"Venez voir mon fils immédiatement" : le jour où j'ai été mis KO par le crochet d'un papa violent

08/01/2019 Par Aveline Marques
Témoignage

Les infirmières l'ont retrouvé étendu sur le sol de la salle d'examen, le visage en sang. Lui ne se souvient de rien. Interne en fin de cursus, Nicolas Perolat a appris à composer avec l'agressivité des patients et de leurs proches, inhérente aux urgences. Mais rien n'aurait pu le préparer à être mis KO par le père d'un enfant admis 30 minutes plus tôt, après 17 heures de travail le jour de Noël. Son agresseur a écopé de 18 mois de prison, dont 10 mois ferme. "Si ça m'était arrivé en premier semestre, j'aurais songé à arrêter la médecine", confesse-t-il.

  "Je suis interne en médecine générale en Ile-de-France, en 5e semestre. Je suis actuellement en stage à l'hôpital de Gonesse (Val d'Oise) en pédiatrie. J'étais de garde aux urgences pédiatriques la nuit de Noël, du 25 au 26 décembre. La garde a commencé le 25 au matin. On a eu une journée chargée, comme d'habitude en hiver. A 2 heures du matin, il nous restait encore une douzaine de patients à voir. Avec ma chef, on s'était réparti chacun un secteur des urgences pour avancer.

J'avais déjà vu deux enfants. Je sortais d'une salle d'examen quand j'ai été interpellé par un homme qui m'a demandé si j'étais médecin. Quand j'ai répondu oui, il m'a dit 'venez voir mon fils immédiatement, il a mal'. J'ai regardé sur l'ordinateur : cet enfant, déjà installé dans une salle d'examen, était présent aux urgences depuis moins d'une demi-heure. L'infirmière d'accueil et d'orientation l'avait priorisé comme devant être vu dans les deux heures par un médecin, mais sans signe de gravité nécessitant des examens complémentaires dans l'immédiat.   "Je vois cet individu dans l'encadrement de la porte…. Puis je n'ai plus aucun souvenirs"   Ayant cette information, je réponds à son père que je m'occupe déjà de deux enfants, et que le sien est le prochain. Sur un ton un peu plus vindicatif, il me redit : 'vous allez venir le voir TOUT DE SUITE'. Je lui ai répondu que non, et que poursuivre la conversation n'allait que faire perdre du temps. Sur ce, je retourne voir les enfants dont j'avais la charge pour terminer les soins. Puis je m'aperçois que j'ai oublié mon téléphone dans la salle d'examen dont je sortais. Je retourne sur mes pas et recroise le chemin de ce papa qui me parle à nouveau, mais comme je lui avais déjà transmis les informations je rentre directement récupérer mon téléphone dans la salle. En voulant sortir, je vois cet individu dans l'encadrement de la porte... puis je n'ai plus de souvenirs.   "Tout le monde a reçu un coup"   Je me réveille allongé sur un brancard, avec l'un des vigiles en face de moi. J'aurais été frappé au visage - moi je ne me rappelle pas d'avoir vu le coup venir. La famille qui était dans la salle d'examen a alerté mes collègues, qui m'aurait retrouvé inconscient avec le visage en sang sur le sol. J'aurais mis quelques minutes à me réveiller puis j'aurais parlé avec eux un certain temps mais il me manque cette partie dans ma mémoire… S'ensuit un passage aux urgences adultes avec scanner : j'ai une fracture des os du nez. Puis je suis hospitalisé pour surveillance dans un des services de l'hôpital, et réévalué au matin par un neurologue, qui m'autorise à sortir. Vers 5h30-6 heures, quand je suis monté dans la chambre, je n'avais personne à qui parler. J'avais besoin d'un exutoire… alors plutôt que de crier, tout seul dans ma chambre, j'ai posté sur les réseaux sociaux.  

