sentiment partagé par l'ensemble des représentants de la profession. "Le projet de loi est parsemé de blancs et de flous qui devraient être remplis par ordonnances et décrets", tacle le Dr Jérôme Marty, de l'UFML syndicat, qui présage "un massacre pour la profession". Deux décrets détermineront ainsi les modalités d'accès aux études de médecine, ainsi qu'au 3ème cycle, tandis que des ordonnances seront dédiées à la (re)certification des médecins, au statut unique de praticien hospitalier, aux hôpitaux de proximité, au régime des autorisations ainsi qu'à la prescription dématérialisée. "La santé relève d'une consultation prolongée et de l'engagement de tous ses acteurs, patients et soignants, tel n'a pas été le cas", dénonce Jérôme Marty. "Il faut que nous contribuions, il faut que nous soyons entendus, a insisté de son côté le président du Cnom, le Dr Patrick Bouet, lors du Grand débat organisé par l'Ordre mardi 12 février. Nous ne pouvons pas nous permettre un échec."

"On pourrait rester dans la critique constante, se lamenter. Moi je fais partie de ceux qui se retroussent les manches", rétorque le Dr Thomas Mesnier, médecin urgentiste et député LREM, co-rapporteur du projet de loi. "On a bien défriché le terrain pendant un an de concertations. La lisibilité va arriver des auditions et du débat parlementaire", rassure-t-il. La suppression de la Paces et du numerus clausus à la rentrée 2020 cristallise les inquiétudes. L'article 1er laisse le soin aux facultés, en concertation avec les ARS, de déterminer les capacités d'accueil en 2ème et 3ème années, et ce en prenant en compte des "objectifs nationaux pluriannuels établis par l'Etat". "Nous allons augmenter de 20% à peu près le nombre de médecins formés", a promis Agnès Buzyn sur France Inter.  

"On va dégrader la qualité de la formation"

  "Je n'ai pas entendu dire qu'ils avaient augmenté de 20% le nombre de professeurs, ni qu'ils avaient agrandi les amphis où, je le rappelle, un étudiant sur deux voit un professeur sur un écran", a réagi Jean-Paul Hamon. Sans parler des terrains de stage hospitaliers, saturés à certains endroits. "Les territoires où on a le plus besoin de médecins sont ceux où on a le moins d'enseignants dans les UFR", alerte Emmanuel Loeb, président de Jeunes médecins (ex ISNCCA). "On va dégrader la qualité de la formation sur ces territoires. C'est un retour en arrière, au temps des internats de région : on va dire que le niveau de ces médecins est moins bon qu'à Paris", redoute-t-il. Mêmes craintes du côté du président de l'Intersyndicale nationale des internes (Isni). "La quantité c'est très bien, mais avec la qualité. Toutes les facultés ne pourront pas former 20% d'étudiants supplémentaires", affirme Antoine Reydellet. "Les facultés parisiennes pourront en absorber une bonne partie. Et Tours, par exemple, peut augmenter de 14%", ajoute-t-il.

Pour l'interne, augmenter le nombre de médecins formés est plus que jamais nécessaire : pour la première fois, le nombre de médecins diplômés de l'étranger inscrits à l'Ordre a diminué. "La Roumanie a triplé le salaire de ses internes pour les retenir", explique-t-il. Mais pour la CSMF, le chiffre de 20% est "probablement excessif" : "le nombre de médecins va très fortement augmenter à partir de 2025, du fait de l'augmentation du numerus clausus de ces dernières années (de 3500 à 8300)", met en garde la confédération dans un communiqué. "Rien dans le projet de loi ne précise comment la nécessaire sélectivité des études de médecine sera maintenue", déplore de son côté le président de l'UFML.  

"On risque d'avoir une réforme bâclée"

  La suppression des ECN, bien que plébiscitée, inquiète également : "le calendrier est extrêmement serré", alerte le Pr Djillali Annane, doyen de la faculté de médecine de Versailles-Saint Quentin. La réforme des modalités d'accès au 3e cycle s'appliquera en effet aux étudiants qui débutent l'externat à la rentrée 2019. Soit une "transformation complète en moins de trois mois", qui doit nécessairement s'accompagner d'un ajustement de "l'outil de formation CHU", souligne le vice-président de la Conférence nationale des doyens. Tout cela alors que la réforme du 3ème cycle s'achève à peine. "C'était nécessaire, ça tout le monde est d'accord pour le dire mais les acteurs qui participent à ces trois réformes [1er, 2ème et 3ème cycles, NDLR] sont les mêmes, relève Antoine Reydellet. Il y a des modifications de programme, des ajouts de formation qui auraient été nécessaires et qui ne vont pas pouvoir être faites avec le rythme imposé. Il faut savoir qu'avant le lancement de réforme du 3ème cycle, il y a eu 10 ans de maturation. Et on voit encore des imperfections. Là, avec seulement un an de concertation, on risque d'avoir une réforme bâclée." Autre zone d'ombre : la refonte de la carte hospitalière, avec une gradation des soins assumée entre hôpitaux de proximité, CH de taille moyenne et CHU. Mais quelle sera la place médecins de ville dans cette nouvelle organisation territoriale ? Jérôme Marty, de l'UFML, redoute de voir l'Hôpital prendre "la main sur la médecine de ville". "Les communautés territoriales de santé et les hôpitaux locaux seront étroitement liées aux GHT, pièce maitresse de 'Ma santé 2022'", met en garde le président de l'UFML. "Les hôpitaux de proximité doivent intégrer les médecins libéraux à tous les niveaux", insiste la CSMF, qui veut en faire "le point de rencontre entre l'hôpital et la ville". Une vision partagée par le Dr Jacques Battistoni, de MG France, qui voit dans les hôpitaux de proximité l'opportunité de développer l'exercice mixte. "La médecine de ville doit avoir une place importante dans la gouvernance, insiste-t-il. Les professionnels du 1er recours savent mieux que les directeurs de CHU quels sont les besoins du territoire. Il est grand temps de remettre le système sur ses pieds : les soins primaires." Reste que sur "l'attractivité des professions médicales, seule clé de sortie de la crise démographique", le projet de loi n'est pas à la hauteur, critique l'UFML. "Osons le dire, il n'y a rien", lance le Dr Marty, pas convaincu par l'ouverture des CESP aux médecins étrangers ou par l'extension du statut de médecin adjoint aux zones sous-denses. "Il faut que le Gouvernement travaille et arrête de faire des effets d'annonce", résume Jean-Paul Hamon.

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