Et si l'Ordre devenait moins macho ?

13/03/2018 Par Sandy Berrebi-Bonin

Entre 2018 et 2019, les médecins inscrits au tableau de l'Ordre vont élire la moitié de leurs conseillers départementaux. Si l'image de praticiens de sexe masculin et retraité colle à la peau de l'Ordre, la vérité s'en éloigne de plus en plus. Jeunes hommes et jeunes femmes arrivent en nombre au sein de l'institution. Ils le doivent notamment à la réforme de l'Ordre des médecins qui prévoit des évolutions tant dans la composition des conseils que dans les modalités d'élection. 

  Jeunes, passionnées, motivées, courageuses... Les femmes médecins font leur entrée à l'Ordre des médecins. Elles débarquent dans un monde d'hommes, souvent retraités et vont devoir se faire une place. Les élections des conseils départementaux vont incarner ce renouveau de l'institution. Depuis le mois de janvier 2018 et jusqu'en juin 2019, la moitié des conseillers départementaux seront élus. Soit 912 médecins. Au-delà de la volonté de féminiser l'institution, c'est désormais la loi qui l'impose. En effet, la réforme de l'Ordre des médecins et plus généralement des ordres professionnels à été actée dans l'article 212 de la loi de modernisation notre système de santé votée en janvier 2016. Elle prévoit notamment d'assurer l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de membre des conseils. L'ordonnance du 16 février 2017 prévoit quant à elle la mise en œuvre de la parité et fixe de nouvelles modalités d'élection. Les nouveaux conseillers ordinaux devront désormais être élus "au scrutin binominal majoritaire à un tour". Le texte précise que "chaque binôme est composé de candidat de sexe différent".

"J'avais envie d'être dans une dynamique intergénérationnelle"

Marine Coroir, chef de clinique en anesthésie-réanimation, élue au conseil départemental de Paris, 32 ans.

Je suis membre du syndicat des chefs de clinique des hôpitaux de Paris (SCCAHP), déléguée à la question du genre. Etre membre de ce syndicat m'a donné envie d'aller plus loin et de me présenter au conseil de l'ordre. J'avais envie d'être dans une dynamique intergénérationnelle et d'amener de la jeunesse au sein du CDOM. Lorsque l'on est jeune médecin, on ne connaît pas bien les missions de l'Ordre. Pour nous c'est juste une inscription. Je me dis qu'on peut faire mieux pour expliquer toutes les missions des conseils.

En tant que jeune médecin, j'ai la crainte de ne pas connaître l'étendue des missions de ce poste. Mais être au sein d'une équipe me rassure. Je sais qu'il y a des anciens qui seront là pour nous guider au début pour nous lancer dans les projets.

Avec mon binôme il nous tient vraiment à cœur d'essayer de redynamiser l'envie pour les jeunes médecins de rester à l'hôpital et de faciliter l'installation de ceux qui souhaiteraient le faire. Nous avons aussi appris qu'il y avait une antenne entraide au conseil de l'Ordre, nous aimerions vraiment nous y intégrer aussi.

  Autre changement majeur au sein de l'Ordre, la notion de limite d'âge. L'image de costume cravate et de cheveux grisonnants, voire de crânes dégarnis qui colle à la peau de l'institution, va changer. Les médecins ayant 71 ans révolus ne pourront plus être candidats. Une mesure qui fait grincer des dents en interne. "C'est dur à accepter pour eux. Certains anciens ne pourront plus se représenter", commente une élue de conseil départemental. "La première chose qu'ils se sont dit c'est qu'il y aurait forcement des binômes avec des gens qui ne seront pas intéressés ou venus spontanément", ajoute-t-elle persuadée du contraire. Bien que l'image de l'Ordre, notamment au niveau national, évolue, le comportement de certains ordinaux ne change guère et reste teinté de misogynie et d'anti-jeunisme. C'est le cas notamment du Dr Jean-Marie Letzelter, président de l’Ordre départemental du Bas-Rhin. Dans un éditorial de décembre 2017, il raille les réformes ordinales ne s'estimant "pas convaincu de leur utilité ni surtout de leur efficacité".  

"C'est important d'avoir une pluralité"

Laurence Peyrat, chirurgien urologue à l'hôpital et en libéral, élue au conseil départemental de Paris le 11 février 2018, 49 ans.

"Je me suis présentée pour être acteur au sein du conseil de l'Ordre. C'est un monde que je voulais connaître, donc quoi de mieux que de m'y investir. Je pense que c'est important dans ce type d'instance d'avoir une pluralité, qu'elle soit homme/femme, jeunes/vieux, ou de différentes spécialités médicales.

Je suis chirurgien urologue, quand j'ai été nommée, j'étais la 17ème femme urologue en France, donc le côté misogyne ne m'a jamais fait peur. J'ai toujours navigué dans un monde d'hommes. D'autant que l'Ordre va être beaucoup moins misogyne avec cette loi sur la parité.