Dans cette histoire, je suis la victime physique, la personne qui a pris un coup. Mais il y a aussi ma chef, qui a fini la garde toute seule. Ce n'est pas pour rien qu'on est deux médecins en pédiatrie l'hiver sur cette ligne de garde, à Gonesse : il y a plus de 150 passages par 24 heures, donc la nuit il y a encore beaucoup de travail. Il y a mes collègues infirmières des urgences qui m'ont retrouvé inconscient. L'image est choquante pour elles aussi… D'autant que la pédiatrie c'est un peu le monde des Bisounours ! C'est tout le personnel qui a été affecté. Tout le monde a reçu un coup.   "J'ai lâché mes collègues"   Moi je suis un hyperactif, je ne m'arrête pas tant que le travail n'est pas terminé. Là, j'ai été mis hors d'état de travailler. Alors oui, j'ai lâché mes collègues, qui se sont retrouvées avec une personne en moins. Je ne suis pas aussi efficace qu'un médecin senior, mais je suis quand même proche de la fin de mon internat… L'agresseur a été placé en garde à vue dans la nuit. Le lendemain matin, la directrice de garde, le président de la CME, l'adjoint au chef de service, mes co-internes et certains de mes chefs sont passés me voir. J'ai eu beaucoup de soutien de la part de mes collègues et de l'hôpital. L'hôpital a mis les moyens à ma disposition pour m'amener au commissariat porter plainte. L'après-midi même, je passais à l'unité médico-judiciaire pour l'expertise du médecin légiste. Le soir, en rentrant, l'officier de police judiciaire me rappelle pour m'informer que mon agresseur passerait le lendemain en comparution immédiate au tribunal. Après ces 36 heures de multiples péripéties, il a fallu trouver un avocat pour le procès du lendemain, ça n'a pas été simple. Tout s'est enchainé très vite jusqu'au verdict que vous connaissez. La violence aux urgences, même si elle n'est pas admissible, on fait avec. On sait qu'il y a de la violence qui est inhérente au temps d'attente, à l'information qui n'est pas optimum parce qu'on passe notre temps à courir et qu'on n'a pas le temps de rassurer les gens… Notamment en pédiatrie, où il y a la douleur par procuration. Mais là il n'y avait même pas une demi-heure d'attente, l'enfant était déjà installé dans une salle d'examen. Il n'y avait pas de signes avant-coureurs, qu'on apprend à détecter au cours de notre formation pour aller au-devant. Il avait peur pour son enfant, ça fait partie de ses explications. Mais ça ne justifie pas l'acte.   "'La justice fait son travail"   Le procureur a demandé 6 mois de prison ferme, plus 6 mois avec sursis, avec effet immédiat. Le fait qu'il demande l'exécution immédiate de la peine c'est déjà quelque chose de rare, déjà un peu symbolique, m'ont dit les avocats. Alors le fait que le juge aille au-delà des réquisitions... Je n'ai pas de satisfaction à ce que quelqu'un aille en prison, mais cette sanction m'aide à avancer, sans avoir eu à attendre des semaines pour un procès… Et la hauteur de la peine est forte symboliquement. J'entends beaucoup de soignants dire que ça ne sert à rien de signaler les actes de violence, l'agressivité, etc. Là, je pense ça montre que la justice fait son travail. Je n'ai pas encore repris le travail. Mercredi, j'ai subi une opération sous anesthésie générale pour remettre mon nez en place donc mon arrêt a été prolongé jusqu'au 14. J'ai envie de retravailler, c'est dans ma nature, ça fait plus de 10 ans que je fais ces études, je suis près de la fin et j'ai un certain recul… ça me serait arrivé au 1er semestre, je pense que j'aurais songé à arrêter médecine, il ne faut pas se voiler la face. L'agressivité, c'est une donnée à prendre en compte. Mais pas la violence physique jusqu'au KO. Je pense que je vais avoir de l'appréhension face à une personne vindicative… Et je serai amené à me faire accompagner par un psychologue de l'hôpital. C'est un événement trop extraordinaire pour le gérer seul."

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Stéphanie Beaujouan

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