Tous en réseaux de soin? Ils en rêvent encore

20/07/2018 Par Aveline Marques
Politique de santé
On les aurait presque oubliés, tant les négociations pour un "reste à charge zéro" en optique, dentaire et audiologie ont accaparé les efforts du nouveau gouvernement en faveur d'un meilleur accès aux soins. Les réseaux de soin gardent pourtant de fervents adeptes. Parmi eux, le think tank Terra Nova, réputé de gauche, qui plaide dans une note publiée en mai pour leur développement au-delà des limites fixées par la loi Le Roux.
 

"Les pouvoirs publics seraient avisés de rouvrir le dossier des réseaux de soins." A l'heure où le gouvernement pourrait les "contourner" dans le cadre du reste à charge zéro (RAC 0), c'est un plaidoyer pour les réseaux de soins que publie l'association Terra Nova. La question se pose : à l'horizon 2021, alors que certaines lunettes, prothèses dentaires et auditives seront intégralement remboursées, les réseaux de soin auront-ils encore une raison d'être ? Les grandes plateformes des gestion (Santéclair, Kalivia, Itelis, Sévéane, CarteBlanche et Istya) ont brillé par leur absence lors des négociations sur le RAC 0, qui ont associé la Cnam, les complémentaires, les fabricants et les représentants des professionnels. Les accords conclus le mois dernier réduiront à néant le reste à charge pour bon nombre d'équipements standard en optique, dentaire et audiologie, rétrécissant d'autant le champ d'action des réseaux de soins. Mauvaise idée, selon le Think Tank Terra Nova, qui appelle les pouvoirs publics à ne pas marginaliser les réseaux de soins mais, au contraire, à reconnaître plus largement leurs "vertus". Aujourd'hui, 50 millions de personnes ont accès à un réseau de soin via leur complémentaire santé. Reste que les réseaux de soin suscitent de "fortes résistances" chez les professionnels. Si plus de la moitié des opticiens et les trois quarts des points de vente en audioprothèses sont affiliés, le plus étendu des réseaux ne rassemble "que" 14% des 40.000 chirurgiens-dentistes. Quant aux médecins, ils y ont opposé une fin de non-recevoir, écrite noire sur blanc dans la loi Le Roux. "Les réseaux de soins sont vus, par certains, comme susceptibles de borner trois libertés auxquelles les professionnels de santé sont particulièrement attachés", relève le think tank : liberté de choix du professionnel pour le patient, liberté de prescrire pour le professionnel et liberté de fixer les tarifs. "Cette opposition mérite pourtant d'être largement dépassée", estime l'association. Car les réseaux de soins peuvent soigner les "maux" du système de santé. D'abord, comme l'a récemment démontré l'Igas, les réseaux de soins permettent de réduire le reste à charge de 50% en optique, de 18% en audiologie et de 5% en dentaire.  Le think tank reconnaît néanmoins que leur impact sur la qualité des soins reste difficile à démontrer, en l'absence d'indicateurs. A l'heure où les pouvoirs publics font la chasse aux 30% d'actes inutiles, les réseaux pourraient "jouer le rôle de tiers de confiance", souligne Terra Nova. Surtout, ils pourraient intervenir plus largement dans la gestion du risque là où l'Assurance maladie a échoué. Le taux d'atteinte des économies réalisées dans le cadre de la maitrise médicalisée des dépenses d'assurance maladie a chuté de 130% en 2005 à 65% en 2016, relève la note. Et d'enfoncer le clou : "les formules successives de rémunérations au forfait dont peuvent bénéficier certains professionnels de santé, en particulier les médecins, sont toujours sources de dépenses nouvelles, sans même faire l'objet de contreparties claires, vérifiables et évaluables…" Pour Terra Nova, dans un contexte budgétaire contraint, "on ne devrait pouvoir se payer le luxe d'une dépense non performante, voire inefficace". Cantonner les réseaux de soins aux seuls secteurs où les assureurs santé privés sont financeurs majoritaires n'apparaît donc "ni probant ni réellement pertinent", statue le think tank. A fortiori lorsque les pouvoirs publics viennent marcher sur leurs plates-bandes avec le RAC 0. L'association ne voit qu'une seule option en finir avec l'approche "réductrice, centralisatrice et peu adaptée aux réalités locales" de la loi Le Roux. Elle propose "d'ouvrir des possibilités de contractualisation dérogatoires" en permettant à un syndicat représentatif de signer un accord avec un réseau pour, par exemple, "proposer de nouveaux modes de rémunération", "imaginer de nouvelles organisations" ou "mieux prendre en charge les pathologies chroniques". Cette extension des réseaux de soin irait de pair avec une évaluation de la qualité et une "gouvernance plus transparente et responsable". Sans surprise, la note a fait bondir certains représentants des médecins, au premier rang desquels le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. "Les réseaux de soins développés actuellement par les assureurs complémentaires sont contraires aux fondamentaux de notre République", rappelle-t-il fermement, fustigeant la sélection des professionnels opérée par certains réseaux. En revanche, le syndicat n'est pas fermé à "un contrat de type conventionnel établissant des relations équilibrées, libres et sans sélection entre les médecins et les assureurs complémentaires", comme celui qu'il vient de conclure avec Klesia pour la mise en place d'une consultation prévention. Quant au Dr Marty de l'UFML, il s'est étonné de l'anonymat gardé par l'auteur de la note sur un sujet aussi "orienté".  