Dans une instance comme l'Ordre, chaque pion peut apporter quelque chose. Avoir un peu plus de femmes c'est bien. Au sein du conseil de Paris l'équipe est très diverse. J'ai vraiment une première approche très positive."

  "Concernant la limite d'âge de 71 ans révolus pour pouvoir candidater à une fonction ordinale, je m'en référerais à l'un de de nos sages ancêtres Georges Brassens qui chantait à juste titre "Le temps ne fait rien à l'affaire, quand on est con, on est con. Qu'on ait vingt ans, qu'on soit grand-père, quand on est con, on est con…" et chacun connait des octogénaires brillantissimes et des trentenaires au cerveau limacien", ironise le médecin de 69 ans. Même mépris concernant la parité de la part de ce président de conseil départemental. "Encore faudrait-il que nos consœurs soient suffisamment nombreuses à investir de leur temps précieux au détriment de leurs obligation professionnelles et familiales", écrit-il avant de conclure "toujours est-il que la loi s'impose à tous et que ces nouveautés permettront peut-être à nos jeunes successeurs d'organiser des pique-niques dominicaux ou pourquoi pas des soirées dansantes pour agrémenter les longues séances de réunions plénières".  

"Peut-être que le fait d'être une femme est un petit handicap"

Virginie Desgrez, généraliste, conseillère départementale de Haute-Savoie depuis 3 ans, 35 ans.

"Je me suis présentée parce que j'avais envie de découvrir l'institution après un parcours dans le milieu syndical. J'avais envie d'aller vers de la confraternité et de pouvoir proposer mon aide. Je voulais peut-être aussi apporter un regard plus jeune et féminin à mes confrères. Au sein de mon conseil ordinal, je suis la seule titulaire à être une jeune femme.

Dans mon conseil il y a une bienveillance globale. Je ne suis pas victime de misogynie. Par contre on est plutôt sur un domaine de blagues carabines. Souvent je relève quand je trouve que ces blagues sont déplacées. Malgré eux ils se rendent compte qu'ils ont des attitudes un peu misogynes. Ils font attention à leur manière de se comporter parce que je suis là. Ça provoque une prise de conscience.

Je pense que le sexisme touche plutôt les secrétaires. Mais ce sont des propos que j'entends rapportés parce que devant moi ils n'osent pas. Ils savent que je ne me tairais pas. Ils sont persuadés eux-mêmes de ne pas être sexistes ni machos, mais ils le sont quand même. C'est peut-être plus générationnel et sociétal.

Du fait de mon âge, j'ai mes preuves à faire. Peut-être que le fait d'être une femme est aussi un petit handicap. On doit faire encore plus nos preuves. Mais je n'ai pas le sentiment d'avoir moins d'impact. J'ai la chance d'être dans un conseil départemental où j'ai réussi à me faire ma place. Mais je suis arrivée sur la pointe des pieds. Ils se demandaient qui était cette petite jeune que personne ne connaissait. En plus j'ai fait le plus gros score lors des élections. Ça en a agacé plus d'un. Ça n'est pas grave. Maintenant ils m'ont acceptée."

  Que les candidats aux élections ordinales se rassurent, le Dr Letzelter ne compte pas se représenter.  Toutefois ce type de comportement n'est pas isolé. Le Dr Virginies Desgrez, conseillère départementale en Haute-Savoie, en a fait les frais, bien que dans une moindre mesure (lire son témoignage). Cette dernière se réjouit de l'arrivée d'autres femmes au sein de l'institution et constate un engouement nouveau pour l'Ordre. "Pour cette élection, on constate qu'il y a eu plus de candidats. Sur notre département, on a 13 binômes qui se sont présentés pour 10 binômes qui vont être élus. C'est la première fois que ça arrive. A chaque fois il y a à peu près le même nombre de candidats et d'élus. C'est la première fois qu'il y aura des perdants", se félicite-t-elle. Au-delà du respect de loi sur la parité, la féminisation de l'ordre apportera plus de justesse à l'institution. "En conciliation, je trouve que c'est important qu'il y ait une femme et un homme. Ça apporte un équilibre", estime le Dr Desgrez. L'arrivée de femmes et de jeunes médecins concrétise la volonté du Dr Bouet, président du conseil national de l'Ordre de réformer en profondeur l'institution. "Notre challenge était vraiment de faire entrer l’institution dans le XXIe siècle", confiait-il à Egora en 2016. D'ici 2022, l'objectif sera atteint.  

Les conseillers départementaux

L'Ordre est composé de 1 824 conseillers départementaux. Ils sont élus pour 6 ans et sont renouvelés par moitié tous les 3 ans.

Le conseil départemental est chargé de missions administratives comme l'inscription des médecins au Tableau après vérification de leur qualification, délivrance des autorisations de remplacement ou organisation de la permanence des soins. Il également la porte d'entrée pour l'entraide destinée aux médecins en difficulté.

Il ne dispose pas d'un pouvoir disciplinaire mais reçoit et transmet les plaintes à la chambre disciplinaire de première instance.

   

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