  Trois questions à Willy Jager (pseudonyme), auteur de la note pour Terra Nova            

Trois questions à Willy Jager (pseudonyme), auteur de la note "La Santé en réseaux" pour Terra Nova

Egora.fr : Dans quelle mesure les réseaux de soins seront-ils impactés par la montée en charge du RAC 0?
Willy Jager
: Le Gouvernement a souhaité bâtir un consensus avec l'ensemble des parties prenantes pour définir un panier de soins nécessaires et de qualité. Jusqu'ici, c'était un travail réalisé par les réseaux, en particulier dans les secteurs optique et audioprothèse. Là où les réseaux avaient une capacité d'envoyer du volume aux professionnels identifiés contre une maitrise de leurs tarifs, là il y aura un tarif fixé par les pouvoirs publics, qui sera un prix limite de vente pour une certaine catégorie de produits. Les réseaux sont impactés sur la panier et sur le tarif. On vient quasiment leur substituer un réseau public. En tout cas, en théorie. En pratique, tout reste à faire et à voir. On entend de plus en plus de voix s'élever contre le compromis qui a été établi par le Rassemblement des opticiens de France notamment. Dans la vraie vie, est-ce que ce panier va bien être proposé aux patients ? Ou est-ce que la présence des réseaux sera encore nécessaire pour orienter les patients vers les professionnels qui sont prêts à s'engager dans cette démarche ?

A mon avis, cette notion de reste-à-charge zéro pourrait s'étendre aux dépassements d'honoraires, au reste à charge à l'hôpital et à la dépendance.

Dans un contexte de pénurie médicale, pourquoi les médecins, qui croulent sous les patients et sont hostiles aux réseaux, accepteraient-ils d'y adhérer ?
Je dirais que la CSMF est la meilleure ambassadrice des propositions de cette note Terra Nova. Il n'est pas question de libéraliser la logique de réseaux ou d'inciter l'intégralité des médecins à s'engager dans ces démarches. A aucun moment on veut revoir la loi Le Roux, c'est un socle. On a eu suffisamment de difficultés pour parvenir à ce consensus : d'un côté les prises en charge où les complémentaires sont majoritaires et où il peut sembler légitime que les logiques de réseau se développent, de l'autre les secteurs où la prise en charge des complémentaires n'est pas majoritaire et où ils n'ont pas vocation à se développer.

Néanmoins, à partir du moment où des représentants de professionnels de santé se mettent d'accord avec des assureurs, comme la CSMF avec Klesia, un réseau peut s'y loger. La logique poursuivie est la même. Charge pour les professionnels de dire si oui ou non ils s'y engagent et aux représentants d'estimer ce qui est bon pour leurs "mandants". Il faut que cette liberté de choix soit respectée. Il n'y aucun moment une volonté d'imposer quoi que ce soit aux médecins. Il y a un cahier des charges et charge au professionnel de le respecter et s'inscrire dans une logique de réseau… ou pas. Il faut qu'il soit défini avec les professionnels, pour savoir si oui non ça respecte la liberté des pratiques, de choix du professionnel, de prescription, etc. Il s'agit de mettre en responsabilité tout le monde, pour essayer de prendre en charge de nouveaux actes, comme la consultation de prévention avec la CSMF et Klesia.

Plusieurs médecins sur les réseaux sociaux vous ont reproché de conserver l'anonymat sur un sujet aussi "orienté". Que leur répondez-vous ?
Que c'était tout simplement une volonté que mon profil ne soit pas jeté en pâture parce que je suis en pleine reconversion professionnelle. J'ai eu des expériences dans le secteur assurantiel, dans le conseil, dans le secteur publique… J'avais intérêt à donner mon avis sur cette question des réseaux parce que j'estimais que dans les négociations sur le RAC 0 c'était quelque chose sur laquelle on ne capitalisait pas. Mais c'était plus une volonté personnelle de me protéger plutôt que de cacher un éventuel organisme assureur derrière ça. Anonymat ou pas, le simple fait de s'intéresser aux réseaux de soins prête le flanc à la critique.

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